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D’emblée Jones pose que les Juifs sont le seul peuple, mis à part les Tziganes, qui tout en étant dépourvu d’un foyer national refuse d’en avoir un en s’assimilant aux peuples parmi lesquels ils vivent, et qui revendique le privilège de séjourner dans le pays de leur choix, tout en restant séparés des autres habitants par certains aspects. Cet énoncé est un peu étonnant, en effet Jones n’était pas sans savoir que les déplacements des juifs étaient causés par les persécutions.

Jones souhaite souligner l’aspect volontaire chez les Juifs de cette situation qui provoque les préjugés à leur égard :

[…] je veux dire que les facteurs qui chez les Juifs eux-mêmes s’opposent à l’assimilation contribuent autant aux préjugés que les nombreux facteurs extrinsèques qui entravent ce processus204.

Et de citer les autres peuples qui ont disparu et revivent en tant qu’Espagnols, Italiens, ou Français. Rien de tel pour les Juifs.

Cette distance, séparation entre les Gentils et les Juifs émanent des deux côtés pour lui. Les Gentils craignent que dans une situation grave les Juifs privilégient leurs propres intérêts avant ceux du pays dans lequel ils vivent. Une crainte d’autant plus

203 Jones, E., Essais de psychanalyse appliquée, Tome I, Paris Payot, 1973. 204 Ibid., p. 233.

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légitimée du fait que les Juifs, à la différence des autres étrangers, sont une collectivité organisée et structurée.

La nature du refus de l’assimilation de la part des Juifs est pour Jones leur attitude exclusive et l’arrogance de leur croyance religieuse. En somme, il s’agit de l’idée qu’ils sont plus proches de Dieu. Jones note que les Juifs, au 19ème siècle, se sont

affranchis de la religion, donc de cette idée de proximité avec Dieu, mais qu’ils l’ont remplacée par un complexe de supériorité intellectuelle. Une supériorité qui, note-t-il, n’est pas tellement étayée par des réalisations dans le domaine de l’art, de la musique, de la science ou de la philosophie. Cette supériorité, bien que les Juifs puissent penser le contraire, n’existe pas. La seule exception se rencontre pour Jones dans le champ de la morale et de l’éthique. Or c’est un champ qui ne suscite pas d’affection. Les doctrines morales des Juifs n’ont pas été offertes à l’humanité avec générosité, dit-il, puisque du fait de l’élection, les autres sont exclus. Ce sont les autres qui les ont empruntées, plus particulièrement les protestants dans leur révolte contre le catholicisme romain. Et ce qui a le plus compromis toute possibilité de tirer avantage de leur primauté morale est l’opiniâtreté déraisonnable des Juifs à refuser d’« être fidèles à leur propre doctrine messianique qui, sauf pour eux, était devenue l’essence de la religion universellement reconnue par les races blanches de tout continent »205.

Chez les Juifs, à la différence de ce que l’on peut constater chez l’individu en général, il y a des effets bénéfiques tirés de la souffrance : noble résignation, noble endurance, profonde sagesse sur les choses de la vie. Ici, il s’agit de l’ensemble des Juifs. Jones rappelle que d’après l’Ancien testament, les Hébreux ont été sur leur territoire un peuple assez barbare et que les invasions et les destructions totales des pays voisins ont été implacables. Il est donc possible de supposer qu’après une lutte acharnée afin d’éviter la destruction Jérusalem par les Romains, un changement ait eu lieu dans la mentalité des Juifs du fait de la perte de leurs pays. Ils auraient alors décidé de cesser toute violence. Ainsi, dit Jones, de nos jours on ne peut pas dire que les Juifs se caractérisent par un esprit combattif.

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Un jour, nous dit Jones, ce caractère sera peut-être la marque d’un type supérieur de civilisation, mais malheureusement pour les Juifs ce n’est pas le cas aujourd’hui. Au contraire, pour lui, cette attitude est méprisée car elle reflète un manque de virilité :

Prenons le cas d’un réfugié juif allemand devenu par naturalisation sujet britannique avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. On pourrait s’attendre à le voir brûler du zèle de faire tout ce qui est son pouvoir pour combattre les persécutions que subit sa race et sauver ainsi ceux d’entre eux qui sont encore en proie aux horreurs qui se passent sur le continent. Au lieu de cela, on peut le rencontrer en train de discuter avec des amis, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, de ses chances d’échapper au service militaire qui est devenu l’une de ses nouvelles responsabilités civiques206.

Ce mépris quant à leur manque de virilité s’associe dans l’inconscient à deux traits physiques. Le premier est la circoncision, le second est leur nez hittite qui évoque, selon Jones, une difformité que les Juifs ont malheureusement acquise dans leur errance. Ces traits évoquent la castration, et ce qui tend à réveiller cette peur conduit à l’aversion. Mais Jones nous rassure, les Juifs ne sont pas des créatures passives, leurs pulsions agressives trouveront d’autres issues pour affirmer une masculinité. Par exemple, lorsqu’un Gentil les accuse d’être arrivistes, sûr d’eux, enclin à avancer au moyen de méthodes douteuses, ce qu’il veut dire, c’est que la virilité a été remplacée par des méthodes féminines. Jones interprète ces accusations d’ambition, de côté malin comme une marque de féminité venue remplacer la virilité.

Jones conclut toutefois en affirmant que ce qui est reproché aux Juifs est irrationnel et injuste, mais, par ailleurs, tellement humain. C’est un cercle vicieux dit-il. Les uns se plaignent d’avoir été persécutés et ensuite de se voir reprochés les effets pernicieux de cette persécution sur leur caractère, et les autres font remarquer que ceux

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qui font tout pour ne pas être aimés ne devraient pas se plaindre du sort qui leur est réservé.

Jones souhaite avec son essai parvenir, nous dit-il, à des solutions pour l’avenir des Juifs. Il insiste sur le fait que les causes de l’antisémitisme ne résident pas dans la perversité des Gentils, mais dans un cercle vicieux auquel contribuent les deux parties. Par conséquent, dit-il, si l’on souhaite que les choses changent, il faudra des concessions mutuelles et des modifications réciproques d’attitude.