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Jones propose d’étudier trois propositions pour l’avenir : Le sionisme, le statu quo, l’assimilation.

La solution sioniste

Pour Jones, la solution d’un état juif est compliquée pour deux raisons. Premièrement parce que le mouvement sioniste affirme avec plus de détermination que jamais être un peuple distinct et séparé, et entend préserver sa caractéristique nationale comme les autres nations. Cette revendication est juste, mais comme elle est une des causes fondamentale de l’antisémitisme, elle risque de l’exacerber. Deuxièmement, un état juif alors que la majorité des Juifs vivront toujours dans des pays étrangers ne sera jamais accepté par les Gentils ; ce sera interprété comme une arrogance. Cette question : pourquoi ne partez-vous pas vivre en Palestine, sera posée de plus en plus souvent. Tout cela est sans doute confirmé, pour Jones, par l’augmentation de l’antisémitisme depuis la montée du sionisme.

Le statu quo

Il s’agit de maintenir le même mode de relation entre les Gentils et les Juifs, que ces derniers supporteront avec une résignation et une endurance acquises par la plupart d’entre eux. On peut espérer quelques petits changements liées à la naissance du sionisme, mais pas de changements fondamentaux. C’est une solution insatisfaisante et qui laisse le Juif dans une situation inconfortable, mais, dit Jones, c’est la seule qui soit réaliste.

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L’assimilation

L’assimilation est la solution, pour Jones, qui s’avère être la plus juste. Aucun peuple ne peut garder indéfiniment son identité séparée ; et les Juifs sont soumis aux mêmes lois historiques et sociales que les autres peuples. L’argument logique des Juifs d’Allemagne assimilés à la culture environnante, et à qui Hitler à rappeler qu’ils étaient Juifs, n’est pas justifié. Il faut avoir à l’esprit qu’une assimilation ne peut pas se faire en l’espace d’un siècle et seulement grâce à des tentatives individuelles. Il faut des siècles, l’histoire l’a montré, par exemple, avec les Normands d’Angleterre où il a fallu quatre cents ans pour qu’ils se fondent aux Anglais.

Jones recommande aux deux parties, Juifs et Gentils, de chercher un terrain d’entente, un rapprochement, une coopération pour réaliser en douceur ce projet. Et de rappeler qu’il est

[…] inexact de voir dans l’antisémitisme une maladie spontanée sans agent provocateur ; pour prendre une autre métaphore, il représente un cercle vicieux qui ne peut être brisé que par un effort réciproque. Il appartient à la fois aux Juifs et aux Gentils de sonder leurs cœurs207.

Jones ne doute pas que cette solution ne sera pas la favorite des Juifs. Il suppose qu’ils adopteront plutôt la solution nationaliste, mais pense que cela ne diminuera pas l’antisémitisme parce que les Juifs qui vivront en dehors de l’Etat national seront exposés à de nouveaux problèmes. Il est donc souhaitable de compléter l’assimilation par les deux autres solutions citées plus haut afin de combattre l’antisémitisme.

Il, nous semble que pour Jones, l’assimilation des Juifs est au fond la seule solution viable, puisque les Juifs n’existeront plus.

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En guise de conclusion

Nous pouvons conclure que la raison d’être de l’antisémitisme, selon Jones, tient du côté des Juifs essentiellement à leur revendication et à leur volonté de continuer à exister comme un peuple séparé des autres, différent des autres. Du côté des Gentils, leur haine est provoquée par le refus de cette position et par le rappel de la castration qu’évoquent les Juifs avec leur nez hittite et leur manque de virilité qui se manifeste par leur aversion pour la violence.

Jones semble se positionner en médiateur entre les Juifs et les Gentils, une position « diplomatique » exprimant le point de vue de deux protagonistes qui le laisse prisonnier d’une analyse qui relève du registre imaginaire. Cette pente à ne vouloir froisser personne, à adopter une position de moralisateur le conduit à demander aux « deux parties » de faire un effort pour se réconcilier. Le registre imaginaire nous semble net dans cette remarque surprenante, un peu déroutante concernant le nez hittite des Juifs qui les rendrait difforme. Également dans ses propos sur le réfugié Juif Allemand quand il laisse entendre que les réfugiés Juifs en Angleterre se sont comportés de manière ingrate en cherchant à échapper au devoir envers un pays qui les a accueillis.

Réfléchir sur l’antisémitisme à partir de la dimension imaginaire empêche Jones de prendre en compte le réel de la pulsion haineuse qui venait de se déchainer. N’oublions pas que son intervention est de 1945. Être de bonne volonté peut conduire à l’oubli de ce qui s’est produit. Nous conclurons avec Lacan :

Qu’on appelle cela où l’on veut, du terrorisme. J’ai le droit de sourire, car ce n’est pas dans un milieu où la doctrine est ouvertement matière à tractation, que je craindrais d’offusquer personne en formulant que l’erreur de bonne foi est de toutes la plus impardonnables208.

208 Lacan, J., « La science et la vérité », in Ecrits, ouvrage établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil,

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Chapitre trois

Bela Grunberger, une obéissance au surmoi

Bela Grunberger a beaucoup travaillé sur les racines de l’antisémitisme à la lumière des concepts psychanalytiques. Il a publié plusieurs articles dans la Revue française de psychanalyse, et notamment coécrit avec Pierre Dessuant, Narcissisme, christianisme, antisémitisme : étude psychanalytique209. Membre de la SSP des 1953 et

chargé d’enseignement à l’Institut de psychanalyse, il s’est intéressé essentiellement à la notion de narcissisme. Ses travaux portent sur ce concept.

L’antisémitisme nécessite qu’on l’aborde par la psychanalyse, dit-il, parce que les arguments sociologiques, économiques, ethnographiques etc., ne sont pas suffisants pour expliquer la constance et la continuité remarquable210 avec lesquelles ce phénomène

réapparait quand bien même les facteurs sociologiques et économiques se modifient radicalement. Ils ne peuvent être alors que des rationalisations qui se dévoilent comme étant des conséquences de facteurs psychologiques plus ancien.

L’antisémitisme est appréhendé par Grunberger à partir du narcissisme. L’agressivité la plus puissante qui puisse exister, selon lui, tire son origine de la frustration narcissique. L’antisémitisme est une réponse à une blessure narcissique. La thèse qui veut que l’antisémite projette ses conflits sur le Juif est bien connue, mais ce que Grunberger cherche à préciser, c’est précisément pourquoi sur le Juif ?

Grunberger rejette l’analyse de l’antisémitisme à partir de l’analyse des patients parce qu’il considère que le but de l’analyse est essentiellement de réduire les projections. Or l’antisémite se caractérise par le fait de projeter le mal sur le Juif. Si l’inconscient du sujet perçoit le but de l’analyse, on peut supposer que peu d’antisémites se livreront à cette expérience ; et donc les données recueillies ne montreront par d’antisémites authentiques.

209 Grunberger, B., Dessuant, P., Narcissisme, christianisme, antisémitisme : étude psychanalytique,

Arles France, Acte sud, 1997.

210 Grunberger, B., « Un exemple de projection : l’antisémitisme », in Refoulement : défenses et interdits,

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