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CHAPITRE 3 : CADRE THEORIQUE

3.5. La collaboration et l’interaction dans le métier de DSP

Une notion indispensable pour traiter tout métier humain15 tel que le DSP est celle de collaboration, celle-ci impliquant de son côté le concept d’interaction à entendre comme « une dynamique transactionnelle, construite dans une dimension temporelle, entre deux ou plusieurs individus » (Maubant, Clénet & Poisson, 2011, p.7). Plus en détails, une collaboration authentique se définit par des relations volontaires visant à résoudre un problème ou à innover, tout en se donnant des buts communs entre collègues. Par contre, une collaboration forcée ne sera pas automatiquement efficace et ne résultera pas de manière bénéfique pour le profil des parties impliquées (P.E. Leonard & L. Leonard, 2001). D’ici ressort un développement personnel et collectif se faisant dans des styles d’interaction précis.

15 Expression utilisée par l’un de nos participants (Cf. entretien Hélène, l.506).

De plus, la collaboration implique des relations tant de partenariat que de coopération : les premières portent sur la qualité des interactions (rapport d’égalité et de reconnaissance de l’autre), alors que les deuxièmes concernent la structure même de la collaboration (partage des responsabilités) (CSSP, 2010). Plus particulièrement, le SSP est dans sa nature même structuré sur la base d’un réseau composé par de multiples acteurs, ce qui impose une collaboration allant vers un but commun, notamment des interventions le plus adaptées possibles auprès d’élèves en situation de désadaptation scolaire (CSSP, 2008). C’est ainsi que la prise en charge des besoins spécifiques d’un enfant donné n’est possible que grâce à une analyse globale de la situation et à des attitudes coopératives et de partenariat de la part de tout acteur impliqué.

À ces propos, les travaux de Thomazet, Ponté et Mérini (2011) décrivent le maître E - l’enseignant spécialisé chargé des aides spécialisées à dominante pédagogique, notamment une figure professionnelle ayant des fonctions similaires à celles du DSP - comme étant « à la fois le concepteur, le coordonnateur, le régulateur et l’évaluateur des actions d’aide » (p.110). Ce type d’enseignant est alors considéré par les enseignants ordinaires comme à la fois un expert et un collègue ; il est alors vu comme une figure centrale dans un système d’acteurs pluriel. De ce fait, ce professionnel ne peut pas agir seul, mais il peut compter sur le fait que chaque partie impliquée participe activement dans le projet. C’est ainsi que la collaboration est à entendre au sens d’un partage du travail, donc d’une mise en commun d’apports personnels, selon l’idée qu’en groupe on peut obtenir davantage de résultats que seul (Jovillet-Blanchard et Blanchard, 2004).

À partir de cette idée de constructivisme interactionnel, il s’avère opportun de faire une comparaison avec le processus enseignement-apprentissage cité par Altet (2002) et décrit comme

« un travail interactif d’ajustement, de négociations, de transactions et de compromis permanents entre les acteurs en situation » (p.87). Dans cette perspective, le DSP apparaît comme un travailleur de l’interaction (Tardif & Lessard, 2004), donc comme un professionnel qui n’agit jamais seul. De plus, le métier en question se déroule à chaque fois dans un contexte singulier tant au niveau de la problématique à prendre en charge qu’au niveau des acteurs impliqués. Il y a donc la nécessité de co-construire à chaque fois un projet d’intervention en collaboration avec autrui, ce qui ne se révèle efficace que grâce à une implication individuelle de la part des différentes parties ainsi qu’à la possibilité de négociation. Par conséquent, il s’agit d’une « construction par les acteurs d’un subtil équilibre d’accords et de désaccords entre les diverses logiques d’action, résultat de négociations et de compromis, qui permet d’atteindre l’objectif fixé » (ibid., p. 92).

D’ici émerge l’importance de la communication et des interactions pédagogiques dans tout milieu d’enseignement, celui-ci étant « un processus interactif, interpersonnel et intentionnel qui utilise les interactions verbales et non-verbales pour atteindre un objectif d’apprentissage » (Altet, 1991, cité par Altet, 1994 p.125). À partir de ces propos, il ressort que toute interaction dont le but ultime concerne la situation scolaire de l’élève, est considérée comme une intervention pédagogique où il

y a une interaction constante non seulement au niveau verbal, mais aussi au niveau des perceptions, des attentes, des représentations et des rôles d’autrui, par exemple (Altet, 1994).

3.5.1. La collaboration dans le métier de DSP

Par rapport à notre objet d’étude, il y a interaction tant entre élèves et DSP qu’entre ce dernier et les autres acteurs impliqués dans le projet pédagogique, mais aussi entre DSP et le système scolaire au sens large (établissement scolaire, direction, DFA, etc.). Plus précisément, soit au niveau de l’intervention directe (auprès de l’élève lui-même) que de celle indirecte (planification et analyse de l’intervention), un DSP se trouve constamment dans une situation d’interaction pédagogique où il s’agit de traiter un certain type d’information, tout en agissant dans un contexte dense en interrelations. En effet, en reprenant et en élargissant les propos d’Altet (1994), il émerge que le SSP représente un milieu social spécifique où il y a plusieurs partenaires de l’interaction, chacun desquels a des rôles et des statuts différents. De ce fait, le DSP se trouve dans un réseau de connexions variées, mais portant toutes sur un même objet d’intérêt, notamment la situation de désadaptation scolaire de l’élève. Il s’avère alors nécessaire de faire en sorte que la multiplicité des acteurs collabore, malgré le fait que chacun d’entre eux provient d’une culture et d’un milieu différents.

C’est ainsi que, d’un côté, il faut que chaque partenaire collabore et participe à un même projet pédagogique au niveau d’un réseau particulier du SSP. Les différents acteurs et professionnels doivent donc interagir afin de trouver une piste possible à suivre pour apporter l’aide nécessaire à l’élève en situation de désadaptation scolaire. Il faut ici veiller à des interactions pacifiques et être prêt à écouter l’avis d’autrui, tout en évitant de tomber dans des jeux de pouvoir. D’un autre côté, au niveau d’une équipe de DSP, il est primordial que chaque professionnel puisse se sentir libre de partager ses doutes et les situations qui lui posent problème, dans le but de trouver une solution à son problème et - peut-être - d’améliorer sa pratique. C’est dans cette perspective qu’il s’agit de penser au milieu scolaire en général comme à une communauté où le collectivisme prévaut sur l’individualisme (P.E. Leonard & L. Leonard, 2001).

À partir de ces propos, nous nous appuyons sur des auteurs tels que Jovillet-Blanchard et Blanchard (2004), qui introduisent le concept d’horizontalité pour souligner l’idée que, malgré les différents statuts des professionnels en interaction, il faut viser à une équité au niveau du pouvoir en ce qui concerne la participation à un même projet. Ceci représente en effet la base pour la création d’une collaboration moins tendue et davantage efficace. Dans ce sens, c’est un certain rapport de proximité qui « favorise l’engagement des personnes en tant que partenaires de la connaissance » (ibid., p.316).

D’ici émerge l’importance de l’horizontalité, non tant au niveau du statut professionnel - lequel, au fond, reste une asymétrie souvent nécessaire - mais plutôt sur le plan relationnel, tout en considérant qu’un tel rapport est censé inscrire les individus dans des relations de confiance

réciproque favorisant un engagement et des échanges majeurs. Ainsi, « la coopération ne s’ouvre sur une communication constructive inédite, porteuse d’innovations que si les personnes sont reconnues comme des pairs pouvant apporter chacun des éléments d’une égale valeur » (Jovillet-Blanchard et (Jovillet-Blanchard, p.327). Dans ce sens et dans de telles relations, chacun contribue en apportant sa pierre à la construction de l’objet visé, ce qui se trouve être le projet pédagogique dans le cas du SSP.

3.5.2. Collaboration entre DSP eux-mêmes

Comme annoncé auparavant, les DSP ne sont pas confrontés à une seule collaboration relevant uniquement du SSP, mais ils font aussi partie d’autres interactions, comme par exemple celles inhérentes à l’équipe régionale. Dans ce cas, il s’agit plutôt d’une collaboration visant le partage d’expériences, de problématiques, d’idées ou de tout autre type d’information visant au développement - voire à l’amélioration - des compétences des différents DSP. D’ici, il est important pour tout professionnel de pouvoir échanger avec des pairs de son métier, lesquels sont censés connaître concrètement le milieu propre à leur catégorie professionnelle et apporter des conseils sur la base de leur expérience personnelle. À ces propos, les travaux de Jovillet-Blanchard et Blanchard (2004) ont relevé la « nécessité de se confronter entre pairs qui savent ce qu’est le terrain » (p.18).

Plus particulièrement, les confrontations à l’expérience d’autrui suscitent la transformation du profil professionnel de l’individu. En effet, l’interaction se caractérise par une hétérogénéité tant au niveau des personnalités qu’au niveau des compétences et des idées. Par conséquent, la collaboration implique des relations où « les acteurs sont sans cesse en train de se positionner les uns par rapport aux autres sur les plans relationnel, identitaire et cognitif » (Grossen, Liengme Bessire & Perret-Clermont, 1997, p.2), ce qui favorise une remise en question de soi et de ses activités, tout en amenant les individus à se comparer aux collègues.

De ce fait, les échanges entre DSP font que ces professionnels mêmes « construisent certaines images identitaires qu’ils se renvoient l’un à l’autre et qui participent à la construction de leur identité » (Grossen, Liengme Bessire & Perret-Clermont, 1997, p.4). C’est ainsi que la multiplicité des interactions auxquelles sont confrontés les enseignants de soutien pédagogique favorise la construction de la professionnalité de ces professionnels mêmes. Dans cette optique, « l’identité professionnelle n’est plus donnée et acquise une fois pour toutes mais se construit et est amenée à subir de nombreux remaniements, suivant un processus transactionnel complexe, au cours duquel les interactions avec divers acteurs prennent une importance déterminante » (Buhot, 2008, p. 144).

3.5.3. Des entraves à une collaboration idéale

Si d’une part l’interaction et la confrontation à autrui favorisent le développement personnel, d’autre part elles ne se rattachent pas forcément à des relations s’étant produites dans des rapports détendus, où il y a entente optimale entre les différentes parties. En effet, comme l’affirme Évéquoz (2004), « mettre l’accent sur les interactions, c’est aussi admettre qu’il n’est pas toujours possible d’anticiper les réactions des autres, leur avis, leur position, leur réaction et que, face à des problèmes, on ne pourra jamais prévoir totalement les solutions à envisager » (p.55). Ces considérations permettent de relever un aspect délicat de la collaboration qui réside dans l’hétérogénéité des réseaux collaboratifs et qui peut porter à des divergences rendant difficiles les accords entre les différents acteurs en ce qui concerne l’objet de travail - voire le cadre de référence commun -. C’est ainsi qu’il apparaît primordial de veiller aux trois conditions indispensables à la communication, mentionnées par Évéquoz, notamment le fait de se comprendre réciproquement, de se mettre d’accord sur des objectifs communs et de bien informer.

D’une manière générale, les contraintes face auxquelles tout professionnel se trouve confronté exigent de l’improvisation ou de la capacité à faire face à la situation. Ces expériences sont alors formatrices et comportent un développement de différents savoirs, savoir-faire et savoir-être, donc une amélioration du profil professionnel de l’individu (Tardif & Lessard, 2004). Tenant compte de ces considérations, il apparaît que toute collaboration est source d’apprentissage et, plus particulièrement, les relations faites dans des rapports d’entente sont susceptibles de se révéler davantage riches en échanges (de pratiques, de savoirs, etc.) ainsi qu’en qualité en ce qui concerne les résultats du travail accompli. De plus, les collaborations difficiles sont susceptibles de faire davantage appel au savoir-être, donc à la capacité d’adopter certaines relations et postures professionnelles garantissant l’activation des projets en commun malgré la divergence des points de vue.

Enfin, pour qu’il y ait une collaboration la plus riche possible, il faut que le professionnel se sente protégé dans son groupe d’appartenance, donc qu’il puisse s’exprimer librement sans avoir peur que les collègues l’étiquettent comme ignorant, incompétent, négatif ou perturbateur. À la lumière de ces considérations, il ressort la notion de sécurité psychologique, prônée par Edmondson (1999), celle-ci étant à entendre comme un facteur indispensable pour instaurer un climat favorisant l’apprentissage de nouvelles compétences. De ce fait, il s’avère utile de « promouvoir et adopter des interactions bienveillantes et d’accompagner la résolution de conflits en fournissant les conditions nécessaires, notamment en termes d’aménité, pour qu’il n’y ait pas atteinte à l’image de soi » (Mornata, 2014, p.2). Plus particulièrement, les théories de la sécurité psychologique mettent en avant le rôle essentiel du manager, qui, dans le cas de notre étude, est à relier à la figure du chef d’équipe. C’est en effet ce dernier qui gère les différentes relations et interventions, tout en disposant non seulement du pouvoir de leader des réunions d’équipe, mais

aussi en détenant le pouvoir au niveau du diagnostic final et de la prise de décision, notamment dans les cas singuliers de désadaptation scolaire les plus délicats et complexes. De ce fait, le chef d’équipe devrait se montrer disponible, ouvert et empathique, tout en donnant des feedbacks et en orientant l’action des DSP, par exemple. Toutes ces caractéristiques sont censées enlever les barrières à une discussion constructive ainsi que stimuler les échanges dans un climat d’horizontalité (ibid.)16.

16 Malgré la primordialité du concept de sécurité psychologique, surtout dans un métier humain tel que celui du DSP, nous ne nous sommes arrêtée que brièvement sur ce concept, parce que ne faisant pas référence directe à nos questionnement initiaux.