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2.1. Problématique

À l’heure actuelle, l’école est soumise à des pressions sociétales majeures qui mettent en avant la performance scolaire. À ces propos, Piot (2005) affirme que « la réussite de l’élève à l’école est plus que jamais l’objet d’une exigence sociale accrue au moment où persiste le lien entre l’origine sociale et les résultats scolaires » (p.195). Le défi est donc celui de trouver des solutions pour permettre aussi à des élèves se comportant, agissant, réagissant et apprenant différemment de rejoindre les objectifs scolaires annuels (CSSP, 2008). À cet effet, le canton du Tessin a mis en place le service de soutien pédagogique, au sein duquel le DSP joue un rôle primordial dans la prise en charge des élèves en situation de désadaptation scolaire. Celui-ci se trouve alors confronté à une infinité de cas différents due à des causes multiples liées à des problèmes manifestés par les élèves en question. Comme le dit Capitanescu (2005) « les difficultés des élèves ont évidemment des origines multiples : psychologique, sociologiques, économiques » (p.117).

La figure de l’enseignant d’appui pédagogique se situe ainsi dans l’optique adoptée par la pédagogie différenciée, reconnaissant donc les différences entre les élèves (cognitives, affectives, comportementales, socioculturelles), mais aussi refusant que ces divergences se traduisent en échec scolaire. Pour les DSP, il s’agit alors d’intervenir selon une logique de diversification pédagogique et de didactique réfléchie, afin de suivre l’élève en situation de désadaptation scolaire dans ses difficultés spécifiques, tout en adoptant une démarche de type constructiviste et en tenant compte de la singularité de la situation. Par conséquent, ces professionnels doivent faire preuve de compétences multiples et variées (Thomazet, Ponté & Mérini, 2011). De plus, visant primordial d’apporter le plus tôt possible un soutien pédagogique adéquat pour favoriser une poursuite régulière du parcours scolaire, l’enseignant de soutien pédagogique a de grandes responsabilités, parce que son intervention peut avoir un effet déterminant sur le futur de l’élève concerné.

Notre attention est alors captée par la complexité des contextes d’intervention du DSP. Non seulement il s’occupe d’une variété de cas d’élèves ayant des difficultés disparates et étant insérés dans des classes - voire des écoles - diverses, mais il se trouve aussi à collaborer avec une multitude d’autres acteurs, tant internes au SSP (donc, enseignants titulaires, familles, thérapeutes de la psychomotricité, logopédistes et chefs d’équipe), qu’externes au service (tels que psychologues, éducateurs, etc.). Dans cette optique, Piot (2005) affirme que « sans doute la difficulté scolaire est-elle un objet complexe au centre de tensions entre les institutions (famille,

école, collectivité territoriale!) et les acteurs concernés (enfants, parents, enseignants, acteurs du monde péri-éducatif, décideurs), pris dans un environnement de moins en moins lisible et de plus en plus fragmenté » (p.195). Plus en détail, le réseau professionnel du DSP est vaste, mais ce dernier n’agit pas directement avec d’autres DSP pour la mise en place de ses interventions.

En outre, nous sommes aussi interpellée par le fait que, à l’heure actuelle, il n’y a aucun cursus précis préparant de façon spécifique à l’exercice du métier de DSP. Plus particulièrement, les étudiants tessinois intéressés à cette pratique peuvent rencontrer des hésitations par rapport au domaine dans lequel se lancer pour se préparer au mieux à la profession. Ainsi, nous sommes sollicités par l’ample choix de possibles parcours académiques à suivre pour exercer une telle profession. Il s’agit alors de comprendre comment un public de sujets différents acquiert les compétences propres à la culture professionnelle en question, tout en ayant un bagage académique différent et en n’ayant pas la possibilité de se trouver immergé dans une communauté de pratique où plusieurs professionnels du même métier collaborent et interagissent constamment.

Cela dans l’idée que « la maîtrise des activités professionnelles s’acquiert par le contact avec des professionnels chevronnés » (Le Boterf, 2010). Plus particulièrement, le concept de communauté de pratique étant à entendre au sens de Lave et Wenger (1991) qui plaident pour des apprentissages progressifs de la profession grâce à l’immersion du novice dans la réalité du contexte du travail et, par conséquent, grâce à la possibilité donnée au nouveau arrivé d’être guidé par des collègues10 plus expérimentés et de disposer de plusieurs types de ressources favorisant son appropriation du métier (affordances donc tant au niveau matériel que social). De plus, nous nous demandons si l’absence d’une formation commune à tous les DSP, à l’exception de l’habilitation, et le fait de ne pas travailler en groupe sur le terrain permet quand même de relever un certain esprit d’appartenance à une catégorie professionnelle donnée, notamment la communauté de pratique des DSP.

Aussi, il s’avère intéressant de faire émerger les différents points de vue à propos du dispositif d’habilitation mis en place pour l’exercice de cette profession. Il s’agit ainsi de comprendre si les DSP considèrent utile ce programme, cela dans le but de repérer en quoi ce système de formation leur permette éventuellement de disposer d’un bagage minimum de compétences à déployer pour faire face à une multiplicité de situations possibles ainsi que de développer leur pratique.

C’est ainsi qu’il nous apparaît très intéressant d’analyser différents témoignages et vécus à partir de quelques professionnels actuellement engagés par le canton en tant que DSP dans le but de comprendre comment se construit un tel professionnel et comment il agit au sein d’un champ varié et riche en termes de relations et types d’interventions à actualiser.

2.2. Questions de recherche

10 Si dans ce cas le terme collègue fait référence à des individus exerçant un même métier, au cours du texte ce mot pourrait également faire référence à des personnes des collaborateurs apparentant à une autre catégorie professionnelle : il s’agit alors de veiller à interpréter le mot en fonction du contexte de la phrase.

À partir des différents éléments caractérisant la problématique de ce travail, nous saisissons la complexité du champ du soutien pédagogique, tout en nous intéressant de façon spécifique à la figure du DSP en tant qu’acteur déterminant dans le dispositif d’appui scolaire tessinois. Plus précisément, notre première question de recherche repose sur la construction professionnelle des professionnels en question, laquelle se fait au cours du temps en fonction des espaces de formation ou de travail auxquels les DSP sont confrontés, donc :

Comment un DSP se construit-il professionnellement en ne disposant pas d’une formation spécifique au métier et en quoi son parcours relève-t-il des théories de l’apprentissage en situation de travail ?

Plus précisément, la multiplicité des parcours qui peuvent amener à l’exercice d’une même pratique nous porte à poser une première hypothèse qui se trouve être la suivante : en pouvant à la base disposer de différents cursus de formation pour exercer un même métier, les DSP acquièrent principalement les véritables compétences nécessaires à la profession sur le lieu de pratique. Avec ces constats, il s’agit de penser aux DSP en tant que professionnels qui apprennent directement sur le terrain à exercer de façon concrète leur métier ainsi qu’à adapter leur intervention en fonction des différents cas auxquels ils sont confrontés. C’est ainsi qu’il s’avère nécessaire de mobiliser les différents propos évoqués par les théories de l’apprentissage en situation de travail. Toutefois, ces dernières mettent aussi en évidence le rôle que les collègues peuvent jouer au niveau de la progression dans les tâches de travail du novice, notamment une condition à laquelle la réalité professionnelle des DSP ne peut pas répondre.

Plus spécifiquement, un DSP se trouve dans un ample réseau de collaboration, mais qui ne comprend pas une relation directe avec d’autres DSP sur le terrain de travail. Par conséquent, il n’y a pas d’accompagnement progressif du novice dans la profession de la part de collègues chevronnés exerçant le métier dans le même terrain de travail. De ce fait, il manque la figure de l’expert présent sur le lieu professionnel, qui est censée, entre autres, favoriser l’intégration graduelle du nouveau arrivé dans la communauté de pratique propre aux professionnels du métier en question. Notre deuxième question se veut alors de saisir comment les différents DSP arrivent à exercer une même profession, donc à s’inscrire les uns indépendamment des autres dans une même culture professionnelle, notamment celle des DSP, ainsi :

Quels facteurs permettent de parler d’une communauté de pratique11 chez les DSP, malgré le fait que ceux-ci ne soient pas directement immergés dans un même milieu de travail leur permettant de collaborer et d’apprendre les uns des autres ?

11 La notion de communauté de pratique sera explicitée plus en détail dans la partie consacrée au cadre théorique (Cf. Chap.3.4.).

L’idée subjacente à ce questionnement est que, malgré l’absence d’un accompagnement progressif pour l’intégration dans le métier, les DSP arrivent à revendiquer l’appartenance à une communauté de pratique singulière. Nous posons alors notre deuxième hypothèse qui est la suivante : chaque DSP développe un sentiment d’appartenance à une même communauté professionnelle, même si le réseau de collaboration du SSP ne comprend pas directement d’autres pairs12.

Dans cette optique, nous prenons en considération le programme d’habilitation imposé, dans le but de préparer divers diplômés à l’exercice du métier de DSP. L’importance de ce dispositif de formation se relie au fait que celui-ci est censé transmettre des compétences concrètes, similaires et indispensables à un groupe restreint d’individus hétérogènes, chacun desquels est destiné à exercer un même métier. En outre, ce programme a connu des transformations multiples au fil des années, ce qui relève probablement d’une difficulté à trouver une gestion satisfaisante de la complexité des éléments en jeu autour de la préparation au métier. La question porte donc sur la pertinence de proposer une année commune d’habilitation, plutôt que de penser à un possible programme de formation spécifique au domaine du soutien à l’apprentissage et englobant des éléments tirés de diverses disciplines proches et en lien avec le champ du soutien pédagogique au sens large. Nous formulons alors notre troisième et dernière question de recherche :

Quels regards portent les DSP sur l’année d’habilitation imposée pour pouvoir exercer leur métier et quelles opinions formulent-ils à propos d’un éventuel dispositif de formation spécifique au domaine du soutien pédagogique ?

Avec ce dernier questionnement, il s’agit de réfléchir aux acquis demandés aux futurs DSP ainsi qu’aux enjeux liés au fait de recruter des gens ayant des parcours de formation différents. Plus précisément, notre troisième hypothèse se trouve être la suivante : l’année d’habilitation imposée pour l’exercice de DSP se doit de répondre à des exigences et des nécessités multiples, ce qui suscite des réactions au sein des publics concernés et questionne par rapport à la pertinence d’un éventuel dispositif de formation entièrement et spécifiquement à concevoir pour le métier de DSP.

Afin de tester nos hypothèses et pour répondre aux différentes questions de recherche que nous avons posées, il s’avère d’abord opportun d’introduire les différents aspects théoriques subjacents, afin de mieux expliquer les grands thèmes évoqués par notre recherche, donc pour permettre à tout lecteur d’avoir une vision précise des notions mobilisées. À cet effet, le cadre théorique sera explicité dans le chapitre suivant, lequel sera par la suite suivi d’un chapitre portant sur la méthodologie employée pour le déroulement de la recherche.

12 Avec le mot pairs, nous nous référons à tout collègue exerçant la même profession, notamment à tous les DSP.