• Aucun résultat trouvé

1. États-Unis : Entre mobilité volontaire et dispersion contrainte

2.3 Le « retour des Blancs » comme horizon des projets locaux de rénovation urbaine

2.3.3 Des stratégies de mixité unidirectionnelles

Sans surprise, les municipalités que dirigent l’UMP, Argenteuil et Montfermeil dans notre échantillon, présentent le degré le plus élevé de conformité à la logique « ANRU » par l’accent placé sur la mixité exogène et la volonté affichée -mais contrariée- d’organiser une forme de dispersion résidentielle à une échelle territoriale large. La façon dont ces deux municipalités mènent leur projet urbain reflète toutefois des styles politiques propres. A Argenteuil, la continuité entre le PRU et le GPV mis en oeuvre par l’équipe PCF évoque à certains égards, derrière un antagonisme de façade, la vieille complicité « objective » entre gaullistes et communistes qui avait marqué la vie politique des années 60. On a affaire à Montfermeil à une droite beaucoup plus idéologique, polarisée sur la question de l’Islam, et que l’on peut rattacher à la tendance « identité nationale » de l’UMP ou au « villiérisme ». A Clichy-sous-Bois et Créteil, les maires socialistes sont loin de manifester une adhésion pleine et entière à la doctrine de l’ANRU. Les deux équipes municipales paraissent sceptiques sur le volontarisme politique en matière de mixité sociale, mais ils n’opposent qu’une résistance passive à l’injonction nationale de modifier les équilibres sociologiques des quartiers concernés par la rénovation urbaine et ne développent pas de stratégie alternative cohérente. Là aussi, on est en présence de différentes moutures du socialisme municipal. Les socialistes de Clichy-sous-Bois paraissent écartelés entre deux courants. L’un « moderne » prend acte -sous l’influence de techniciens municipaux- du caractère fortement ethnicisé de la ville mais n’en tire pas toutes les conséquences pratiques, car il doit composer avec l’autre composante de la majorité municipale, celle des « anciens », plus sensibles aux réactions de rejet de l’électorat blanc la ville, dans une commune où le Front national incarne la seule force d’opposition véritable.

Si la greffe du multiculturalisme a du mal à prendre à Clichy-sous-Bois, elle est moins éloignée de l’identité du socialisme de Créteil, héritier de la culture des villes nouvelles. Son maire, confortablement réélu depuis 1983, est lui-même issu de la mouvance du PSU et de la CFDT. L’influence de l’extrême droite est beaucoup plus réduite qu’à Clichy. Si aucune tendance au rejet des minorités ethniques n’est décelable dans la version cristollienne du socialisme municipal, les projets urbains ne portent pas trace de l’héritage multiculturaliste de la ville, lequel se perçoit davantage dans le volet socio-culturel de la politique de la ville qui s’efforce de brasser des publics d’origines diverses.

Les deux villes PCF de notre échantillon, Bagneux et Aubervilliers, incarnent elles aussi deux figures du communisme municipal. Bagneux se situe dans l’orthodoxie communiste, mais son combat pour la défense du logement social atteint ses limites dans le contexte de valorisation rapide du sud des Hauts-de-Seine. La lutte « héroïque » de la municipalité pour la préservation de la barre des Cuverons contre les velléités éradicatrices de l’ANRU sauve les apparences, mais la ville a bel et bien lâché du lest sur l’accession à la propriété et le logement locatif libre. Et son choix de démolir la barre des Tertres pour éradiquer le trafic de drogue, situe Bagneux dans une tradition communiste qui déteste rien tant que le désordre.

Le communisme d’Aubervilliers reste marqué quant à lui par la figure de son ancien maire Jack Ralite, incarnation de l’aile « libérale » du PCF mais dont l’identité spécifique est mise à mal par la montée en puissance de l’allié/concurrent socialiste, lui-même marqué par la culture libérale du PSU. Les projets ANRU sont bien reçus par l’ensemble de la gauche locale qui affiche un pragmatisme à toute épreuve, encourageant la gentrification du territoire, à laquelle seule résiste la tendance « rétro » du PCF local. Ces projets sont d’autant mieux reçus qu’ils apportent des moyens financiers pour parachever le travail d’éradication de l’habitat privé insalubre, véritable spécificité urbaine de la ville. Les conséquences prévisibles de ces projets en termes de dispersion des ménages les plus précaires n’ont pas constitué un point de blocage, car tous les courants politiques portent d’une façon ou l’autre le discours du « ras-le- bol » concernant la fonction régionale d’accueil de ces ménages qui incombe de facto à une ville comme Aubervilliers.

Par-delà la diversité des cultures politiques locales, les stratégies locales de mixité apparaissent très peu différenciées dans les six villes concernées par un projet de rénovation urbaine. Aucune n’a sérieusement considéré d’autre option pour atteindre l’objectif de mixité sociale, qu’il s’agisse d’une formule de mixité « endogène » consistant à élever la condition économique des habitants actuels des quartiers pour former en leur sein une classe moyenne qui deviendrait dominante et ne déménagerait pas, ou de la mixité dans les espaces non- résidentiels -comme l’école ou l’entreprise- par des actions résolument tournées vers la mobilité individuelle.

A Argenteuil, l’organisation de parcours résidentiels à l’échelle de la ville n’est pas la priorité première des pouvoirs locaux, alors même qu’est évoquée une « barrière invisible » qui interdirait aux habitants en ascension sociale du quartier de grands ensembles HLM, le Val d'Argent, l’accès aux quartiers pavillonnaires environnants. La priorité centrale de la

municipalité est le développement d’une offre privée dans le périmètre du PRU, mais celle-ci n’est pas spécifiquement conçue pour les habitants du quartier.

A Clichy-sous-Bois/Montfermeil, faute de stratégie sur la mobilité résidentielle des habitants, il est difficile de concilier le relogement des habitants actuels et l’arrivée de populations extérieures. La municipalité de Clichy-sous-Bois se montre certes beaucoup plus sceptique que celle de Montfermeil sur la mixité exogène et elle affiche en parallèle un objectif de mixité endogène, celui de la stabilisation et de la promotion sociale « en interne » des habitants de la Forestière. Mais cette stratégie n’a pas de traduction tangible dans les choix publics locaux. Augmenter le niveau de revenus des habitants pour réaliser une forme de mixité endogène supposerait en particulier des politiques de formation et d’accès aux de d’emplois beaucoup plus volontaristes. Quant aux actions intercommunales avec la ville Montfermeil, elles sont entravées par une différence radicale d’approche de l’intégration, celle de Montfermeil regardant les habitants des Bosquets sous l’angle de l’altérité absolue.

La municipalité socialiste de Créteil affiche un profond scepticisme sur la stratégie de l’ANRU, mais les justifications de la rénovation urbaine, encore dans les limbes au moment de l’enquête, en épouse fidèlement toutes les lignes directrices, explicites ou implicites. C’est que la référence teintée de nostalgie au renouvellement urbain de la période Bartolone est révélatrice d’une continuité d’approche avec la rénovation urbaine à la manière Borloo, dans la conception même de la mixité sociale : remplacer une population (d’origine immigrée) par une autre (française de souche) en faisant une large place au levier du logement. Aucune stratégie alternative -ou même complémentaire- de promotion de la mixité sociale n’a été sérieusement envisagée. Sa stratégie n’évoque en rien la méthode du développement communautaire, ni par les pratiques collectives de participation, ni par les actions de promotion socio-économique individuelle. Tous les acteurs interrogés sont unanimes pour reconnaître la faiblesse des actions conduites pour faciliter l’accès des habitants des quartiers aux nombreux emplois tertiaires existant dans la ville. La mixité dans l’espace scolaire n’est pas non plus l’objet d’une action volontariste. Reste la mixité dans les nombreuses activités socio-culturelles financées par la municipalité ou dans le cadre de la politique de la ville et qui s’efforcent de créer du « lien social » et du « vivre ensemble », dont les acteurs soulignent les limites s’il s’agit de mélanger la population pavillonnaire « blanche » et celle plus « colorée » des quartiers-cibles de la rénovation urbaine.

A Aubervilliers, un dispositif d’accession sociale à la propriété vise à faciliter les parcours résidentiels au sein de la ville pour ceux qui peuvent prétendre à l’achat d’un logement. Cette stratégie relève partiellement d’une stratégie de développement communautaire puisqu’elle vise à stabiliser une élite sociale locale quitte à ce qu’elle descende de l’immigration. En partie seulement, car les possibilités concrètes de stabiliser la frange la plus précaire de la population à reloger ou la dimension participative des projets de rénovation urbaine sont beaucoup plus incertaines. La démarche de stabilisation d’une élite locale reste également incomplète car elle se polarise sur la dimension de l’habitat, sans que soit travaillée en parallèle les enjeux de promotion individuelle dans un contexte local de développement économique pourtant très porteur.

Outline

Documents relatifs