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La collecte de données : types de méthodes et recrutement des participants

Conclusion Quelques pistes de réflexion

Chapitre 2. L’enquête et ses cadres

2.3 Cadre conceptuel et ancrages théoriques

2.3.1. La collecte de données : types de méthodes et recrutement des participants

Les récits de vie

J’ai effectué un total de trente entretiens semi dirigés, la majorité en face à face dans un café, chez la répondante ou encore chez moi ; ainsi que quelques-uns via Skype. De ces trente entretiens formels, vingt-sept ont été conduits avec des femmes canadiennes qui étaient ou avaient été en couple avec un homme originaire d’un pays du Sud et qui avaient entamé le

41 Le seul homme dont j’ai pu récolter le récit de vie et de parrainage avait tout d’abord refusé de m’accorder un

entretien me disant, au téléphone, qu’il n’était pas intéressé par ce genre d’exercice. Le lendemain de son refus, je l’ai rencontré, par hasard, lors d’une fête d’enfants où il était aussi invité. C’est alors qu’il a accepté de me rencontrer. Une autre femme, Melissa, m’a aussi accueillie chez elle alors que son mari était présent. Elle m’a raconté son récit, mais son conjoint a aussi participé, dans une moindre mesure, à l’entrevue.

processus de parrainage de leur conjoint au Canada. Certaines femmes pensaient à parrainer leur amoureux, alors que d’autres étaient en cours de processus ou l’avait déjà terminé. Parmi les vingt-sept entretiens avec des femmes, j’ai interrogé trois femmes, résidentes permanentes au Canada, elles-aussi en couple avec un homme originaire d’un pays du Sud, mais qui sont passées par d’autres moyens que le parrainage pour former un foyer conjugal au Canada avec leur conjoint. L’une d’elle est d’origine allemande, avait rencontré son conjoint au Rwanda lors d’une mission humanitaire et avait retrouvé son conjoint au Canada après huit ans de relation à distance, alors qu’il avait déjà immigré en tant que demandeur d’asile. Une autre est d’origine française et avait vécu le processus de réunification conjugale avec son conjoint marocain rencontré sur Internet à partir de la France. Enfin, la dernière est de nationalité australienne, mais avait vécu plusieurs années au Nigéria, où elle avait rencontré son mari, lequel possédait les passeports anglais et nigérian. Bien qu’elles divergent un peu de mes critères de sélection parce qu’elles n’étaient pas encore canadiennes au moment de leur rencontre avec un homme du Sud, j’ai gardé ces entretiens qui ont nourri ma réflexion. Notons tout de même que chacune de ces trois femmes est originaire d’un pays « occidental » et possède, en vertu de sa citoyenneté, des privilèges similaires à ceux des femmes canadiennes.

Des trois autres entretiens conduits, un l’a été avec une conseillère en immigration42 qui pratique ce métier depuis vingt-cinq ans et qui disait ne recevoir pratiquement plus que des dossiers de réunification conjugale de couples mixtes depuis les dix dernières années. Cette entrevue, qui a duré deux heures, a été orientée sur son travail, sur les cas rencontrés, ainsi que sur les tendances en matière d’immigration. Cet entretien a permis de comprendre un peu mieux les rouages du processus administratif lié au parrainage d’un conjoint, ainsi que les tendances conjugales selon le pays d’origine des conjoints non-canadiens et selon le genre des demandeurs. Un autre entretien d’une heure et demie a été fait au téléphone avec la conseillère en formation d’un programme d’études en coopération internationale. Cette dernière a été responsable du bureau de Bamako, au Mali, pendant trois ans. Puis, elle s’est occupée de la

gestion humaine et administrative du programme d’étude au niveau collégial43. C’est elle qui organisait la recherche de stages, l’accueil des étudiants, les séminaires, etc. Dans sa carrière de plus de vingt ans, elle a été témoin des trajectoires professionnelles et conjugales de plusieurs étudiantes du programme, à partir du moment où elles partaient en stage dans un pays d’Afrique ou d’Amérique latine. Lors de cet entretien, le processus de rencontre amoureuse chez ces jeunes stagiaires a été explicité. Enfin, un seul entretien avec un homme qui a été parrainé par une femme canadienne a été conduit. Les données issues de cette entrevue ont toutefois été rejetées parce que les risques de biais étaient trop élevés et parce que je ne pouvais pas trianguler les données recueillies.

Tous les entretiens ont duré entre une et quatre heures de temps. Ma structure d’entretien était très flexible, je ne voulais pas interrompre, ni trop encadrer le récit que me confiaient les femmes. En début de séance, je leur expliquais ce que j’attendais d’elles, ainsi que les thèmes que je souhaitais aborder44. Ces entretiens, après s’être penchés un peu sur l’enfance et la vie familiale des répondantes, étaient orientés spécifiquement sur les trajectoires amoureuses des femmes, ainsi que sur leurs trajectoires de mobilité. Dans tous les cas rencontrés, ces deux trajectoires en venaient à s’entrecroiser et à s’imbriquer l’une dans l’autre. En général, une ou deux questions initiales sur l’enfance et sur la vie amoureuse suffisaient à déclencher une narration continue qui, le plus souvent, m’a été raconté de manière chronologique. J’ai gardé contact avec plusieurs des femmes, les recontactant par courriel tous les trois mois environ pour leur demander des nouvelles. Certaines m’ont recontacté d’elles-mêmes pour m’annoncer que leur mari était arrivé au Canada. J’ai pu suivre l’évolution du processus de parrainage et de la relation intime de celles qui étaient aussi membres du groupe de soutien au parrainage, à travers leurs publications et leurs contributions aux discussions en ligne.

En plus de ces entretiens semi-dirigés, j’ai échangé par courriel avec quatre femmes

43 Le niveau collégial, aussi appelé CÉGEP, est un programme de pré-universitaire de deux ans particulier au

Québec.

correspondant à mes critères, lesquels m’ont confié des tranches de leur vie par écrit. Ces récits sont incomplets, mais ont quand même nourri ma réflexion et ont appuyé certains points d’analyse.

Critère de sélection des participantes

Posséder la citoyenneté canadienne était un critère de sélection des femmes. Bien que toutes se sont trouvées être des femmes blanches, aucun critère quant à la couleur de peau n’avait été mentionné dans le descriptif de mon projet. Il est intéressant de noter que les femmes qui se définissaient comme « canadiennes », aussi large que cette appellation puisse être, étaient d’abord des femmes non-migrantes (sauf les femmes d’origine européenne et australienne) blanches. Aucune limite d’âge, ni aucun critère quant au statut socio-économique n’avait été appliqué. Le critère principal qui a dicté la sélection des participantes à la recherche était la mise en couple avec un homme originaire d’un pays du Sud. Étaient exclues de l’étude les femmes migrantes désirant être réunies avec leur conjoint encore au pays d’origine, ainsi que les femmes de deuxième génération de migrants cherchant un conjoint issu de la communauté d’origine de leurs parents.

Le critère de l’origine du conjoint à été choisi car, même si, au Canada, le processus de réunification conjugale est le même pour un conjoint européen ou africain, par exemple, il est beaucoup plus difficile, voire impossible pour ce dernier d’obtenir un visa de visiteur au Canada ; alors qu’il est beaucoup plus aisé pour une personne originaire d’un pays d’Europe d’obtenir un visa de touriste ou d’études. Dans la majorité des cas recensés dans cette recherche, le conjoint non-canadien n’était donc jamais venu au Canada et la relation s’était développée, en grande partie, à distance. Les contraintes à la mobilité des partenaires sont donc exacerbées dans le cas des couples Nord-Sud et structurent d’une manière spécifique le développement de la relation conjugale. Pour déterminer quels pays entreraient dans ma définition opérationnelle du « Sud », je me suis basée sur les restrictions en terme d’émission de visa du Gouvernement du Canada. En effet, le Canada limite l’entrée au Canada à certains pays dont l’indice de développement économique est inférieur au sien, ce qui inclus la majorité des pays d’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Amérique du Sud (Satzewich, 2015b).

Recrutement des participantes à la recherche

Les femmes ont été recrutées de plusieurs façons, dans le but de diversifier les profils des participantes à la recherche. Premièrement, puisque j’ai fait des contrats de coopération internationale en Afrique sub-saharienne entre 2007 et 2009, j’ai eu une porte d’entrée dans les réseaux de femmes qui ont elles aussi fait de la coopération internationale dans un pays du Sud. Plusieurs de ces femmes m’ont ainsi référé d’autres femmes ayant sensiblement le même profil qu’elles et ayant épousé un homme africain qu’elles ont par la suite parrainé. J’ai ensuite publié une annonce de recrutement exposant brièvement mon projet de recherche et mes critères de sélection sur deux pages communautaires Web de la ville de Montréal. Cette méthode s’est avérée très fructueuse et a suscité un intérêt important de la part de femmes engagées dans le processus de réunification conjugale d’un homme non-canadien. En l’espace de quinze minutes après la publication de ces annonces, plus de trente femmes m’ont contactée en privé pour prendre rendez-vous avec moi. Je n’ai pas eu à publier d’autre annonces, la « boule de neige » qui s’est ensuivie ayant suffit à compléter le nombre d’entretiens qui ont mené à la saturation des données. Cette méthode a toutefois fait en sorte que la majorité des répondantes sont des femmes francophones originaires du Québec.

Quand je leur ai demandé la raison de leur intérêt pour mon projet de recherche, quelques femmes m’ont dit vouloir m’aider dans mon projet, croyant que j’aurais peut-être du mal à trouver des répondants. D’autres ont soulevé le fait qu’elles souhaitaient que leur histoire soit entendue, dans l’espoir d’avoir un impact sur les politiques régissant le processus de réunification conjugale, processus qu’elles jugeaient difficile. D’autres encore étaient heureuses de pouvoir se confier à quelqu’un qui ne les jugerait pas. Une femme m’a avouée chercher à comprendre sa propre expérience amoureuse par l’entremise de sa rencontre avec moi et à l’aide des résultats qui émergeraient de la recherche.

L’observation participante

Pour complémenter les entretiens et pour diversifier mes sources de données, j’ai fait dix-huit mois d’observation participante dans deux groupes Facebook de femmes en couple avec un homme non-canadien. Ces deux groupes « en ligne » sont des groupes « fermés », ce qui signifie que l’on ne peut y accéder que sur l’invitation d’un membre de ce groupe et après

qu’une requête ait été faite et acceptée par le ou les administrateurs du groupe. J’ai pris connaissance de ces groupes lors de correspondances avec des participantes interviewées. Deux femmes m’ont suggérée de contacter personnellement les administratrices de chacun des deux groupes pour leur faire part de mes intentions de recherche. Dans les deux cas, mon expérience de parrainage d’un homme non-canadien a été ma porte d’entrée dans la communauté45. Les administratrices des deux groupes m’ont acceptée à condition que toutes les membres du groupe soient d’accord à ce que je les « observe ». J’ai expliqué, dans un texte publié sur le forum de discussion de chacun des groupes, mon projet de recherche, l’éthique, ainsi que l’utilisation projetée des données. Les femmes m’ont donné leur autorisation de lire les discussions, contribuer aux débats et utiliser leurs histoires dans le cadre de mon projet de recherche doctoral, en autant que je garde l’anonymat de chacune des membres. J’ai donc utilisé des pseudonymes lors des citations textuelles tirées des discussions et j’ai parfois changé quelques caractéristiques des femmes et de leur histoire pour garantir la protection de leur identité. L’administratrice d’un des groupes est d’ailleurs devenue une informatrice-clé dans ce projet et me donne régulièrement du feed-back sur mes résultats de recherche.

Ces deux groupes sont assez petits en nombre. On y trouve en général entre 120 et 150 membres dans chacun des groupes, quoique le nombre fluctue un peu au rythme des admissions et des désinscriptions. Dans ces deux groupes, la langue des discussions et des publications est le français, ce qui en limite l’accès aux femmes qui ne savent pas lire et écrire cette langue. Les femmes qui en sont membres sont donc, pour la plupart, des femmes francophones originaires du Québec.

Toutes ne participent pas aux échanges aussi activement. Plusieurs femmes lisent les publications, les commentaires et les discussions, mais ne les commentent pas. Dans la majorité des cas, les femmes affichent leur appréciation des commentaires ou des photos publiés, marquent leur accord face aux remarques et montrent leur soutien face aux

45 Ces groupes peuvent être qualifiés de communauté, dans le sens où les membres partagent des intérêts, des

valeurs et une langue commune. Il y a une évidente cohésion entre les membres. Des rapports d’amitié s’y sont développés et des conflits émergent périodiquement entre les membres.

témoignages d’autres femmes à l’aide de l’application « like »46 qui se trouve au bas de chaque publication. Environ vingt membres participent régulièrement et activement aux discussions dans chacun des deux groupes. On y retrouve des leadeurs dont les opinions sont respectées et consultées et d’autres qui cherchent plutôt du soutien ou des conseils. Certaines femmes se connaissent personnellement et se visitent dans leur vie hors-ligne. Les administratrices et les modératrices du groupe forgent les règles et interviennent en cas de conflit.

Le premier groupe et celui qui a été la source de données la plus importante dans le cadre de ce projet est un groupe de soutien au parrainage. Dans la description du groupe, l’on peut lire :

« Ce groupe est réservé aux femmes canadiennes (seulement) qui parrainent un époux/conjoint d'un autre pays. Il se veut un outil précieux pour nous aider à traverser cette aventure qu’est le parrainage. Que ce soit dans les démarches à effectuer, les étapes de préparation du dossier, nos gros ‘blues’ durant l'attente ou l’arrivée de notre mari, ce groupe pourra certainement vous aider à traverser vos moments d’angoisse, de peine, de colère, mais aussi vos grandes joies et vos réussites ! En résumé, tout ce qui concerne de près ou de loin le parrainage avant, pendant et après ! »

Dans ce groupe, j’ai pu suivre le développement des relations intimes et conjugales que les femmes entretiennent avec des hommes non-canadiens—la majorité des femmes de ce groupe sont en couple avec des hommes originaires du Maghreb—ainsi que le déroulement de leurs démarches de réunification conjugale, avec tout ce que cela comporte d’émotions vives. Ce groupe s’est révélé être une source de données émotionnelles et expérientielles extrêmement riches, un lieu virtuel dans lequel plus d’une centaine de femmes ont discuté entre elles de leur peurs, leurs doutes, leurs joies, leurs frustrations, leurs petits et leurs grands succès et échecs; se sont partagées des trucs sur l’immigration ou sur la mixité conjugale ; se sont chamaillées et se sont soutenues dans les épreuves ou les moments difficiles. Plusieurs femmes qui avaient fait une demande de réunification conjugale ont vu cette demande rejetée par les autorités canadiennes et sont allées chercher de l’aide et des conseils dans le groupe.

46 Le terme « like », sur Facebook, s’applique quand une personne publie un symbole signifiant son accord ou son

D’autres, au contraire, ont été acceptées et sont maintenant réunies avec leur conjoint au Canada. Ces dernières restent généralement dans le groupe et y deviennent des « expertes » en réunification conjugale. Souvent, grâce aux technologies de l’information et de la communication et à l’accessibilité des réseaux sociaux, les femmes publient leurs émotions en direct : « Je suis à l’aéroport ! Je ne sais plus comment me sentir ! » Cet accès un peu voyeur à la vie des femmes, peu importe où elles se trouvaient dans le monde, m’a permis d’avoir une position d’observatrice privilégiée et un regard profond sur l’expérience des participantes.

Le second groupe où j’ai été admise est un groupe de soutien aux femmes canadiennes mariées à des hommes cubains. À l’image de la fondatrice du groupe, la plupart des membres ont rencontré un homme lors d’un séjour de vacances à Cuba, en sont tombées amoureuses et se sont mariées, dans le but d’amorcer les démarches de réunification conjugales. Les discussions qui ont lieu dans ce groupe sont plus variées au niveau des thèmes—les femmes ne se concentrent pas uniquement sur l’immigration de leur conjoint, bien que ce thème soit souvent abordé, mais parlent aussi de la « culture » cubaine, de leur rapport avec leurs beaux- parents cubains, de l’infidélité, etc. Ce groupe s’est aussi avéré très riche, surtout parce que les Cubains sont souvent ciblés dans les discours sur la fraude conjugale. Les questions d’authenticité de la relation intime et de malhonnêteté de certains époux sont donc souvent à l’honneur dans ce groupe où les femmes discutent de leurs histoires réussies, mais aussi de leurs divorces. Plusieurs femmes en sont membres depuis plusieurs années et continuent à publier leurs histoires amoureuses, parfois après un premier divorce avec un homme cubain, ce qui permet d’avoir une perspective longitudinale sur leurs trajectoires conjugales et d’entrevoir les tendances quant aux effets du processus de réunification conjugale. Tout comme dans l’autre groupe, les participantes se comportent comme des amies lors des conversations. Le ton est celui de la camaraderie et les Internautes n’ont pas peur de publier des opinions fortes.

L’observation participante au sein de ces deux groupes en ligne s’est faite de façon quotidienne, à raison d’une moyenne de deux à trois heures d’observation par jour. Le matin, je faisais une recension des sujets de conversation qui avaient été abordés la veille. Je lisais les discussions en cours et celle qui étaient terminées. Je faisais un suivi plus approfondi de celles

qui s’avéraient pertinentes pour mon sujet de recherche ou qui apportaient un éclairage nouveau sur certains thèmes. L’activité sur le forum en ligne était tellement importante et les discussions si vivantes que je n’ai jamais eu à intervenir pour animer les échanges ou pour poser des questions. Certaines discussions étaient très animées et pouvaient se poursuivre sur plusieurs jours. Dans ces cas, j’activais une fonction d’alerte sur la discussion en question, ce qui me permettait de recevoir, par courriel, les additions à la discussion, dès qu’une nouvelle contribution était publiée. Je copiais ensuite les échanges les plus pertinents dans un fichier séparé en prenant soin d’effacer les noms ou pseudonymes des participantes. Seul la date de l’échange initial était sauvegardée. Ces conversations étaient ensuite classées et sauvegardées selon le thème de recherche qui en émergeait, pour en faciliter l’analyse. Ces fichiers représentent un volume de matériel important, soit 72 fichiers thématiques différents. En plus de ces fichiers de texte, je tenais un journal de bord dans lequel je notais quotidiennement mes impressions, certains thèmes émergents des discussions sur les forums de discussion, des réflexions sur le groupe ou les expériences individuelles des membres, les similitudes et

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