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CHAPITRE 3 : CADRE THEORIQUE

3.4. Communauté de pratique

Un autre terme central de notre travail étant strictement en lien avec l’apprentissage en situation de travail est celui de communauté de pratique. Ce terme émerge à partir des théories de Lave et Wenger (1991), notamment les promoteurs de cette notion même, lesquels affirment que l’apprentissage implique « non seulement une relation à des actions données mais aussi des relations avec l’environnement social » (p.53). Plus précisément, une communauté de pratique

« désigne des ensembles d’acteurs engagés dans une pratique commune ; elle renvoie à un système d’activités auquel participent des individus qui partagent la même compréhension de ce qu’ils font. Cette notion est articulée au concept d’apprentissage situé, car c’est au sein de communautés de pratique que les apprentissages prennent place » (Duc, 2008, p.247).

3.4.1. Un esprit commun qui se crée dans l’interaction

D’après Lave et Wenger (1991), une communauté de pratique relève d’un groupe d’individus qui partagent des modes d’agir, ceux-ci étant normalement orientés vers des buts similaires. En effet,

« l’interdépendance des personnes au sein d’un groupe est aussi intimement liée à l’atteinte des buts et des objectifs que celles-ci se sont fixés, individuellement et collectivement, au début du processus de collaboration » (Savoie-Zajc, 2001, p.147). Nous précisons que ce qui différencierait une communauté de pratique d’une communauté sociale au sens large serait l’objet même des

14 Avec cette notion, nous considérons uniquement les groupes possibles qui se créent au sein de la catégorie professionnelle des DSP, tout en présupposant que l’activité des enseignants ordinaires ainsi que de tout autre acteur interne ou externe au SSP se différencie nettement de celle des DSP, tant en termes de rôles que d’objectifs, ce qui ne permettrait alors pas de parler de communauté de pratique.

activités. De la part de la communauté de pratique, il s’agit de produire concrètement du matériel ou des services, tout en partageant une certaine expérience pratique dans le domaine concerné.

Par contre, du côté de la communauté sociale, il s’agit de produire quelque chose de l’ordre du social en général, qui ne soit donc pas ciblé sur des tâches concrètes visant à la réalisation d’un produit ou d’un service, mais porterait qui plutôt sur le suivi d’une tradition, ce qui implique le respect de certains rituels et habitudes donnés (Klein & Connell, 2008). C’est ainsi que le fait de rajouter l’adjectif pratique au simple mot de communauté permet de mettre tout de suite en évidence l’aspect pragmatique du terme faisant référence au partage et au déploiement de tout type de savoir (savoir, savoir-faire, savoir-être) nécessaire à l’accomplissement de buts professionnels.

Derrière la notion de communauté de pratique il y a donc l’idée que c’est le type d’actions déployées - au sens pratique du terme - qui crée l’esprit du groupe où les membres se trouvent en interaction constante entre eux et qui, par la suite, donne lieu à des apprentissages (St. Clair, 2008). Dans ce sens, « il existe des constructions conceptuelles et des procédures spécifiques à chaque milieu professionnel et qui sont nécessaires pour l’accomplissement du travail ; l’environnement social offre des opportunités nombreuses et variées d’accéder à ces constructions et de trouver de l’aide pour les acquérir » (Billett, 2009, p.39). D’ici, il s’agit alors de penser à l’apprentissage dans une perspective de participation sociale (Wenger, 2005).

À partir de ces constats, il s’agit de considérer les DSP comme un groupe de professionnels revendiquant l’appartenance à une communauté de pratique précise, définie par des types d’interventions particuliers et propres à une fonction professionnelle singulière. Ainsi il y aurait un esprit communautaire qui se créerait au sein de ce groupe de professionnels - par le biais des réunions d’équipe ou de rencontres volontaires en dehors du temps de travail notamment - dû au fait de jouer des mêmes rôles et par conséquent d’avoir des visées professionnelles similaires.

Dans ce sens, « les approches interactionnistes nous montrent l’existence des univers représentationnels de référence construits et partagés socialement au sein des pratiques sociales (et l’enseignement en est une). Le recours à un univers représentationnel de référence engage, pour les acteurs, des rapports entre buts et moyens, oriente l’action, en même temps qu’elle la définit comme possible et réalisable » (Rickenmann, 2001, p.249).

Suite à ces propos, nous comprenons qu’une communauté de pratique se crée dans l’interaction et au sein d’un milieu professionnel donné : le groupe est donc le fruit d’un rassemblement de différents individus qui se trouvent à collaborer en vue d’un but commun. Le produit sera donc le même pour tous et se traduira par l’ensemble des efforts accomplis par les différents membres. De là ressort alors l’importance de penser au groupe de travail comme à un ensemble de différentes pièces, toutes différentes les unes des autres en ce qui concerne le degré de spécialisation ou d’expertise par exemple, mais toutes contribuant à un même ensemble donnant lieu aux fruits du

travail. Dans ce sens, le produit est le résultat obtenu à partir de chaque activité individuelle, donc c’est l’agrégation de toute une série d’apprentissages singuliers (Klein & Connel, 2008).

3.4.2. L’accès à une communauté de pratique

Lave et Wenger (1991) soutiennent qu’une communauté de pratique peut se caractériser par différents degrés et formes d’adhésion au groupe. Plus particulièrement, il y a l’idée que le nouveau arrivé doive gagner progressivement en légitimité de la part de ses collègues, cela n’étant possible qu’en se démontrant compétent, notamment au niveau des tâches professionnelles. Plus précisément, l’entrée dans le métier est conçue comme une sorte de socialisation où il est plongé le novice et à laquelle ce dernier est censé se conformer afin d’être accepté, notamment en apportant des résultats jugés utiles par les collègues, chose qui lui permettra par la suite d’arriver à trouver sa place au sein du milieu de travail. Il s’agit alors d’acquérir les normes et les valeurs propres à un environnement donné, afin de pouvoir agir professionnellement selon la spécificité du contexte de travail. Comme l’affirme Savoie-Rajc (2001), « la culture professionnelle possède un caractère normatif et sert à guider les comportements de ses membres » (p.145).

Suite à ces constats, il ressort qu’à l’intérieur de chaque domaine professionnel, comme pour la société en général, il y a une myriade de répartitions différentes qui font que chaque groupe agit selon des normes et valeurs spécifiques à sa propre culture (Yildirim, 2008). De ce fait, « en tant que lieu d’engagement dans l’action, de relations interpersonnelles, de savoir partagé et de négociation d’entreprise, ces communautés détiennent la clé d’un véritable changement, celle d’une transformation qui a un impact réel sur la vie des individus » (Wenger, 2005, p.94). Par ailleurs, comme mentionné auparavant, tout individu tend vers des buts similaires à ceux de ses pairs, ce qui est rendu possible grâce à une acculturation progressive du nouveau arrivé : c’est ainsi qu’une identité professionnelle « se nourrit largement de la culture de métier » (Buhot, 2008, p.144).

Par conséquent, l’acquisition d’un certain style professionnel suit un processus d’interaction et d’assimilation graduelles qui portent la personne à s’identifier d’abord à ses pairs pour après agir à sa façon selon certaines normes et valeurs qu’elle a intégrées. Ainsi, chacun arrive à colorer sa propre pratique en fonction de comment il est en tant que personne et de comment il se trouve en interaction avec son environnement (Tardif & Lessard, 2004). Il s’agit ici de penser à l’identification au sens de Wenger (2005), donc comme des liens reliant des personnes données et inscrits dans une évolution constante, déterminant la création d’identités et de communautés. C’est ainsi qu’il y a une construction identitaire qui se fait dans la profession et qui nécessite « de prendre en compte à la fois l’histoire sociale, le parcours scolaire, la trajectoire de formation mais aussi l’ethos du groupe professionnel, le poids des valeurs personnelles sur la conception du métier, les interactions sociales et les pratiques professionnelles » (Roux-Perez, 2008, p.55).

Dans cette optique, l’idée émergeante est celle d’un processus par étapes qui définit l’intégration progressive du novice dans la communauté de pratique. Ainsi, l’idée sous-jacente est de concevoir un nouveau arrivé dans le milieu de travail comme un praticien devant se construire, donc comme un individu à former et à qui il faut transmettre des outils et des façons de faire propres au métier (Habhab-Rave, 2008). Dans ce sens, il s’agit de penser au novice comme à un membre du groupe qui, au début, occupe une position plutôt marginale et dispose d’un nombre de compétences professionnelles moindre, mais qui, par la suite - notamment grâce à un engagement personnel, au support de la part des collègues plus expérimentés et à tout autre type de ressource mis à disposition (éléments déterminants pour l’apprentissage en situation de travail, Cf. Chap. 3.1.2.) - a l’occasion de faire valoir son expertise, tout en étant de plus en plus reconnu et jugé comme faisant partie du groupe.

3.4.3. Une intégration progressive dans la communauté de pratique

Les promoteurs de la notion de communauté de pratique prônent l’idée d’une intégration dans le groupe qui se fait selon une logique de complexité croissante de la tâche. Plus particulièrement, dans le cas du DSP, l’entrée dans le métier se fait de façon abrupte. En effet, le novice est plongé directement dans l’activité professionnelle réelle (sans commencer que par des tâches faciles), sans pour autant pouvoir bénéficier d’un accompagnement direct de la part d’un collègue expérimenté. Dans ce cas, l’entrée dans la profession se fait alors à travers une succession d’apprentissages, notamment par le biais d’un cumul d’expériences. Toutefois, cette succession d’étapes n’implique pas un degré croissant de complexité dans la profession en question.

À la lumière de ces constats, il s’agit de remettre en question l’idée selon laquelle « la progression demande un apprentissage et une pratique véritables des tâches, dans le but d’apprendre à performer dans des activités de plus en plus complexes et qui sont centrales à la continuité et la survie de la communauté ou du lieu de travail » (Billett, 2011, p.23), tout en affirmant qu’il peut y avoir progression grâce à une accumulation de vécu. De ce fait, il apparaît que c’est le choc initial de se confronter tout de suite à la complexité du milieu de travail qui porte les DSP à rechercher de l’aide auprès des pairs, ce qui mène à la création d’une communauté au sein même de ces professionnels. Dans cette optique, les collègues expérimentés jouent un rôle primordial, car ils sont censés accompagner indirectement le novice dans son processus de professionnalisation et, par conséquent, d’intégration progressive dans la communauté de pratique.

Ensuite, il s’agit de prendre en considération la notion de participation périphérique légitime (nommée legitimate peripheral participation par la littérature anglophone), qui indique une double transformation normalement faite par le novice : l’une se référant à une évolution des apprentissages et l’autre se reliant au changement au niveau de la perception que les membres de la communauté de pratique se font au regard du nouveau arrivé (Filliettaz, 2008). Par conséquent, il y a une évolution graduelle vers l’affirmation d’une figure professionnelle compétente et portant à

considérer le dernier arrivé non plus comme un novice, mais plutôt comme un collègue à part entière, donc comme un membre effectif de la communauté de pratique. Suite à cette progression, l’individu lui-même est censé se sentir partie prenante de ce groupe. En effet, « quand nous sommes membres à part entière d’une communauté de pratique, nous sommes en terrain familier » (Wenger, 2005, p.170).

Cependant, par rapport à notre objet de recherche, il s’agit de remettre en cause les propos prônés par la notion de participation périphérique légitime, malgré que même dans le cas des DSP il y ait aussi une évolution des apprentissages et une reconnaissance croissante de la professionnalité du novice. Plus particulièrement, tenant compte de la façon dont se fait l’entrée dans la profession pour tout DSP (pour rappel, qui ne met à disposition aucun accompagnement spécifique et qui confronte à un milieu de travail où il s’agit d’intervenir avec des professionnels d’un statut différent), il ressort que, pour de tels novices, la participation à la communauté de pratique se fait immédiatement par le biais de responsabilités et de tâches équivalentes à celles des pairs travaillant déjà depuis un plus ou moins grand nombre d’années.

À la lumière de ces considérations, il émerge que, malgré que la logique d’une participation périphérique légitime ne soit pas respectée, les DSP arrivent quand même à développer un sentiment d’appartenance à une catégorie professionnelle spécifique, ainsi qu’à s’intégrer progressivement dans le métier. Pour ce faire, il faut que les différentes conditions favorables à l’apprentissage, évoquées par les théories de l’apprentissage en situation de travail, soient accomplies (Cf. Chap. 3.1.2.), car autrement il y aura un empêchement tant au niveau des différents savoirs susceptibles d’être acquis, qu’en termes d’intégration à la communauté professionnelle, avec pour conséquence un risque croissant d’exclusion et de marginalisation du groupe (Duc, 2008).

Enfin, il s’avère que la saisie progressive du métier favorise l’émergence d’une sorte de confiance mutuelle entre les différents membres de la communauté de pratique (Lave & Wenger, 1991).

Dans ce sens, Jovillet-Blanchard et Blanchard (2004) parlent de reconnaissance en tant que clef de voûte de l’édifice de la formation coopérative soutenant l’action, la communication et la relation, ce qui souligne l’importance de prendre en considération l’autre et de pouvoir par la suite construire ensemble quelque chose.

3.4.4. Importance des collèges DSP

Les interactions avec les collègues s’avèrent être un facteur indispensable au développement professionnel de la personne. Plus particulièrement, le fait de se trouver confronté à d’autres professionnels exerçant un même métier permet à l’individu de bénéficier d’un support réel et ciblé. Dans cette perspective, une communauté de pratique se caractérise par des interactions où chacun apporte quelque chose à l’autre, donc où les différents membres sont les uns responsables de l’apprentissage des autres, ce qui serait davantage favorable dans des conditions

d’interdépendance positive, suivant donc une logique collective et coopérative des processus d’apprentissage (Filliettaz, 2008). De ce fait, une communauté de pratique « c’est l’environnement dans lequel il y a apprentissage individuel : celui-ci étant caractérisé par les interactions entre les membres de la communauté qui promeuvent leur apprentissage » (Klein & Connell, 2008, p.67).

En effet, grâce à l’observation et aux échanges, l’individu se construit des représentations concrètes par rapport à des possibles façons d’agir que, par la suite, il essayera peut-être d’imiter (Bourgeois, 2014). Ainsi, « une partie des interactions que nous entretenons avec les autres contient de quoi nous aider à agir, à apprendre à le faire, ou encore de quoi orienter notre action dans une certaine direction » (Mayen, 2002, p.87). À partir de ces constats, il émerge l’idée selon laquelle il y a une communauté de pratique propre au métier des DSP qui se crée au fur et à mesure, notamment grâce au support et aux échanges avec les pairs. Ces interactions sont donc censées aider le DSP novice à comprendre progressivement sa position ainsi que les spécificités de son rôle. Par conséquent, il faut qu’il y ait une certaine volonté de collaboration afin de garantir cet engagement constant avec les pairs et débouchant sur des échanges riches, notamment sur de possibles sources d’apprentissage.

Toutefois, dans le cas des DSP, nous relevons une grande hétérogénéité tant en termes de parcours de formation préalable à l’entrée dans la profession qu’en termes de pratique elle-même.

Par conséquent, chaque DSP est doté d’une certaine liberté d’action et intervient dans des réseaux donnés - qui ne comprennent pas directement d’autres professionnels du même statut - ce qui fait que chacun de ces professionnels est appelé à se développer individuellement selon les ressources et les exigences propres au contexte auquel il est confronté. Il ressort alors que la pratique déployée par les enseignants de soutien pédagogique relève, comme c’est le cas pour toute profession en général, d’un vaste arrière-plan en termes d’idéologie, de culture, de structure et d’expérience (Bucheton & Jorro, 2009). De plus, les DSP sont regroupés en équipes régionales, chacune desquelles étant libre de s’organiser selon ses propres besoins et souhaits, ce qui augmenterait ultérieurement les divergences entre les différentes façons d’exercer la profession en question.

Dans ce sens, nous élargissons les propos énoncés dans les théories de Lave et Wenger (1991), tout en rajoutant l’idée selon laquelle il est possible qu’une communauté de pratique s’installe non seulement en ce qui concerne les activités propres au métier qui peuvent différer considérablement l’une de l’autre, mais plutôt en termes d’identification à une profession spécifique - donc de revendication d’une figure professionnelle précise caractérisée par des compétences générales données -. D’ici émerge l’idée selon laquelle il serait possible de se créer un sentiment d’appartenance à une communauté de pratique même en ne pouvant pas être directement confronté sur le terrain avec d’autres individus exerçant un métier pareil et ne pouvant pas non plus faire appel à des pairs ayant un même style professionnel.

Suite à ces considérations, il ressort qu’il y a d’autres éléments d’une participation périphérique légitime qui font qu’un DSP se sent appartenir à une certaine communauté de travail. Il y aurait donc plutôt quelque chose de l’ordre de la participation, entendue comme un processus d’actions et de connexions, qui fait que la personne se sente partie d’un groupe de pairs (Wenger, 2005), ce qui ne serait pas strictement en lien avec certains gestes professionnels spécifiques requis pour gagner une place de moins en moins marginale au sein de l’environnement professionnel.

3.4.4. Communauté de pratique et question de recherche

Les différentes considérations citées à propos de la notion de communauté de pratique fournissent les pistes à partir desquelles il sera possible de repérer des éléments de réponse à notre deuxième question de recherche : quels facteurs permettent de parler d’une communauté de pratique chez les DSP, malgré le fait que ceux-ci ne soient pas directement immergés dans un même milieu de travail leur permettant de collaborer et d’apprendre les uns des autres ?

En effet, nous nous questionnons par rapport à l’existence d’une communauté de pratique pour le métier de DSP. Tout d’abord nous nous demandons si les différents DSP arrivent à se sentir faire partie d’un groupe composé par des collègues du même statut que le leur, même s’ils n’ont pas la possibilité de travailler directement ensemble. Dans ce cas, l’intégration dans le groupe se relierait non tant à une validation graduelle des capacités du novice, mais plutôt au simple fait d’appartenir à une même catégorie professionnelle demandant des compétences générales propres au métier.

En outre, dans le cas où il y a identification à une certaine communauté de pratique, nous nous demandons à quelle échelle elle correspond, donc si elle fait référence à l’ensemble des DSP au niveau cantonal, à la seule équipe régionale d’appartenance ou, enfin, si elle est plutôt restreinte aux collègues travaillant dans le même bâtiment scolaire.