• Aucun résultat trouvé

1. États-Unis : Entre mobilité volontaire et dispersion contrainte

2.1 Mixité sociale et droit au logement : une tension porteuse de discriminations

2.1.2 Quand logement social ne rime pas avec diversité sociale

Sans qu’aucune évaluation globale n’ait permis de mesurer l’efficacité de la stratégie implicite de dispersion résidentielle des « immigrés », on dispose d’analyses, certes parcellaires, mais convergentes pour conclure à l’inadaptation des outils mobilisés pour atteindre la finalité de dispersion. Un premier bilan d’application de la loi SRU a révélé que l’obligation de produire les logements sociaux manquants à un rythme de 15% sur trois ans avait été globalement respectée et même dépassée au niveau national, mais que l’effort de rattrapage variait fortement selon les communes. Seules 36% ont atteint ou dépassé leur objectif triennal, et dans bien des cas, ces communes étaient déjà les plus proches du seuil de 20%, l’objectif triennal n’ayant été atteint ou dépassé que par 21% des communes pourvues de moins de 10% de logements sociaux (Fondation Abbé Pierre 2006). De fait, ces dernières communes marquent une préférence pour le paiement d’une amende, ramenant le fameux article 55 de la loi SRU à un système de taxation, très minime, des communes riches (Subra 2006)130. Le moindre des obstacles n’est pas la réticence des élus municipaux de ces territoires

face au logement social qu’ils perçoivent comme le levier d’attraction d’une population « indésirable ».

Face à ces communes récalcitrantes, l’État local apparaît souvent timoré dans l’exercice de son pouvoir de sanction. En pratique, il préfère l'évitement au conflit. Derrière une confrontation de façade, loin d’organiser le retour de l’État, la « territorialisation normative » que traduit la multiplication de dispositifs contraignants pesant sur les collectivités locales,

130 Une étude économétrique montre que le montant de la pénalité (environ 150 euros annuel par logement

manquant) est certainement trop modeste pour exercer une incitation véritable (Bilek et al. 2006). Ce montant ne repose d’ailleurs sur aucun calcul économique, alors qu’il aurait fallu le moduler en fonction de la base fiscale des communes, les plus riches offrant une capacité de résistance plus grande que les autres (Selod 2004).

perpétue le règne de l'« arrangement » avec les villes et entre les villes elles-mêmes (Béhar 2000). On le vérifie dans l’application de la loi SRU : non seulement les préfets font rarement jouer leurs pouvoirs de sanction, mais les communes s’entendent sur des objectifs a minima de production de logements sociaux dans le cadre de Programmes locaux de l'habitat intercommunaux élaborés par des Établissements publics de coopération intercommunale souffrant d’une légitimité démocratique insuffisante (ENA 2005a).

L’évaluation de la mise en œuvre de la LOV et de la loi SRU révèle aussi une faiblesse technique des outils de programmation du logement social131. Les outils d’urbanisme

opérationnels du type ZAC sont les plus efficaces, mais ils sont tributaires de la rareté et de la cherté du foncier disponible et constructible. D’où la critique du bien-fondé d’un quota uniforme de 20% de logements sociaux dans toutes les communes, lequel ne tient pas compte des opportunités foncières effectives (Selod 2004). D’où aussi cette recommandation du rapport Repentin, adopté à l’unanimité du Sénat en 2005, de réformer l’article 55 de la loi SRU dans un sens à la fois plus pénalisant pour les communes qui ne participent pas à l’effort de construction et plus respectueux des contraintes pesant sur celles qui sont de bonne foi (Repentin 2005).

Le rééquilibrage spatial de l’offre en logements bon marché se présente donc comme un levier peu adapté à l’objectif de brassage des populations. Et là même où une offre sociale est développée dans des communes favorisées, l’équation posée par le législateur entre logements sociaux et accueil de ménages défavorisés s’avère infondée (Jégouzo 2001). Car les HLM ne sont pas eux-mêmes à l’abri des différenciations sociales (Barou 2005a). L’occupation de leur patrimoine apparaît déterminée tant par les jeux politico-institutionnels locaux et que par les stratégies des ménages qui établissent des hiérarchies entre programmes HLM selon sa localisation et réputation (Toubon 1998). « Lorsque près de 75% de la population française

est éligible au logement social, que ce dernier peut tout aussi bien décrire un grand ensemble déshérité, un lotissement pavillonnaire en ville nouvelle que des micro-opérations interstitielles en centre-ville, il paraît difficile d'en faire une catégorie descriptive de la mixité socio-résidentielle ou opératoire de son rééquilibrage », remarque D. Béhar (2000). L’offre

locative sociale des communes qui rattraperont leur retard peut fort bien faciliter en effet la

131 Une enquête sur l’application de la LOV dans huit agglomérations a montré que les documents de

planification urbaine traditionnels étaient inappropriés car trop généraux (Legrand et al. 2004). Les nouveaux outils forgés par la loi SRU (notamment les Schémas de cohérence territoriale) portent sur des périmètres de projet peu propices à la diversité de l’habitat (Belmessous, Helluin 2003). On sait que les logiques foncières jouent un rôle clé dans les processus de ségrégation urbaine (ADEF 2004).

décohabitation sur place des jeunes adultes ou l'accueil de jeunes ménages d'actifs salariés, sans résoudre les questions du logement et de la place des plus démunis dans la ville (Jaillet 1998). L’assiette des logements sociaux comptabilisés au titre de la loi SRU couvre en effet un large spectre et les communes concernées privilégient globalement l’offre destinée aux revenus moyens. En 2004, le bilan triennal de l’application de l’article 55 a montré que 10% seulement de PLA-I, destinés aux plus démunis, avaient été produit, contre 29% de PLS, lesquels ne sont « pas un "vrai" logement social » selon la Fondation Abbé Pierre (2006). Du point de vue des collectivités locales, le logement des personnes défavorisées reste une politique de « second rang » a souligné un séminaire de l’ENA consacré en 2005 au droit au logement. Depuis la loi SRU, les documents communaux et intercommunaux de planification ou de programmation doivent être compatibles, mais il leur est seulement demandé de « prendre en compte » les objectifs des Plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées (ENA 2005b). Cette déconnexion entre logement des défavorisés et politiques locales de l’habitat avait été diagnostiquée par les premières évaluations de la loi Besson de 1990 (Ballain, Benguigui 1995). Le fossé semble s’être aggravé depuis lors, avec le transfert de la compétence « logement social » aux communautés d’agglomération, organisé notamment par la loi « Libertés et responsabilités locales » de 2004. L’inquiétude qui se fait jour, souligne la Fondation Abbé Pierre, tient au paradoxe d’une décentralisation qui confie des responsabilités à ceux qui se sont traditionnellement montrés les moins enclins à développer une offre de logements destinée aux plus modestes (Fondation Abbé Pierre 2007). La production d’une offre sociale nouvelle et mieux répartie entre différents territoires n’est pas seule en cause dans déconcentration volontariste des (minorités) pauvres. Le jeu des attributions n’est pas moins décisif. Or, faute d’avoir désigné un chef de file, les efforts successifs de coordination des attributions de logements sociaux n’ont pas remédié à la dilution des responsabilités (ENA 2005a). Les Conférences intercommunales chargées d’élaborer des Chartes intercommunales du logement définissant des objectifs quantifiés de répartition des personnes défavorisées dans le parc social132, sont souvent des « coquilles vides » et la solidarité intercommunale s’apparente à « un simulacre » car les maires

dépourvus de logements sociaux refusent de siéger dans ces instances (CNV 2002).

132 Ces Chartes précisent, organisme par organisme, les objectifs d’accueil fixés dans les Accords collectifs

Garantir une occupation véritablement sociale des logements construit au titre de la loi SRU supposerait des instruments permettant à l’État d'imposer des locataires. Or l’expérience des Protocoles d'occupation du patrimoine social de la loi Besson souligne l’incapacité de l’État local à infléchir les pratiques d’attribution des autres acteurs (Toubon 1998). Soucieux de ne pas violenter les organismes, rares sont les préfets ayant fait jouer la plénitude des pouvoirs conférés par cette loi (Ballain et Benguigui, 1995). Il n’en a pas été autrement avec la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 qui les a pourtant renforcés133. Mais croire

uniquement dans les solutions juridiques revient à méconnaître la position complexe de la préfecture dans le système politico-administratif local. Comme en matière de construction, la position rétractile du préfet n'est pas due à son laxisme, mais à son peu d'intérêt à entrer en conflit avec ses partenaires à propos des attributions (Bourgeois 1996).

Si telle était l’intention de la LOV ou de la loi SRU, on ne propose donc pas en pratique aux populations pauvres et immigrées des quartiers de la politique de la ville de venir occuper les logements localisés dans des villes riches (Lelévrier 2004a). Ce n’est pas faute, de la part de l’État, d’avoir remodelé la gamme des produits « logement social » tout au long des années 90, afin de lever les réticences des communes. Mais le législateur a constamment oscillé entre la fusion des « produits » destinés aux personnes défavorisées dans une offre de droit commun et la création d’une offre spécifique, cette seconde option ayant finalement prévalu (Ballain, Maurel 2002). Deux filières bien distinctes ont donc été consolidées : la première intègre les populations pauvres ou modestes « mixables » dans une offre de droit commun ; la seconde oriente les demandeurs de logements sociaux les plus « handicapés » sur le plan social vers des solutions d'urgence et des formules d’hébergement spécifique, dans l’espoir d’une réintégration future de ces populations dans la file d'attente ordinaire des demandeurs de logement social (Genest 2005).

Focalisée sur la redistribution du logement social entre communes, la logique de dispersion repose essentiellement sur l’action des organismes HLM, les tentatives de modification de la LOV ou de la loi SRU visant à élargir la définition du logement social aux logements locatifs privés conventionnés ou à l’accession sociale à la propriété ont été systématiquement écartées. La préservation du caractère populaire des quartiers anciens, où prédomine le parc locatif

133 Après consultation des conférences intercommunales du logement et du conseil départemental de l'habitat, le

préfet doit conclure dans chaque département un accord avec les organismes de logement social. Si, au bout de six mois, l'organisme n'a pas signé l'accord départemental, c'est le préfet qui désigne à l'organisme les personnes prioritaires et qui fixe le délai dans lequel celui-ci est tenu de les loger.

privé, est pourtant un aspect essentiel d’une stratégie de mixité sociale dans l’habitat. D’autant qu’a été observée, à partir du milieu des années 90, une diminution drastique du parc de logements à très bas loyers, dont la fonction sociale a été pourtant reconnue à travers la notion de « parc privé social » (Pitrou 1997 ; Arbonville 2000). Plus grave, certaines interventions publiques dans ces quartiers accélèrent l’éviction des ménages pauvres au détriment de la mixité sociale (Ballain et al. 1993 ; Ballain 2004). C’est le cas des aides de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH) qui, faute de conventionnements suffisants avec les bailleurs privés pour une maîtrise des loyers après travaux, participent la destruction de l’offre locative privée bon marché, au rythme de plus de 100 000 logements par an selon la Fondation Abbé Pierre (2002)134.

Dans les années 1990, l’ANAH a cherché à répondre à cet enjeu par de nouvelles actions en faveur du maintien des populations démunies dans les quartiers anciens, en lien avec les outils proposés ou confortés par la loi Besson (fonds solidarité logement, baux à réhabilitation, baux glissants…) qui visent à améliorer les relations entre locataires et bailleurs privés. Plus récemment, en intégrant les logements conventionnés par l’ANAH dans le champ de son article 55, la loi SRU a fait valoir une conception plus extensive du logement bon marché. Mais ces mesures ne sont pas à la hauteur de l’enjeu car peu opérantes pour préserver la fonction sociale du parc privé ; elles sont en outre concurrencées par d’autres dispositifs dépourvus de finalité sociale comme « le Robien » (ENA 2005c). La faiblesse persistante du nombre de logements privés conventionnés par l’ANAH témoigne de ces difficultés (CNH 2004).

La loi SRU autorise aussi les organismes d’HLM à nouer des partenariats avec des promoteurs privés afin d'étendre leur parc dans des quartiers dont le foncier est trop onéreux (Sabbah 2004). Une méthode de production du logement social « en dentelle » a fait son apparition, qui consiste à disperser quelques lots ou étages destinés au logement social au sein de l’habitat privé (Bouvelot 2002). Mais cette volonté de répartir les pauvres à dose

134 Portées par l’ANAH, les Opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) créées dans la foulée

du rapport Eveno-Nora (1976), étaient pourtant conçues pour lutter contre la ségrégation sociale provoquée pour les actions de « reconquête » du patrimoine immobilier des centres anciens populaires dans lannées 1960. Cette politique de rénovation urbaine « première manière » avait profondément altéré l’équilibre social de ces quartiers, en favorisant l’éviction des classes populaires (Coing 1966). Quoique plus attentives à la dimension sociale de la réhabilitation de l’habitat ancien, les OPAH n’en ont pas moins contribué à leur tour à l’affaiblissement de la mixité sociale et ethnique (Aballea 1987). Focalisée sur l’arrivée de ménages modestes dans les communes dépourvues de logements sociaux, la Loi d'orientation pour la ville de 1991 n’avait pas réellement prêté attention aux effets sociaux à ce phénomène (Toubon 1992) et ses outils se sont révélés inadaptés aux tissus urbains déjà constitués (Legrand et al. 2004).

homéopathique dans les opérations nouvelles de logement est contestée quand elle s’applique à des communes disposant de peu de logements sociaux (HCLPD 2005). Conçu comme un plancher, le taux de 20% de logements sociaux devient en réalité un plafond car il est rare de programmer plus de 20% de logements sociaux dans les opérations nouvelles des villes déficitaires (Genest 2005).

Outline

Documents relatifs