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Clinique de l’antisémitisme, les antisémites sur le divan

4.2. Les antisémites

4.2.3. Clinique de l’antisémitisme, les antisémites sur le divan

La spécificité de la recherche de Loewenstein c’est qu’elle s’appuie sur la clinique. Des analysants ont au cours de leur analyse révélée des sentiments antisémites que Loewenstein va appréhender comme un symptôme à déchiffrer. Dans son livre, il présente une lettre envoyée par une de ses patientes. Un détail important, cette lettre date apparemment de 1948, année de la création de l’Etat d’Israël. Cette lettre est un

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témoignage précieux, nous avons en effet rarement l’occasion d’entendre des paroles d’analysants sur ce sujet.

La patiente témoigne de la cause de l’antipathie à l’égard des Juifs, leur statut éternel de victime suscite en elle une répugnance. Arrêtons-nous donc sur ses propos.

D’emblée, elle reconnait en elle un conflit entre ses convictions socialistes et sa sympathie pour tout être persécuté, et un antisémitisme sous-jacent. Elle dit n’avoir eu aucune sympathie pour la cause sioniste tout en se disant que la simple justice voudrait que l’on soutienne cette cause. Encore une fois, dit-elle, ce sera une cause perdue :

… ils (les Juifs) allaient être trompés et trahis comme d’habitude. Je n’avais rien fait pour l’empêcher…mais tout de même cela me laissait un peu honteuse. Ils étaient toujours visés, luttant sans espoirs, sans aide….je n’avais pas la conscience tranquille235.

Elle reconnait avoir toujours considéré les Juifs comme une bande pas très recommandable, toujours entassés dans des ghettos sales ou dans des camps de concentrations, innocemment bien sûr. Toujours fuyant une tragédie. Elle avait pitié d’eux, car ils ont toujours été comme des enfants dont on ne voulait pas. Elle avait pitié d’eux sachant que tout cela était injuste, mais elle ne pouvait pas s’identifier à de tels gens. « Beaucoup trop de martyrs » ! Par ailleurs, les autres Juifs, les supers Juifs, les génies de la science, de l’art et de la politique, ne la gênaient pas, elle ne leur tenait pas rigueur de leurs succès. Cela rendait seulement plus incroyables toutes ces histoires de ghettos et de camps de concentrations. Mais cela ne les rendait pas plus proche que les Juifs martyrs. « Ni Einstein, ni Freud, ni aucun d’autre de ces individus de génie ne me rappelle personne de ma connaissance pas plus que ces martyrs ». Son antisémitisme, précise-t-elle était dirigé contre des Juifs qu’elle ne connaissait pas. Quand elle pensait aux « Juifs », elle ne pensait pas à des personnes ordinaires. Ils n’avaient pas non plus d’histoire, mise à part celle d’avoir été malmené, ils n’avaient pas de pays et on ne pouvait donc pas les situer comme tout le monde. Et puis vint la guerre avec les palestiniens. Au moment où elle a pu constater que c’était bien réel, que les Juifs avaient une armée bien organisée, qu’ils luttaient comme des gens normaux, comme tout le monde, sa perception

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a changé. Les Juifs sont devenus pour elle soudainement respectables. Il n’était plus nécessaire d’avoir pitié d’eux.

Le point intéressant est que la patiente ne connait pas de Juif. Ces sentiments sont issus de ce qu’englobe pour elle le « Juif ». Relevons les deux signifiants à l’origine de ses sentiments négatifs : « Pas comme tout le monde » et « victimes ». On ne peut situer les Juifs, les tragédies se succèdent, leur état éternel de victime suscite de la pitié et du mépris. Au moment où elle les identifie « comme tout le monde », sa répugnance cesse. Les propos de cette patiente font écho à l’analyse de Hannah Arendt. Selon elle, l’antisémitisme commence lorsque les Juifs perdent leur position de pouvoir et qu’ils deviennent des parasites : « Le déclassement des Juifs lors de l’affaiblissement de l’Etat- Nation, favorise l’antisémitisme ; considérés d’abord comme exploiteurs et oppresseurs, ils deviennent des parasites »236.

Nous ne disposons pas d’éléments concernant cette patiente. Nous ne savons pas pourquoi la victime suscite en elle un mépris et non pas une empathie par exemple ? Est- ce qu’il y un lien avec son histoire, sa logique symptomatique, fantasmatique ?

Pour Loewenstein, reste la question fondamentale : pourquoi et comment devient-on antisémite ? Quelle fonction l’antisémitisme assure-t-il dans l’existence d’un individu ? Pour y répondre, il déploie des concepts freudiens susceptibles de révéler les mécanismes psychiques à l’œuvre dans l’antisémitisme.

Loewenstein suppose que les réactions des antisémites habituels, non analysés, sont les mêmes que celles de l’antisémitisme momentané des patients en analyse.

Tous les névrosés ne réagissent pas de la même façon, ni avec la même intensité. Alors chez qui trouve-t-on cette réaction prononcée ? Loewenstein la trouve chez les individus de type paranoïaque. Chez ceux qui se défendent contre toute tendance personnelle indésirable en l’attribuant à l’autre. Ceux chez qui l’ambivalence est très prononcée, autrement dit, qui séparent nettement leurs sentiments agressifs et leurs sentiments amoureux positifs. Chez ceux qui pensent de manière stéréotypée : les autres

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sont soit haïssables soit admirables. Il y les aussi aigris qui rejettent la responsabilité de leurs échecs, personnels aussi bien que professionnels, sur les autres, et s’empressent de découvrir un bouc émissaire : les Juifs qui ont mieux réussi qu’eux. La plupart des antisémites fanatiques appartiennent à l’un de ces types, parfois combinés.

Ces mêmes mécanismes, précise Loewenstein, existent également chez les patients Juifs, ou chez les patients chrétiens analysés par des chrétiens. Les Juifs ont aussi tendance à généraliser et utilisent les mêmes mécanismes de défenses, mais l’aspect menaçant de l’analyste n’est pas associé au fait qu’il soit Juif. Notons l’importance du phénomène que Loewenstein souligne, à savoir, que des analystes chrétiens ont communiqué que leurs patients manifestaient parfois des réactions antisémites à leur égard. Ces analystes l’attribuent au fait que la psychanalyse est considérée comme une science juive. Ce qui revient à dire finalement que : « chez tous les Occidentaux existe, toute prête à servir, la notion traditionnelle du Juif pouvant servir de bouc émissaire »237.

Mais, il faut, dit-il, surmonter des résistances considérables pour que ces réactions anti- juives inconscientes deviennent conscientes.

Nous pouvons résumer ainsi le phénomène de l’antisémitisme tel qu’il se révèle dans la clinique de Loewenstein. C’est une projection du mal sur la figure du Juif. La figure du Juif se prêtant finalement à toutes les projections, il doit assumer les responsabilités, les fautes des autres. Le Juif est la cause de tout, tout peut lui être attribué.