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Le « raccrochage » : un objet d’étude récent

Le décrochage scolaire : la construction d’un « problème » social et d’un objet sociologique

3) Le « raccrochage » : un objet d’étude récent

De multiples approches ont donc été mises en œuvre sur la thématique du décrochage scolaire et les recherches entreprises ont permis d’accumuler des connaissances riches et variées sur les caractéristiques des jeunes en décrochage et sur les processus qui les conduisent à décrocher. En revanche, peu de chercheurs se sont intéressés aux raisons qui conduisent certains décrocheurs à reprendre un parcours de formation et cet intérêt est somme toute très récent. Cette faiblesse de traitement sociologique du raccrochage est notamment à imputer au contenu de l’appel d’offre interministériel de 1999 qui portait sur les processus de

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déscolarisation. Les sociologues français ayant investigué la question du décrochage scolaire ces dernières années sont majoritairement ceux qui avaient répondu à cet appel d’offre. Or, ils n’étaient pas mandatés pour questionner la thématique du raccrochage et les processus de rescolarisation mais avaient pour mission de parfaire la connaissance des caractéristiques et des parcours scolaires, sociaux et familiaux des jeunes décrocheurs français.

A partir des années 2000, quelques recherches sur la thématique du raccrochage sont effectuées mais, d’une part, elles ne s’intéressent qu’à un seul type de raccrochage - le retour des jeunes au sein de structures dérogatoires de l’Éducation nationale - et d’autre part, ce sont essentiellement les enseignants de ces établissements scolaires innovants qui en sont à l’origine. Ainsi, Marie-Cécile Bloch et Bernard Gerde, cofondateurs du Collège Lycée Elitaire Pour Tous (CLEPT), ou encore, Nathalie Broux et Éric de Saint Denis, coordinateurs de microlycées, retracent les modalités et les conditions de mise en œuvre de ces dispositifs de rescolarisation et insistent sur la nécessaire transformation des pratiques enseignantes, des contenus pédagogiques et des modalités de fonctionnement pour s’adapter aux particularités de ces jeunes et pour favoriser un raccrochage au long court (Bloch & Gerde, 1998, 2004, 2006 ; Broux & De Saint Denis, 2013).

D’autres recherches (Berger & Francequin, 2005 ; Longhi & Guilbert, 2003) se sont intéressées aux trajectoires scolaires « atypiques » et ont abordé la question du raccrochage sans en faire l’objet d’étude privilégié de leurs enquêtes. Cette thématique n’apparaît qu’à travers une présentation des différentes possibilités de raccrochage qui s’offrent aux jeunes sortis précocement du système éducatif ou qui font face à d’importantes difficultés scolaires ; ces possibilités semblant être réduites aux offres scolaires alternatives ce qui témoigne là encore du privilège accordé dans les différentes études au registre scolaire du raccrochage48. En outre, si la fréquentation de ces différentes structures est présentée comme ayant été indispensable pour que les élèves « sortent de leur impasse scolaire » et puissent « rejoindre un cycle long » (Berger & Francequin, 2005, p.121), nous n’avons pas accès aux mécanismes qui, à l’intérieur de celles-ci, ont justement permis à ces jeunes de dépasser leur appréhension négative de la scolarité.

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Bergier et Francequin présentent ainsi les structures alternatives (Maisons Rurales et Familiales, lycées publiques alternatifs), les classes passerelles (cours complémentaires, secondes spéciales, premières d’adaptation) ou encore les possibilités de « contournements du bac » (capacité en droit, DAEU, centre expérimental de Vincennes).

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De par son titre évocateur, le dossier « Décrocheurs … comment raccrocher ? » des Cahiers Pédagogiques de juin 2006, aurait pu nous faire croire à un resserrement de la focale sur les parcours de raccrochage des jeunes. Pourtant, là encore, la parole est laissée aux enseignants exerçant dans les structures de raccrochage et les différents articles proposés dans ce dossier thématique consistent en un développement de diverses recommandations sur les conduites à tenir ou à bannir pour favoriser l’investissement scolaire des élèves décrocheurs. Certes, ce dossier présente quelques « paroles de décrocheurs » mais celles-ci ont davantage vocation à illustrer les recommandations des enseignants qu’à éclairer les motivations de ces jeunes au raccrochage.

Toutefois, depuis 2012 et le développement puis le renforcement du volet de remédiation de la lutte contre le décrochage scolaire, quelques sociologues ont entrepris de se saisir de la thématique du raccrochage. Pirone et Rayou (2012) s’intéressent ainsi aux microlycées afin de questionner la place de l’école dans la société, ses présupposés et ses limites, et la manière dont ce type de dispositif repense la forme scolaire classique pour s’adapter à « des jeunes qui, ne se comportant pas toujours comme des élèves ordinaires, contraignent à infléchir des attentes classiques » (2012, p.1). Les auteurs soulignent que le travail effectué par ces structures - tant sur l’espace et le temps scolaires - révèle les contradictions du fonctionnement de l’école et manifeste une volonté de les dépasser. Pirone (2015) précise que les microlycées fonctionnent comme des « intermédiaires scolaires » et permettent grâce à des relations horizontales et individualisées de renouer avec les exigences de la forme scolaire. Toutefois, là encore, les motivations des jeunes à intégrer ces dispositifs ne sont pas traitées, et si ces recherches permettent d’esquisser une partie des raisons qui soutiennent leur présence au sein des microlycées, elles n’apportent guère d’information sur les motifs de raccrochage et sur les processus d’abandons en cours de reprise de formation, comme le reconnaît Pirone : « l’enquête n’a pas permis de rendre intelligibles les processus précis de différenciation entre ceux qui atteignent les objectifs du raccrochage et ceux qui ne les atteignent pas » (Ibid., p.154).

L’ouvrage collectif À l’école de l’autonomie publié fin 2015 permet d’ouvrir les perspectives et de ne pas rester centré sur des voies de raccrochage purement scolaire. Les analyses proposées dans les différentes contributions délaissent en effet les microlycées et les structures dérogatoires de l’Éducation Nationale pour s’intéresser spécifiquement au

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fonctionnement de plusieurs dispositifs dédiés à l’insertion professionnelle des décrocheurs49, et à la manière dont ils prennent en charge ces jeunes. Mazaud et Morel (2015) relèvent que les injonctions à l’efficacité formulées par les commanditaires et financeurs de ces dispositifs ont des effets majeurs dans le processus de sélection des jeunes mais également sur les contenus des formations. Bernard, David, Denecheau et Gosseaume (2015) reviennent quant à eux sur les parcours des jeunes accueillis dans ces dispositifs pour comprendre leurs attentes, et soulignent l’instabilité, la précarité mais également l’hétérogénéité de leurs trajectoires. Si une majorité d’entre eux a quitté l’école avant l’obtention d’un diplôme, les raisons avancées à ce décrochage divergent. De plus, alors que certains ont par la suite occupé un emploi, souvent précaires, d’autres ne sont pas parvenus à entrer sur le marché du travail. Certains ont également pu bénéficier de l’appui financier de leur famille, quand une partie des jeunes a rompu tout lien avec la sphère familiale. Les auteurs concluent que cette hétérogénéité des parcours et des situations donne lieu à une variété d’attentes à l’entrée dans les dispositifs avec lesquels les professionnels doivent composer - une attente d’aide, d’intégration ou de qualification - et qui peuvent être reformulées au gré des difficultés rencontrées au sein du dispositif. Dans une autre contribution, Houdeville (2015) s’intéresse aux fonctionnements des Épide et à ses effets. Il note qu’ils permettent de forger un ensemble d’attitudes favorables à l’employabilité et, plus encore, qu’ils affectent l’ « identité toute entière du jeune » en le dotant d’outils de construction de soi.

Les apports de ces différents travaux sont indéniables et seront mobilisés tout au long de ce travail. Ils permettent d’affiner la compréhension des modalités de fonctionnement de ces dispositifs et les manières dont les jeunes s’en saisissent. On regrette toutefois que les parcours menant jusqu’à l’entrée dans ces dispositifs soient principalement abordés de manière « statique » à travers une description des caractéristiques des jeunes et de leur parcours (essentiellement réduit à leurs trajectoires scolaire et professionnelle). Les logiques d’actions qui procèdent de l’entrée dans les dispositifs, bien qu’abordées, laissent dans l’ombre le discours des jeunes sur les conditions d’élaboration de la décision de raccrocher. Elles sont réduites à leurs attentes au moment de leur inscription dans le dispositif, elles-mêmes envisagées à partir de leur situation économique et sociale et sans réelle mise en lien avec les processus de décrochage et les activités investies après l’arrêt scolaire. Cette absence de prise en considération de l’expérience scolaire antérieure nous semble également

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Il s’agit en l’occurrence d’une E2C, d’un Épide, d’un dispositif d’insertion professionnelle d’une Chambre des métiers et de l’artisanat et d’un dispositif proposé par un organisme de formation travaillant avec un centre éducatif.

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problématique dans la restitution des expériences des dispositifs : n’y a-t-il pas de différences dans l’appréhension des modalités de raccrochage proposées dans ces formations suivant les raisons qui ont mené aux ruptures scolaires ? Si Bernard, David, Denecheau et Gosseaume notent que les jeunes rencontrent au sein du dispositif une série de difficultés (liées aux stages, aux relations aux formateurs, aux séquences de remise à niveau scolaire ou encore à l’élaboration du projet professionnel), on ne sait pas pourquoi de telles modalités de fonctionnement sont vécues par certains comme des « heurts ou malheurs » alors qu’elles sont plébiscitées par d’autres. Par ailleurs, la question des abandons qui surviennent au sein des ces dispositifs et dont les auteurs notent qu’ils sont de l’ordre de 30% trouve peu de réponses : « Le seul constat qu’on puisse établir est que ces jeunes quittant prématurément l’E2C sont un peu plus jeunes que la moyenne, surtout quand il s’agit d’exclusions, et que ce sont plus souvent des garçons que des filles » (2015, p.152). Enfin, et alors que cet ouvrage affichait l’intention d’éclairer les effets d’une prise en charge dans ces dispositifs, ces derniers sont essentiellement abordés sous l’angle identitaire et symbolique, en privilégiant les effets d’un passage par un Épide, et s’appuient sur un corpus d’entretiens réduit du fait des difficultés rencontrées par les chercheurs pour reprendre contact avec ces jeunes après leur sortie (15 jeunes recontactés pour les Épide et 7 pour les E2C et autres dispositifs). On ne sait guère comment ces jeunes sont accueillis sur le marché du travail après un passage par ces dispositifs ou encore comment se déroule le retour à la forme scolaire pour les jeunes qui rejoignent des formations (qualifiantes ou diplômantes) à leur sortie de ces structures. Ces effets symboliques de « requalification » ou de « pacification des relations » se maintiennent-ils en cas de revirements ou de désillusions à la sortie des dispositifs ? Sont-maintiennent-ils propres aux Épide ? Quels sont les effets des autres dispositifs de remédiation ?

Joël Zaffran s’intéresse également aux Épide et pose un regard plus large sur les parcours de raccrochage en retraçant à la fois les raisons de recours à ce dispositif et de maintien au sein de celui-ci (2015a ; 2015b). À travers une démarche compréhensive et monographique, il analyse l’expérience qu’en ont les jeunes et souligne l’importance de considérer les attentes qu’ils nourrissent à leur entrée dans le dispositif et l’activité réflexive entreprise pour donner du sens à leur présence, qui articule l’ensemble des expériences passées et les projections dans l’avenir. En s’appuyant sur le concept d’engagement élaboré par Becker, il insiste également sur la nécessité de distinguer le raccrochage (s’engager dans le dispositif) de l’accrochage (être engagé dans le dispositif) en considérant le pari adjacent formulé par les jeunes. En croisant les dimensions de la « vocation » - le sentiment d’accomplissement au sein du

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dispositif - et du « projet » - la fonction que le jeune attribue au dispositif -, il dégage trois types d’expériences. Les « engagés » représentent les jeunes qui portent un projet militaire et dont la vocation s’articule parfaitement à la forme militaire proposé par les Épide. Les « parachutés » adhèrent aux normes et valeurs du dispositif par routine plus que par conviction. Leur engagement se fonde sur une volonté prégnante de concrétiser leur projet professionnel. Enfin, les « déserteurs », dont le profil est propice aux abandons prématurés, n’ont ni projet professionnel ni appétence particulière pour la forme militaire et voient dans la fréquentation du dispositif une menace identitaire. Pour ces jeunes, les liens avec le groupe de pairs en dehors du dispositif sont encore forts et entravent la « socialisation épidienne » et leur intégration.

Sur le plan du raccrochage, Joël Zaffran montre que la décision de s’inscrire dans un tel dispositif procède des situations de vulnérabilité et d’ennui dans lesquelles les jeunes sont enfermés et souligne l’importance à la fois de la fonction de maturation du temps dans l’émergence des volontés de changement, puis d’un événement dans la prise de décision. Ses constats rejoignent pour partie les quelques enquêtes québécoises s’étant intéressées à cet objet d’étude. En effet, plusieurs chercheurs québécois se sont emparés de la question du raccrochage dès le début des années 90 (Assogba, 1992) et l’ont abordée à travers des méthodologies quantitatives (Raymond, 2008) et qualitatives (Bouchard, St-Amant, 1994 ; 1996). Ils montrent que l’insatisfaction salariale et les sensations d’un avenir bloqué sont autant de conditions propices à un retour aux études et que la « persévérance » dans le raccrochage est indexée à un accompagnement éducatif adapté (Cauvier, Desmarais, 2013 ; Marcotte et al, 2011) et un soutien d’ordrefamilial et financier (Bouchard, St-Amant, 1994). Ce tour d’horizon des différentes recherches menées sur le raccrochage permet donc de constater que la question des retours en formation des décrocheurs est relativement récente, et qu’elle reste encore peu investie. À la manière des premières enquêtes qui portaient sur le décrochage scolaire, les sociologues ont entrepris de privilégier un type de dispositif de remédiation (scolaire ou professionnel), un aspect de leur fonctionnement (leur mode de sélection, leurs prérogatives, les méthodes pédagogiques à l’œuvre, leur perception par les jeunes, par les professionnels ou par les commanditaires, ...), un moment particulier des trajectoires (l’orientation vers le dispositif, la présence dans le dispositif) et ont plus ou moins laissé la part belle à la subjectivité des acteurs (jeunes ou professionnels) selon les méthodologies adoptées. L’appréhension de ces parcours n’est donc pas globale et leur

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connaissance reste fragmentée. En outre, la question des abandons en cours de formation reste absente des analyses.

C’est donc ce constat qui nourrit nos questionnements de recherche et guide notre ambition de retracer l’ensemble des parcours de raccrochage, en prenant en compte les processus menant au décrochage scolaire, les modalités de construction de la décision de raccrocher, les processus d’orientation des jeunes vers les dispositifs, les leviers d’engagement et de désengagement dans les formations proposées et les conséquences symboliques mais également sociales et professionnelles d’un passage par ces dispositifs, que la formation fut achevée ou non, et à court et moyen terme.

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Face aux bouleversements économiques, sociaux et culturels qui ont affecté la société française depuis les années 70, le décrochage scolaire est aujourd’hui appréhendé comme un risque pour le bien-être individuel et collectif et mobilise l’attention des instances décisionnelles européennes, nationales et régionales. La mise sur agenda politique de cette thématique a coïncidé avec son introduction dans la sphère scientifique. De nombreux chercheurs, appartenant à divers champs de recherche des sciences humaines, se sont emparés de cet objet d’étude et ont permis de comprendre les processus qui conduisent au décrochage scolaire. Mais si nous avons aujourd’hui une connaissance assez fine des causes du décrochage, l’appréhension récente du raccrochage fait apparaître des difficultés à retracer les étapes composant les trajectoires de retours en formation. En conséquence, notre travail vise à restituer l’ensemble du parcours de ces jeunes qui décrochent et raccrochent, le sens qu’ils donnent à celui-ci, la perception qu’ils en ont et les motivations qu’ils avancent pour justifier de leur décrochage, de leur raccrochage et de leur accrochage - ou non - au dispositif. Au-delà de s’intéresser à leurs parcours au sein du système éducatif et au sein de ces dispositifs, nous porterons l’attention sur l’ensemble des configurations sociales et personnelles dans lesquelles les jeunes sont insérés. En effet, les résultats des différentes enquêtes menées sur le décrochage scolaire justifient notre volonté de s’intéresser à l’ensemble des contextes de vie pour mieux mettre au jour la dynamique des parcours et les mécanismes sociaux de production des décisions. Il s’agira également de restituer le fonctionnement des différents

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dispositifs de raccrochage, en ne nous focalisant pas uniquement sur l’offre scolaire alternative qui ne constitue qu’une offre de raccrochage parmi d’autres, mais en dirigeant également notre attention vers des dispositifs qui visent l’insertion professionnelle et sociale des non-diplômés. Ces modalités de fonctionnement seront mises en lien avec le sens que les jeunes leur donnent. Enfin, nous nous intéresserons à l’influence de ces trajectoires scolaires et postscolaires « atypiques » sur les parcours biographiques de ces jeunes, tant sur le plan personnel que social et professionnel.

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Chapitre 2

Raconter l’ « histoire du raccrochage » : le

« processus » comme support d’analyse du temps

Une grande majorité des jeunes que nous avons rencontrés ont affirmé qu’au moment de leur décrochage il était hors de question pour eux de reprendre un jour le chemin de l’école ou de se réinscrire dans quelle que formation que ce soit. Pourtant, quelques mois ou quelques années plus tard, le raccrochage devint pour eux une option légitime puis une option incontournable. Comment comprendre ce revirement de situation ? Quel cadre théorique et quels outils conceptuels mobiliser pour rendre compte de telles bifurcations ?

La volonté de spécifier notre démarche doit être comprise à l’aune des multiples désaccords qui animent les chercheurs lorsqu’il s’agit de prendre en compte « le temps » et « le contexte » dans l’analyse des phénomènes sociaux. En effet, s’il est aujourd’hui reconnu que les phénomènes sociaux se caractérisent par leur inscription dans des dimensions temporelle et contextuelle qui leur confèrent leur singularité, imposant de ce fait aux sociologues de ne pas faire l’impasse de leur analyse, les manières dont ces deux dimensions sont prises en compte et dont elles ont été théorisées puis conceptualisées diffèrent fortement ; à tel point qu’aucun des procédés ne fait aujourd’hui l’unanimité. Approches causales contre approches multivariées, approches synchroniques contre approches diachroniques, déterminations du passé contre déterminations du présent, le changement contre la stabilité, la permanence contre l’évolution, les temporalités de l’individu contre les temporalités de l’institution, la « trajectoire » contre la « carrière », les dispositions contre l’expérience, les acteurs contre les sujets, les sujets contre les agents, l’objectivisme contre le subjectivisme, les approches ethnographiques contre les approches statistiques, etc. Tout nous pousse donc à « choisir un camp ». Pour autant, « choisir un camp » n’est pas encore le gage de trouver une homogénéisation des théories et des méthodologies tant les modèles explicatifs se multiplient et que les frontières entre ces différents « camps » tendent à s’effacer.

Dans une première partie, nous reviendrons sur les raisons qui ont motivé notre choix de faire de la dimension temporelle un axe central de l’analyse puis nous préciserons en quoi ce choix

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nous a amené à appréhender le raccrochage sous l’angle d’un « processus » plutôt que sous l’angle d’une « carrière », d’une « trajectoire » d’un « itinéraire » ou encore d’un « flux ». Une seconde partie sera l’occasion de questionner la manière avec laquelle les sociologues ont travaillé le temps et le potentiel explicatif qu’ils lui ont accordé pour appréhender l’action des individus : faut-il se référer au passé des acteurs pour comprendre leurs pratiques ou ne s’intéresser qu’à leur situation présente ? C’est à partir d’un état de l’art des théories sociologiques classiques que nous prendrons le parti d’articuler la prise en compte d’un « temps court » et d’un « temps long » dans l’analyse du processus de raccrochage. Pour ce faire, nous nous appuierons sur le « modèle bifurcatif » tel que défini par de Coninck et Godard (1990) et le processus de raccrochage sera divisé en trois séquences : la séquence de