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Le rôle d’autrui dans l’apprentissage en situation de travail

CHAPITRE 5 : PRESENTATION ET DISCUSSION DES RESULTATS

5.1. Eléments du parcours professionnel des DSP qui relèvent des théories de l’apprentissage en

5.1.3. Le rôle d’autrui dans l’apprentissage en situation de travail

Tenant compte des théories de l’apprentissage en situation de travail et plus particulièrement du rôle de l’environnement social sur le développement du sujet, nous voulons maintenant reporter des éléments qui nous permettent d’affirmer que l’apprentissage sur le terrain peut résulter d’une relation ou d’une confrontation avec autrui, lesquelles commencent avec des moments primordiaux tels que l’accueil et le soutien initial (« l’école a été très! cordiale, dans le sens qu’ils savaient que j’arrivais, que j’étais jeune et sans expérience », Linde, ll.168-169).

À partir des témoignages recueillis, il émerge la nécessité de différencier les catégories d’autrui avec lesquelles les DSP se trouvent en interaction. En effet, il s’agit de relever des différences remarquables au niveau des relations interpersonnelles selon le statut professionnel des différents collègues (Cf. Chap. 5.2.2.). D’une façon générale, le fait de se confronter avec autrui est une occasion pour revisiter ses actions et, par conséquent, pour affiner son profil professionnel (« Petit à petit on précise.. ehm... un peu ses techniques si l’on veut [!] cela a été engendré de la collaboration et de la confrontation avec les autres enseignants de soutien. Il y a donc toutes des phases que nous suivons », Hélène, ll.543-545). Plus particulièrement, en ce qui concerne l’apprentissage en situation de travail, ce sont les collègues DSP, les enseignants ordinaires et les chefs d’équipe qui

apparaissent comme des figures déterminantes pour la construction professionnelles des enseignants de soutien pédagogique.

Tenant compte du fait que les DSP ne travaillent pas directement en contact avec d’autres professionnels du même statut, les rencontres en équipe ou hors de l’école s’avèrent pour certains d’entre eux particulièrement utiles pour pouvoir se confronter au niveau de leur pratique professionnelle et des différents enjeux de leur secteur de travail. Pour la plupart des participants (en particulier chez David, Nadine, Aline, Marlise, Hélène, Linde), il émerge l’importance de parler directement avec des pairs - surtout ceux travaillant dans le même bâtiment scolaire, et donc repérables dans l’immédiat - tout en se comparant et en échangeant avec des personnes d’une même catégorie professionnelle (« la référence principale c’était vraiment le collègue enseignant de soutien », Hélène, ll.318-319 ; « j’ai beaucoup de collègues: avec plusieurs années d’expérience et qui m’ont vraiment introduite à ce qu’il est l’ABC de l’enseignant de soutien », Hélène, ll.291-294). De plus, les échanges avec d’autres DSP se font non seulement dans le but d’apprendre des techniques du métier et des façons de faire face à des situations données, mais aussi pour comprendre les différents enjeux reliés à ses propres modes d’intervention. De ce fait, la confrontation à autrui peut se révéler une source importante pour la construction de la professionnalité (« Mais on se doit encore se construire\. C’est vrai, la première année puis il fallait demander à droite et à gauche, mais aussi par la suite. Même après j’ai en tout cas continué à demander », Aline, ll.246-247). À la lumière de ces considérations, les pairs apparaissent comme des ressources importantes permettant d’orienter sa propre action professionnelle, surtout dans un métier comme celui du DSP où la personne est plongée dans un milieu de travail sans aucune préparation au préalable et sans aucune figure - de l’ordre du tutorat notamment - pouvant l’accompagner dans l’entrée dans le métier.

Suite à ces constats apparaît l’importance de pouvoir se sentir libre de poser des questions, de remettre en question sa pratique, d’affirmer ses difficultés et de revenir sur ses propres erreurs. Il émerge alors la valeur de se sentir dans un climat de sécurité psychologique pour que les apprentissages en situation de travail soient favorisés (« je pouvais demander [..] pour moi c’est la meilleure façon d’apprendre sur le terrain et voir, pouvoir demander et expérimenter », Aline, ll.182-184).

Dans cette optique, Aline reporte l’exemple d’un DSP débutant qui interroge continuellement ses collègues pour savoir comment faire et pour apprendre à agir (« Maintenant d’où je suis partie, il y a une année une jeune qui vient de terminer ses études vient de débuter [!]. C’est évident que les autres collègues savent qu’elle vient de terminer d’étudier, donc elle dois encore s’intégrer un peu [!]. Elle aussi l’année passée demandait beaucoup à moi, dans le sens que évidemment et justement tu es là », Aline, ll.228-234). Ces constats renforcent l’idée selon laquelle les pairs sont une grande ressource permettant d’orienter les actions professionnelles, cela surtout à l’entrée dans la profession.

Cependant, malgré l’importance primaire accordée aux collègues du même statut, les enseignants ordinaires jouent aussi un rôle important en ce qui concerne l’apprentissage en situation de travail des DSP (« il y a en tout cas aussi les collègues enseignants! Donc pour moi c’est un échange fructueux

dans toutes les directions », David, ll.252-253), ce qui peut résulter tant d’une aide indirecte que d’un support direct. Dans le premier cas, il s’agit alors de toute information qu’un DSP intègre d’une analyse de l’action des enseignants, effectuée surtout lors des observations de classe (« Il faut observer beaucoup. Il faut traire de ce qu’on voit et qui peut fonctionner aussi pour toi/ à partir des enseignants eux-mêmes. Car l’un te donne une chose et l’autre une autre », Nadine, ll.297-298 ; « j’ai également appris beaucoup à partir des enseignants titulaires de façon indirecte », Hélène, l.307), mais aussi à travers la consultation du matériel scolaire. Par exemple, Marlise cite prendre des initiatives à partir de ce qu’a fait l’enseignant de sa fille (« certaines méthodes qui sont utiles aux enfant je les ai même prises de l’enseignant de ma fille », Marlise, ll.519-520). Dans le deuxième cas, il s’agit d’un soutien direct que les enseignants fournissent au DSP, notamment à travers une aide, des conseils ou des avis concrets (« On se base sur ce que disent les enseignants. Parce qu’en tout cas aussi ceux-ci sont une bonne source d’aide », Laurence, ll.241-242).

Ensuite, il faut considérer la figure du chef d’équipe. À partir de nos données, il ressort que la valeur attribuée au rôle de ce professionnel diffère selon les participants. Pour la plupart des DSP interviewés (David, Nadine, Aline, Marlise, Hélène, Linde), le chef d’équipe représente une figure plutôt de cadrage vers laquelle s’adresser pour valider des choix particuliers ou pour obtenir des conseils par rapport à une situation particulièrement compliquée, tout en jouant alors un rôle important mais qui n’influence pas significativement la pratique des sujets (« Le chef d’équipe est devenu pour moi la personne de référence très:! [!] Importante pour les situations vraiment particulières », Linde, ll.247-250). Par contre, il y a deux autres positions en contradiction entre elles qui peuvent caractériser la figure de ce professionnel : d’un côté, le chef d’équipe est vu comme une ressource très disponible qui accompagne intensément le professionnel dans son parcours de professionnalisation (« je dois admettre que là j’ai eu de la chance, parce que j’ai eu un chef d’équipe très disponible », Sabine, ll.97-98 ; « Ce que je recherche/, [!] c’est.. de faire une évaluation, une confrontation avec le chef d’équipe par rapport aux situations rencontrées », Sabine, ll.359-360) ; d’un autre côté, le chef d’équipe est décrit comme une figure détachée et plutôt absente, ce qui au début a engendré un sentiment de solitude et d’abandon chez le DSP débutant (« il m’a un peu abandonnée », Laurence, l.329).

Au final, il ressort que les affordances peuvent être tant sociales que matérielles. Premièrement, elles se situent surtout au niveau des collègues DSP, des enseignants ordinaires et des chefs d’équipe ; les autres professionnels, tels que les spécialistes du SSP, ne sont que très peu mentionnés dans les témoignages recueillis. Deuxièmement, elles sont représentées par toute ressource matérielle qui se trouve dans l’environnement, tant au niveau du bâtiment scolaire qu’ailleurs, comme par exemple le centre didactique du DFA (« moi les mercredi après-midi je les passais au centre didactique pour rechercher des informations\, mh, car tout cela MANQUE en ce qui concerne la formation à l’uni », Hélène, ll.293-294). C’est ainsi que « les individus n’apprennent pas seulement en situation, mais les propriétés matérielles et sociales de la situation (la configuration

de l’environnement matériel, les significations sociales, etc.) font partie intégrante de ce qu’ils apprennent » (Filliettaz, 2008, p.52).

Il s’agit aussi de souligner le fait que nos entretiens ont fait émerger que l’engagement individuel est un ingrédient central dans la pratique des DSP, ce qui renforce l’idée selon laquelle ces professionnels doivent continuer à se former par eux-mêmes sur le terrain, afin d’adapter leur profil aux enjeux du milieu auquel ils sont confrontés. En effet, il peut y avoir une certaine sensation de s’être développé principalement grâce à une implication individuelle, comme c’est le cas pour Laurence, qui affirme avoir agi seule pour trouver par elle-même les voies d’action (« je n’avais pas de mesure de confrontation », Laurence, ll.256-257). De ce fait, il apparaît que dans plusieurs situations c’est le DSP lui-même qui doit se mobiliser afin de rechercher le type d’aide dont il a besoin (« il faut aussi que tu fais ta partie, dans le sens que: moi les mercredi après-midi je les passais au centre didactique pour rechercher des informations », Hélène, ll.293-294). Les témoignages mettent ainsi en évidence le rôle proactif adopté dans la démarche d’engagement, donc le fait que si un DSP a besoin d’un certain support, c’est à lui-même de se mobiliser et d’aller le trouver hors de sa classe, que cela soit dans son bâtiment ou ailleurs. À ces propos, Hélène affirme que cette volonté doit venir de soi-même (Hélène, l.339). Cette mobilisation reste indispensable pour faire en sorte que l’enseignant de soutien pédagogique sache comment orienter ses interventions. Ainsi, elle résulte du contexte de travail propre aux DSP, ce qui fait que, même dans un climat pauvre en sécurité psychologie, le professionnel se trouve obligé de réagir pour pouvoir apprendre à déployer ses actions (« Mais là aussi c’est moi qui s’est débrouillée », Laurence, l.236).

D’une façon générale, « l’action efficace d’un professionnel dépend pour une large part de la qualité du couplage entre la mobilisation adéquate de ses ressources incorporées et l’utilisation des ressources de son environnement » (Le Boterf, 2010, p.53). Toutefois, pour qu’il y ait apprentissage en situation de travail, il faut qu’il y ait accès aux affordances. À partir des entretiens recueillis, il apparaît que les différents DSP ont toujours réussi à accéder à des ressources par des voies différentes. Cependant, cela s’est avéré pour certains particulièrement coûteux, tant au niveau du temps investi (« le temps il faut se le prendre, voilà », Marlise, l.364), qu’au niveau émotionnel (« le sentiment initial est en tout cas un peu celui de solitude, que l’on se retrouve seul et qu’il faut se débrouiller », Laurence, ll.296-297). Plus particulièrement, ce sont Hélène et Laurence qui font émerger une sensation d’efforts majeurs au niveau de la recherche de ressources. En étant les plus jeunes DSP que nous avons rencontrées, il s’agit de tenir compte du fait qu’elles ont vécu plus récemment la phase initiale où l’accès aux affordances est une exigence qui s’impose et qui demande davantage d’engagement personnel : ce qui est censé rendre plus actif dans les souvenirs l’investissement effectué à ces propos. Par contre, pour les autres DSP interviewés en général, l’accès aux ressources est considéré comme quelque chose qui s’est présenté tout au long d’une démarche graduelle de découverte progressive, caractérisant une évolution linéaire du bagage de connaissances faite à travers l’expérience (« C’est ainsi que là on construit petit à petit son

parcours et on commence à mettre ensemble les morceaux. Mais c’est des morceaux qui se rassemblent au fur et à mesure, petit à petit », Marlise, ll.79-80).

5.1.4. Le caractère situé des contextes d’apprentissage en situation de