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Lacan dans « La psychiatrie anglaise et la guerre» aborde les « puissances sombres du surmoi ». Il pointe la difference de position entre la France et l’Angleterre durant la Seconde Guerre mondiale:

[…] psychanalyste, je ne pouvais qu’identifier pour le groupe en proie à une dissolution vraiment panique de son statut moral, ces mêmes modes de défense que l’individu utilise dans la névrose contre son angoisse321.

Lacan parle ici de la France qui a capitulé devant l’ennemi. A l’opposé, il y a l’Angleterre :

La victoire de l’Angleterre est du ressort moral – je veux dire que l’intrépidité de son peuple repose sur un rapport véridique au réel322.

Elle est l’exemple du refus crucial du compromis. (Donc pas de dissolution de son statut moral). Le rapport véridique au réel est illustré par la position de l’Angleterre qui, face au mal absolu, face à la haine des nazis, n’a accepté aucun compromis et ne s’est pas sacrifié dans une position surmoïque. Le réel ici étant la haine de l’autre nazi à prendre en compte. La Seconde Guerre mondiale nous a en effet démontré l’effroyable docilité de l’homme moderne, prêt à s’enrôler sous des « idéologies de néant ». Lacan conclut ainsi ce texte :

Ce n’est pas d’une trop grande indocilité des individus que viendront les dangers de l’avenir humain. Il est clair désormais que les puissances sombres du surmoi se coalisent avec les abandons les plus veules de la conscience pour mener les hommes à une mort acceptée

320 Lacan, J., « La psychiatrie anglaise et la guerre », in Autres écrits, ouvrage établi par Jacques-Alain

Miller, Paris, 2001.

321 Ibid., p. 101. 322 Ibid.

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pour les causes les moins humaines, et que tout ce qui apparait comme sacrifice n’est pas pour autant héroïque323.

Ainsi, le rapport véridique au réel est à mettre en opposition avec le compromis et les puissances sombres du surmoi. Il est la réponse à la tyrannie du surmoi. Comme le note Éric Laurent, si Lacan s’est intéressé avec autant de passion à l’expérience et à l’effort de guerre des Anglais « C’est qu’il témoigne de la victoire possible des pouvoirs de la raison non seulement contre le nihilisme nazi, mais contre les puissances de la pulsion de mort »324.

En guise de conclusion.

Nous pouvons dire que la haine va bien plus loin que l’agressivité narcissique. Elle s’adresse à l’être. Elle vise la jouissance incluse dans le corps à détruire. Mais la haine ne peut se conclure par cette disparition de l’autre, car la destruction de l’autre ne détruit pas l’être, c’est quelque chose qui ne trouve aucun terme ; c’est une destruction sans fin. La haine poursuit sa victime au-delà de la mort, au-delà de la destruction du corps ?

Cette haine prend origine du côté de l’envie, Lebensneid, de la jouissance de l’autre. Elle est un produit du surmoi ; surmoi qui est de l’ordre du sacrifice. Les hommes sont fascinés par le sacrifice, d’eux-mêmes ou de l’autre, prêts à mourir, dit Lacan en prenant exemple sur l’histoire du nazisme. Nous avons vu lorsque nous avons abordé le surmoi chez Freud, que celui-ci est une jouissance. Ce que Lacan exprime de la façon suivante : « Rien ne force personne à jouir, sauf le surmoi. Le surmoi c’est l’impératif de jouissance – Jouis !»325. Il dit au sujet : « Jouis ! » jusqu’à l'anéantissement du prochain

et de soi-même. Le surmoi est donc à la fois haine de soi et haine de l’autre.

323 Ibid., p. 120.

324 Laurent, E., « Le réel et le groupe », in Ornicar? digital, n° 244, 2003.

325 Lacan, J., Le séminaire, livre XX, Encore, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1975, p.

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Chapitre trois

Les ressorts de la ségrégation : racisme et antisémitisme

Savez-vous pourquoi est-ce qu’ils n’ont pas bonne presse, ces Juifs ? C’est parce qu’ils ne sont pas gentils, s’ils étaient gentils, ben ! ils ne seraient pas juifs quoi. Et ça arrangerait tout !

Jacques Lacan326

Dans la « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole » 327,

Lacan pose ce qui garantit le psychanalyste. Il souhaite mettre en place un modèle qui se différencie de celui de l’IPA, en un mot, un modèle qui ne soit pas basé sur l’identification. Ce sera la passe. Ce texte intéresse notre sujet parce qu’il traite de la ségrégation, produit de l’Universel. Nous verrons que Lacan interprète le racisme, la ségrégation comme un rejet de la jouissance de l’Autre et avance le pas-tout comme modalité, autre que l’identification, pour fonder le lien social.

Lacan cherche à rompre avec la séparation de ce qu’il appelle psychanalyse en intension et psychanalyse en extension. La psychanalyse en intension est l’expérience individuelle de l’analyse d’un sujet. La psychanalyse en extension, c’est le discours de la psychanalyse, la théorie, le savoir de la psychanalyse.

A la fin de la « « Proposition, Lacan évoque les camps de concentration nazis et prophétise l’extension de la ségrégation à la mesure du progrès de la science. La question se pose donc de savoir quel est le lien entre la question juive, sous l’angle de la ségrégation, avec la formation du psychanalyste, avec la fin de l’analyse, avec l’Ecole de psychanalyse ?

Rappelons qu’il existe deux versions de la « Proposition », l’une orale de 1967328et l’autre écrite qui ne fut publiée qu’en 1978. Dans la version orale, la référence

326 Lacan, J., RSI, leçon du 15 avril 1975. Inédit< ;

327 Lacan, J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole », in Autres Ecrits, ouvrage

établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2001.

328 Lacan, J., « Première version de la ‘Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole’ »,

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aux Juifs diffère de la version écrite. Nous allons à présent étudier de près les deux versions de la conclusion de cette proposition et essayer de cerner pourquoi Lacan parle de la ségrégation des Juifs. En quoi cela concerne-t-il la psychanalyse ?

3.1. Lecture de la « Proposition du 9 octobre 1967 » dans ses deux versions