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Introduction Mobilités et connectivités amoureuses

4.4. Le rapport au pays du conjoint

Dans le chapitre 3, nous avons décrit comment certaines femmes qui habitaient dans une localité du Sud ont développé un attachement profond au pays du conjoint. Cet ancrage a été expliqué comme la suite d’une quête d’altérité géographique et socio-culturelle dans l’espace intime et identitaire de ces femmes. Dans le cas des femmes qui ont fait des visites courtes, mais répétées, dans le pays de leur conjoint, en d’autre mots, quand la mobilité géographique était dictée par l’amour pour un individu, quel type d’attachement ces femmes ont-elles développé avec le pays ou la localité de l’homme dont elles étaient amoureuses? Plusieurs formes d’attachement ont émergé des récits des femmes, certaines se chevauchant, selon les histoires particulières de chacune.

4.4.1. La relation intime prime sur l’attachement à un pays

Pour Laura, une femme retraitée de soixante-dix ans issue d’une classe sociale aisée, mariée à un jeune homme cubain depuis environ cinq ans, l’endroit où elle habiterait lui importait peu, tant qu’elle puisse y vivre conjointement avec son mari. Laura avait essayé de

faire venir son conjoint au Canada après quelques années de relation, mais toutes les demandes d’immigration qu’elle a faites ont été rejetées pour cause de « mariage non- authentique ». Elle se disait consciente que les conditions matérielles et les infrastructures à Cuba n’étaient pas aussi développées que celles avec lesquelles elle était habituée au Canada, mais son couple était plus important, à ses yeux, que ce qu’elle appelait ces petits défis du quotidien. Elle a donc décidé d’aller vivre avec son conjoint à Cuba, où le couple a acheté une maison : « Il a un appartement. C’est un petit trois-pièces. Ce n’est pas grand. Pas d’eau chaude. Rien à voir avec mon appartement, mais je me suis adaptée, vraiment. Tout ce que je voulais, c’est d’être avec lui et qu’on soit ensemble. Le reste, on s’en fout. »77

4.4.2. Apprivoiser le pays, la famille et la culture du conjoint

Contrairement aux femmes qui ont séjourné dans un pays du Sud avant d’y rencontrer leur mari, les femmes qui sont tombées amoureuses avant de visiter le pays de leur conjoint n’entretenaient pas nécessairement le même rapport viscéral à ce dernier. On retrouve toutefois, chez ces dernières, un désir de s’intégrer à la famille de leur conjoint, de se faire accepter et d’être en mesure de naviguer avec une certaine aisance à travers les normes et les traditions locales. Par exemple, de retour de visite chez son conjoint en Tunisie, une femme a publié en ligne une vignette cocasse où elle déplorait son manque de familiarité avec les coutumes locales. Elle a expliqué la honte qu’elle a ressentie en se rendant compte que sa belle-mère avait lavé ses sous-vêtements à la main et que ces derniers séchaient sur la corde à linge à la vue de tous. Cet exemple permet aussi de rendre compte du désir qu’éprouvent plusieurs femmes à s’intégrer aux coutumes familiales et locales, du moins, lors de leurs visites à leur conjoint. L’une des réponses à la vignette illustre bien ce point:

« Moi, je lave mon linge à la main moi-même et je l’étends sur la corde! Je fais comme la famille, puisque j'en fais partie! Ne te gêne pas, sinon tu vas te sentir comme une étrangère. Chez ma belle-famille, il y a la laveuse automatique, mais c'est long, alors je lave à la main. C'est rare qu'ils utilisent la laveuse automatique eux aussi! ».

77 À notre connaissance, deux ans après notre entretien avec Laura, cette dernière n’avait toujours pas emménagé

Ainsi, les va-et-vient au pays du conjoint ne sont pas vides d’attachement envers la localité et la culture locale. Ce même désir d’appartenance apparait aussi dans les récits de conversion à la foi musulmane de certaines femmes. En effet, plusieurs femmes de la communauté de soutien au parrainage ayant épousé un homme originaire du Maghreb se sont converties. Le degré de pratique de ces femmes variait, mais la majorité adhérait davantage aux normes de l’Islam quand elles étaient en visite dans le pays de leur conjoint. Cet extrait de l’entretien de Diane illustre bien ce propos :

« On a fait le mariage religieux. J’ai fait la conversion musulmane. Par contre je ne pratique pas ici, chez-moi. Quand je vais en Algérie, je porte le voile, par respect pour la famille, pour la maman, qui se sent plus à l’aise quand je me voile les cheveux, mais je ne fais que porter le petit foulard. Pas le gros kit. Ici, au Québec, non, je ne pratique pas du tout la religion. »

Cet extrait permet de mettre en lumière certaines variations transnationales qui ont émergé par rapport aux pratiques sociales et culturelles. En effet, les femmes canadiennes ont adopté certaines pratiques selon le lieu où elles se trouvaient. Or, l’extrait souligne aussi le fait que le chez-soi des femmes demeurait « ici », au Canada, car, bien que Diane ait pris plaisir à s’intégrer aux coutumes de sa belle-famille, elle a laissé tomber ces pratiques une fois de retour à la maison. Dans son chez-soi, ses habitudes de vie et ses pratiques sont restées majoritairement inchangées78.

4.4.3. Devenir une « groupie » du pays du conjoint

Simone, alors devenue modératrice dans la communauté en ligne, soulevait, lors de son entretien, que la majorité des femmes du groupe avaient tendance à devenir des « groupies » du pays de leur conjoint. Effectivement, sur le forum du groupe de soutien au parrainage, il était fréquent de voir des publications relatives au pays ou à la culture du mari : des chansons d’amour d’artistes locaux, des photos de paysages, des recettes traditionnelles, etc. Les « profils Facebook » de ces femmes étaient aussi révélateurs de leur désir d’être associées au pays et à la culture de leur conjoint. En effet, plusieurs femmes ont mis une photo d’un

78 Diane a souligné, ailleurs dans son entretien, qu’elle consentait à accommoder son conjoint sur certains points

tels que la non-consommation d’alcool en sa présence et le respect d’une certaine modestie en présence d’hommes autres que son mari.

paysage local en guise de photo de « couverture »79. Plusieurs ont changé leur nom ou leur prénom pour un autre qui rappelle l’origine ethnoculturelle de leur conjoint. Enfin, la majorité des femmes du groupe de soutien se sont mariées en tenues traditionnelles issues de la culture de leur conjoint. Par exemple, souvent, celles dont les époux étaient Berbères ou marocains portaient les multiples robes de mariage colorées et arboraient fièrement des mains ornées des motifs traditionnels au henné.

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