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Le Christ et les Juifs, un couple culturel

4.3. L’antisémitisme religieux, une révolte conte le surmoi

4.3.1. Le Christ et les Juifs, un couple culturel

Pour Loewenstein, Israël et la Chrétienté forme un couple culturel « dont l’existence est à la base du conflit qui, tout à la fois, unit et sépare Chrétiens et Juifs »241.

La spécificité du peuple Juif, c’est sa résistance, sa capacité à survivre. Celle-ci, affirme Loewenstein, est le résultat d’un mécanisme psychologique particulier : les Juifs ont pris sur eux la faute de leurs malheurs et ont considéré leurs défaites comme une punition infligée par Dieu pour leurs péchés. Ils sont donc restés fidèles à leur Dieu et à leurs principes éthiques considérés comme supérieurs à ceux de leur environnement.

Loewenstein va retracer les persécutions des Juifs tout au long de l’histoire. A l’époque du schisme entre le judaïsme et le christianisme, les Juifs sont représentés comme abandonnés et maudits par Dieu. Il s’agit d’une nécessité pour la survie du christianisme. Au moyen âge viennent s’ajouter aux motifs religieux, des motifs économiques. Exclus de toutes les professions, ils deviennent usuriers et sont associés à l’argent. Nous avons alors en plus du « Juif déicide », le « Juif traite, Judas » et le « sale argent ». Aux XIXème et XXème siècle, ce sont des raisons politiques et économiques. Le gouvernement tsariste rend les Juifs responsables du mécontentement général et provoque les pogroms afin de détourner sur eux les hostilités. Avec les nazis, l’utilisation politique de l’antisémitisme prend une ampleur incomparable. Les Juifs sont responsables de la défaite de l’Allemagne, ils sont une race inférieure, ils veulent dominer le monde (les sages de Sion). La propagande nazie a réussi à transformer le Juif en bouc émissaire du monde entier, à en faire le responsable de tous ses maux.

240 Ibid., p. 156. 241 Ibid., p. 233.

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Les juifs, pour survivre, ont acquis certaines particularités névrotiques, devenues prétextes supplémentaires pour les persécuteurs. Cette faculté de survivre est devenue troublante pour les chrétiens suppose Loewenstein. Elle suscite tout autant l’admiration que le mépris, la haine, la crainte et l’envie. En survivant, les Juifs ont créé la première condition de tout antisémitisme, dit Loewenstein, celle d’être un groupe différent des autres. Disant cela, il rejoint Freud, nous l’avons vu, qui fait de cette capacité à survivre la différence fondamentale entre les Juifs et les autres peuples et suscite la haine.

Cependant, une des thèses importante de Loewenstein est que si les Juifs ont survécu aux massacres chrétiens, aux pogroms du moyen âge, c’est parce que les chrétiens leur ont permis de survivre, parce que la chrétienté avait besoin d’eux. Loewenstein note d’ailleurs que les Juifs sont le seul groupe non chrétien à avoir survécu en terre chrétienne. Et c’est ce qui le conduit à l’idée selon laquelle « les Juifs et les peuples de civilisation judéo-chrétienne – forment un couple culturel dont chaque partie a besoin de l’autre »242.

La raison la plus ancienne du rôle du Juif comme bouc émissaire, c’est sa responsabilité dans la mort du Christ, donc dans la naissance du christianisme. Jésus devient le Christ parce qu’il a été crucifié et les chrétiens sont sauvés de leurs fautes par son supplice. Au fond, ils doivent se réjouir inconsciemment de sa mort car le christianisme est né de cette crucifixion. La faute du chrétien est rachetée par son identification au Christ lors de la communion. Par celle-ci, il est prêt à mourir pour l’amour du Christ. En projetant la responsabilité du supplice de Jésus sur les Juifs, ils se libèrent d’une culpabilité commune avec les Juifs. Finalement le Juif est identifié au Christ, car le Juif comme le Christ joue le rôle du bouc émissaire, même si le juif n’est pas un bouc émissaire divin. On peut donc se réjouir des souffrances des Juifs comme on se réjouit inconsciemment du supplice du Christ qui a donné naissance au christianisme. Le Juif, propose Loewenstein, est en quelque sorte le double du Christ.

Pour Loewenstein reste la question de savoir comment ces faits ont pu agir sur les gens de notre époque, puisque la plupart probablement ne connaissent même pas l’histoire des Juifs. La réponse, pour lui, est que l’histoire ne s’enseigne pas seulement par les livres, qu’elle se transmet oralement de génération en génération, avec toutes les

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déformations que cela comprend. La tradition directe et indirecte, consciente et inconsciente exerce une influence sur les individus. Ainsi, le mot Juif s’est transmis avec cette connotation de danger et de mystère.

Loewenstein considère que l’enseignement de l’histoire sainte se présente à un moment de l’enfance ou le surmoi n’est pas encore achevé. Cette histoire raconte un conflit entre un fils et son père, entre le Christ (le fils) et les Juifs (le père), et le jeune chrétien trouve dans ce récit son propre conflit œdipien avec son père, qui comporte des souhaits de mort inconscient. Cet enseignement a ceci de particulier, c’est qu’il peut offrir une solution à ce conflit : l’enfant peut profiter impunément de la mort du Christ, en rejetant la faute du crime sur le Juif ; et se débarrasser ainsi de sa culpabilité. De plus, le Juif représente la conscience morale du fait de sa fidélité inconditionnelle à Dieu le père, il représente donc le père admiré et craint en même temps. Autrement dit, il existe un lien intime entre le Juif et le Christ, le Juif est identifié à la fois à l’ennemi du Christ et au Christ lui-même. Ces pensées inconscientes sont levées au cours d’une analyse estime Loewenstein. Le judaïsme, ennemi par excellence du christianisme est à la fois le témoin de celui-ci, et c’est de la conversion des Juifs que dépend le salut final du monde. Ainsi, une attitude contradictoire envers les Juifs est à la base de la civilisation chrétienne.

En résumé, pour Loewenstein l’antisémitisme est une révolte contre le surmoi, une façon de se débarrasser du surmoi représenté par le juif. Rappelons que le judaïsme est la religion du père, le christianisme est la religion du fils.

Conscient, qu’il donne beaucoup de poids aux facteurs religieux, Loewenstein, reconnait que l’enseignement religieux est loin d’être à lui seul la cause de l’antisémitisme. Mais son importance tient pour lui au fait qu’il laisse une empreinte dans l’enfance, à une époque où d’autres facteurs économiques ou sociologiques n’interviennent pas encore.

Ce qui rend ce facteur si déterminant, c’est que l’empreinte laissée par la tradition sur les individus est équivalente au développement historique de cette tradition. Le point de départ du sentiment antisémite dans le passé, qui fut le rôle d’Israël dans la naissance du christianisme, se retrouve encore aujourd’hui, dit Loewenstein, chez les enfants modernes, transmis par l’enseignement de cette même histoire. D’autres thèmes sont venus s’ajouter au mythe traditionnel tels que la race, le pouvoir, l’importance des

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Juifs dans tous les bouleversements du monde. Mais tous, pour Loewenstein « ont été ajouté au concept primitif issu de la naissance du christianisme. Ils reflètent indirectement les réactions à la dette morale que la chrétienté a contractée envers les Juifs. Ils reflètent aussi son incomplète victoire sur Israël »243.

En guise de conclusion

Pour Loewenstein, les Juifs, à partir de leur représentation dans les Evangiles, représentent pour les enfants élevés dans le christianisme les mauvaises pulsions, l’incarnation du mal que l’enfant a refoulé. Comme les Juifs sont les ancêtres, ils sont l’image transformée de leur père. Ainsi, le conflit entre les Juifs et le Christ, qui s’est produit il y a plusieurs siècles reflète dans l’imagination de ces enfants, plus ou moins consciente, leur propre conflit avec leur père et devient le symbole inconscient du complexe d’Œdipe. Ce conflit œdipien va être ranimé par l’enseignement religieux de la période de latence. Rappelons aussi que pour Loewenstein, Israël et la chrétienté forment un couple “culturel”, qu’ils sont indispensables l’un à l’autre. L’enseignement religieux laisse une empreinte profonde sur l’enfant parce qu’il est délivré à un moment de l’enfance où le surmoi n’est pas encore achevé.

Loewenstein souligne que supprimer l’enseignement religieux ne fera pas disparaitre l’antisémitisme, mais que si cet enseignement pouvait être délivré dans un esprit moins antijuif, cela pourrait produire, avec le temps nécessaire, un changement et peut-être quelques résultats.

La solution de Loewenstein passe par le savoir, en cela elle n’est pas étrangère à la psychanalyse :

Pour combattre l’antisémitisme, Chrétiens et Juifs devront donc lutter pour une cause commune : le bien des hommes. Il y a, dans cette lutte, des moyens plus puissants que la raison. Mais la recherche de la vérité demeure une partie intégrante de cette lutte. Le présent travail essaie d’y contribuer244.

243 Ibid., p. 250. 244 Ibid., p. 253.

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TROISIEME PARTIE

LACAN

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Chapitre un

Moïse avec Lacan

Lacan va s’intéresser au Moïse de Freud plusieurs fois au cours de son enseignement. En effet, il s’intéresse, lui aussi, à l’histoire du peuple Juif, à sa persistance, à la transmission du judaïsme, à ce qui en fait la spécificité dans cet ouvrage de Freud. Nous repérons deux temps forts. En 1959-1960, dans son séminaire sur l’éthique de la psychanalyse, il renforce la catégorie du symbolique et identifie les commandements aux lois de la parole. En 1970, dans L’envers de la psychanalyse, il reprend sa lecture du Moïse, cette fois sous l’angle du réel. Il va passer du mythe à la structure, de Moïse au signifiant-maître, de l’interdit à l’impossible. Jacques-Alain Miller va relire le Moïse de Lacan et faire apparaitre que ce qui persiste finalement, c’est la pulsion.