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La rénovation urbaine pour changer la composition ethnique des quartiers

1. États-Unis : Entre mobilité volontaire et dispersion contrainte

2.3 Le « retour des Blancs » comme horizon des projets locaux de rénovation urbaine

2.3.2 La rénovation urbaine pour changer la composition ethnique des quartiers

En dépit de la variété des contextes socio-urbains et politiques, le diagnostic des projets de rénovation urbaine (PRU) est partout le même : les quartiers sont handicapés et la nature de la population présente constitue leur handicap majeur. Partout, la mixité sociale constitue une référence centrale des projets de rénovation urbaine, et recouvre le même sens : substituer une population à une autre dans le but tacite de favoriser le « retour des Blancs ».

A Argenteuil, tous les acteurs du PRU, élus comme techniciens, sont unanimes sur ce point : la mixité sociale est aussi, sinon davantage, celle des groupes ethno-raciaux que des groupes socio-économiques. Et les commissions d’attribution de logements sociaux ont les coudées franches pour trier et sélectionner en vertu de ce critère, de façon plus ou moins assumée au cours de l’entretien (voir l’annexe). A propos des relogements consécutifs aux démolitions, la convention ANRU a posé le principe du « relogement sur le quartier les familles qui le

souhaitent », un « souhait majoritaire d’après les premières enquêtes sociales ». Mais il y a

un écart entre la lettre du projet et son esprit puisqu’il ne s’agit en aucun cas de reloger au même endroit tous les habitants concernés par les démolitions. La municipalité table en fait sur des taux de rotation élevés qui devraient rendre possible le relogement sur place de ceux qui le souhaitent, même si la concrétisation de ce projet est contrariée par l’attachement très fort des habitants à leur quartier et à l’impossibilité pratique de reconstruire les logements sociaux détruits dans d’autres quartiers d’Argenteuil et a fortiori dans d’autres communes. Pour réaliser la mixité résidentielle à l’échelle des Bosquets, tout le pari du PRU de Montfermeil repose comme à Argenteuil sur l’hypothèse -hasardeuse- qu’une partie significative des habitants seront relogés ailleurs. Le volet « Montfermeil » du PRU évoque avec précision la manière dont des familles moins nombreuses viendront remplacer celles, plus nombreuses, qui auront quitté le site. Cela n’est pas écrit dans les textes, mais l’objectif consiste aussi à favoriser -discrètement- l’arrivée de « Français de souche ». A ce sujet, la mairie de Montfermeil peut compter sur le concours d’un bailleur social largement convaincu par la légitimité de cet objectif. Mais tous les acteurs du logement ne sont pas sur cette longueur d’onde, à commencer par l’Office départemental d’HLM qui déclare s’en tenir à une définition strictement socio-économique de la mixité. Un autre bailleur impliqué dans le PRU, invoque les empêchements légaux comme une contrainte dont il est malaisé de s’affranchir.

Dans un climat très conflictuel avec certains bailleurs sociaux, le maire leur demande de faire preuve d’une vigilance particulière sur les décohabitations. A ses yeux, le PRU ne saurait en aucun cas ouvrir un droit au relogement au profit de ceux qui désirent décohabiter. C’est bien le départ des décohabitants hors de la ville qui est souhaité. Au nom de la « préservation des équilibres », le maire a d’ailleurs fait inscrire dans la Charte de relogement, signée avec l’État, l’interdiction de reloger des habitants des Bosquets, quels qu’ils soient, dans le reste de sa ville. Cette règle du non-relogement dans les autres quartiers de la ville interdit en pratique les parcours résidentiels ascendants que préconise pourtant l’ANRU. Au-delà même de la question des relogements, c’est tout le PRU et ses avenants qui portent la marque d’une volonté d’étanchéisation des Bosquets.

Le volontarisme du maire UMP de Montfermeil pour changer la composition sociale et ethnique des Bosquets grâce au PRU se trouve sérieusement émoussé à Clichy-sous-Bois, concerné en principe par le même projet intercommunal de rénovation urbaine. Le discours du maire de Clichy se distingue de celui de son homologue de Montfermeil par une plus grande bienveillance envers les habitants qui souhaitent être relogés sur place, à l’exception des squatteurs (une centaine d’appartements en 2005), même si la municipalité de Clichy se sent obligée de prendre en considération ces cas-limites que sont les personnes hébergées non titulaires de baux, les locataires en dette de loyer, les sans-papiers, et même les squatteurs qui risquent de retarder les démolitions. Le renoncement à l’objectif de mixité résidentielle dans les nouvelles constructions pointe à travers différents propos. Mais il place le maire de Clichy en position délicate vis-à-vis de ses partenaires, notamment l’ANRU et le bailleur I3F auxquels il a promis de pouvoir garder la main sur le peuplement 40% des logements neufs. Il est certes plus facile de construire avant de démolir à Clichy-sous-Bois qu’à Montfermeil, mais les opportunités foncières se trouvent surtout en dehors du quartier de la Forestière (seul concerné par le PRU), dans le Bas Clichy, et des élus de la majorité de gauche opposent une résistance à la dissémination des habitants de la Forestière dans le reste de la ville.

Dans les deux villes, la stratégie de mixité exogène ménage un certain flou quant au profil ethnique des populations que les élus et certains bailleurs souhaitent voir arriver sur leur territoire. Mais la question n’est jamais débattue de façon ouverte. Même chez les élus de Montfermeil et chez le bailleur I3F, les plus motivés sur cette question, celle-ci n’est pas évoquée de façon directe, ce que regrettent les intéressés. A Clichy, derrière la position de principe consistant à ne pas sélectionner les candidatures sur un critère ethnique, la question

est débattue -de manière informelle- entre techniciens et élus, lesquels ne sont pas forcément en accord les uns avec les autres, ni entre eux.

Compte tenu de son ampleur très limitée à Créteil, rien d’étonnant à ce que la rénovation urbaine ne fasse pas l’objet d’un débat substantiel entre élus. Ceux que nous avons interrogés évoquent un accord assez général sur la mixité sociale entendue comme le mélange de « Français de souche » et d’autres groupes. Les élus de gauche sont d’autant moins motivés pour faire de la rénovation urbaine un cheval de bataille, qu’ils ont compris que la défense du logement social était un thème beaucoup plus porteur dans une ville à dominante de fonctionnaires, d’employés moyens et d’ouvriers, qui vote massivement à gauche, surtout dans les quartiers populaires. Tous les acteurs interrogés estiment pourtant que la stratégie envisagée dans le quartier des Bleuets est parfaitement conforme à la ligne de l’ANRU. Comme le précise une élue du quartier, la rénovation urbaine sera une opportunité pour « rebrasser » la population. Mais la dimension ethnique du projet est seulement implicite pour le principal bailleur de ce quartier. Elle est beaucoup plus claire pour d’autres acteurs qui n’hésitent pas à qualifier de « ghetto » cette petite cité dont la problématique urbaine et sociale est pourtant loin d’être flagrante et où résident d’ores et déjà des « Français de souche », à la fois dans les logements pavillonnaires environnants et dans une tour en copropriété privée située au cœur du quartier.

S’agissant du quartier des Blagis à Bagneux, il a été décidé de démolir la barre des Tertres et de réhabiliter celle des Cuverons. Ce choix a été justifié par des motifs techniques et financiers. Mais l’argument de la mixité et de l’image a tout autant pesé car la barre des Cuverons est moins visible et ses logements offrent une meilleure diversité que ceux des Tertres qui concentrent des cages entières de F5 et F6. L’occupation sociale des Cuverons est en effet décrite par les acteurs locaux comme plus mixte, avec un nombre nettement moins important de familles nombreuses et de meilleures relations de voisinage. Derrière la composition familiale, de nombreux acteurs invoquent une raison plus tacite de la démolition des Tertres et non de celle des Cuverons, celle de la présence importante de familles nombreuses d’origine africaine. Le projet urbain pour les Blagis va ainsi aboutir à la dispersion résidentielle des habitants des Tertres. La ville s’est formellement engagée à permettre leur retour dans le quartier, mais un élu admet que cet engagement pourra difficilement être tenu. Le processus de relogement est conçu pour satisfaire l’objectif de mixité sociale. Les acteurs du relogement se montrent également très attentifs à la localisation

des relogements pour éviter de reconcentrer les habitants des Tertres dans d’autres secteurs de la ville.

Les deux PRU de la ville d’Aubervilliers sont voués à la réalisation conjointe de deux objectifs : assurer des conditions de logements plus dignes à ceux qui résident dans le parc ancien insalubre, et offrir aux autres des possibilités de parcours résidentiels au sein de la ville, sachant que la faible rotation au sein du parc social, combinée au manque de produits logements privés destinés aux classes moyennes, contribue à l’évasion des populations non- captives. C’est notamment à leur intention que le Programme local de l'habitat de Plaine commune prévoit de réaliser 60% de logements en accession à la propriété et 40% de logements sociaux dans tous les nouveaux programmes. Le solde entre la destruction et la reconstruction de logements sociaux sera positif. En pratique, cependant, les projets ne garantissent pas le passage automatique des populations les plus précaires de l’habitat insalubre vers le logement social neuf. Une première raison tient au décalage temporel entre les relogements et les reconstructions, les reconstructions de logements sociaux n’intervenant, dans leur majorité, qu’après les relogements. Une seconde raison porte sur la nature des logements sociaux qui seront reconstruits. Respecter le principe du relogement sur place des familles logées dans l’habitat insalubre suppose de construire des PLAI en grand nombre. Or, le nombre prévu de PLAI sera très inférieur au nombre de logements insalubres détruits. La mixité sociale est un principe central pour le principal bailleur social, l’Office public d’HLM d’Aubervilliers. Une dispersion en dehors de la ville est assumée par l’élu communiste en charge de l’Office municipal d’HLM. Il préconise aussi un rééquilibrage ethnique du parc HLM pour éviter la sur-concentration de familles africaines dans certains immeubles. Avant même l’ANRU, l’Office HLM avait commencé de reloger des ménages - notamment des familles nombreuses d’origine africaine- issus du parc insalubre racheté par la ville. Selon les élus non communistes, il s’agit-là d’une rupture avec un passé où la discrimination était la règle. Certains élus estiment toutefois que les familles africaines font aujourd'hui encore l’objet d’un traitement moins favorable. La question de relogement dans la ville des familles africaines mal-logées prend un tour plus aigu encore avec la question des squatteurs qui vaut à la municipalité des démêlés permanents avec l’association Droit au logement. Le maire s’estime dans son bon droit pour refuser -au moins en partie- le relogement des squatteurs sur le parc HLM de la ville. Il préfère mettre à l’index les communes qui ne respectent pas l’article 55 de la loi SRU. Dans ce contexte, en dépit de leur affichage conjoint par la Communauté d’agglomération, le principe de « la ville pour tous »,

celui de la mixité sociale, a toutes chances de se de concrétiser davantage que celui du « toit

pour tous », équivalent au droit au logement.

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