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Les discriminations dans le logement social : un débat impossible ?

1. États-Unis : Entre mobilité volontaire et dispersion contrainte

2.1 Mixité sociale et droit au logement : une tension porteuse de discriminations

2.1.5 Les discriminations dans le logement social : un débat impossible ?

Le traitement des discriminations dans le logement social à raison des origines ethniques ou raciales s’inscrit dans le cadre généraliste du dispositif de lutte contre toutes les formes de discrimination. Avant même la transposition des directives européennes, le manque patent de transparence des attributions avait conduit le législateur à accorder différentes garanties aux demandeurs, notamment dans le cadre de la loi de la lutte contre les exclusions du 29 juillet

1998. Ces garanties s’adressent à tous les candidats au logement social et leur objet explicite n’est pas la lutte contre les discriminations, mais les minorités ethno-raciales devraient en être les principales bénéficiaires indirectes tant elles apparaissaient affectées plus que tout autre groupe par des traitements inégalitaires.

La loi de 1998 a notamment institué le dispositif du « numéro unique » créant un système d'enregistrement des demande dans un cadre départemental147. Depuis lors, aucune attribution

de logement ne peut être décidée, ni aucune candidature examinée par une commission d’attribution sans que les demandes soient pourvues d’un numéro d’enregistrement départemental. Trois avantages étaient escomptés de ce dispositif : la garantie pour le ménage demandeur d'être bien enregistré, la détermination officielle d'une date de départ dans l'attente d'un logement social, l’assurance de voir son dossier traité en priorité si l'attente devient anormalement longue148. Les demandeurs dont les demandes n’ont pas reçu d’offre de

logement dans le délai fixé dans les Accord collectifs départementaux peuvent saisir une commission de médiation (comprenant à parité des représentants des bailleurs et des associations de locataires ou spécialisées dans l’insertion des personnes défavorisées) qui émet un avis qu’elle adresse au demandeur, aux bailleurs et aux collectivités locales concernées. Enfin, la loi de 1998 demande aux bailleurs sociaux de transmettre annuellement des informations à l’Etat et aux communes sur les résultats atteints au regard de l’Accord collectif (statistiques sur les demandes de logements sociaux, l'offre sociale, les logements vacants et les attributions). Mais elle est restée imprécise concernant les modalités de cette information qui reste librement négociée entre préfets et bailleurs.

L’évaluation de ce dispositif est sévère. « Le numéro d’enregistrement ne garantit pas une

égalité d’accès au logement », peut-on lire dans le rapport du Conseil général des ponts et

chaussées et de l’Inspection générale de l'administration. Non seulement, la délivrance d’un numéro unique n’entraîne pas systématiquement la constitution d’un véritable dossier de demande, mais l’observation et le suivi liés à la notion de délai anormalement long n’ont pas été mis en place, dans la plupart des cas, par les services de l'État. Pourtant, notent les évaluateurs, « la notion de délai anormalement long est un outil pertinent de contrôle anti-

discrimination, sous réserve que le système d'information donne des éléments d'information suffisants pour permettre un examen systématique par critères et réserver à un examen

147 Les développements qui suivent sont tirés d’une évaluation de ce dispositif réalisée par le Conseil général des

ponts et chaussées et l’Inspection générale de l'administration (CGPC, IGA 2006).

partenarial les seuls cas délicats (demandes n'ayant fait l'objet d'aucune proposition, familles aux faibles revenus…) ou faisant l'objet d'une réclamation ». Quant aux commissions de

médiation, elles n’ont pas été installées ou n’ont pas fonctionné de manière effective dans de nombreux cas (CGPC, IGA 2006).

La loi du 29 juillet 1998 innovait également en exigeant que tout rejet d’une demande d’attribution soit notifié par écrit au demandeur, dans un document exposant le ou les motif(s) du refus d’attribution. C’est actuellement loin d’être le cas le plus général. L’Union des HLM s’était penchée, après la promulgation de la loi, sur la question des refus motivés par la mixité sociale. Comme une intention discriminatoire pouvait continuer de se cacher derrière ce motif, que seul le juge serait à même s’apprécier (la légalité des motifs d’attribution n’étant pas appréciée par la commission de médiation prévue par la loi) l’Union des HLM anticipait une forte croissance des contentieux (Actualités HLM 1999). Cette crainte ne s’est pas vérifiée, les plaintes restant rares. A titre indicatif, depuis sa création, la HALDE a été saisie à peine plus de 300 fois pour des refus d’attribution d’un logement social, soit 2,8 % des réclamations enregistrées par la Haute autorité, dont moins des deux tiers relatives au critère de l’origine.

Les réclamations concernant des logements privés sont moins nombreuses encore (2,5%), mais à la différence du logement social, la preuve des discriminations peut être établie par des

testings149, un outil sans pertinence s’agissant des discriminations institutionnelles ou

systémiques à l’oeuvre dans le secteur social du logement. Dans ce dernier domaine, les contentieux sont le plus souvent initiés par la découverte de fichiers de gestion « ethniques ». Ainsi, en 2000, l’association SOS Racisme a lancé des accusations contre près de 25 organismes d’HLM utilisant un logiciel qui faisait apparaître la mention « pays d’origine ». Mais toutes les plaintes pour discrimination déposées à cette occasion ont été classées sans suite ou ont fait l’objet d’un non-lieu ; dans bien des cas, le ministère public a renoncé aux poursuites une fois que les organismes incriminés ont supprimé la mention litigieuse (Triby 2005).

149 Le testing a été déclaré recevable par la Cour de cassation par un arrêt du 11 juin 2002, avant de faire l’objet

d’une consécration législative par la loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006. La HALDE a financé une étude-testing sur le marché locatif privé, réalisée dans trois régions, lesquelles laissent peu de doutes quant à la réalité des inégalités de traitement dont sont victimes les candidats d’origine maghrébine et d’Afrique noire (ASDO 2006). Dans son rapport 2007, la HALDE note que le nombre de réclamations reçues dans le domaine du logement privé ne reflète pas la réalité des discriminations telle qu’elle est apparue à l’occasion du « testing » (HALDE 2007a).

La HALDE dispose aujourd'hui de pouvoirs d’investigation auprès des bailleurs sociaux quand une réclamation laisse supposer l’existence d’une discrimination. Mais son rapport 2007 décrit dans ces termes la difficulté d’en établir la preuve :

« La HALDE peut demander au bailleur des explications sur le traitement de la demande et le processus d’attribution en lui demandant la communication d’informations et de tous documents utiles lui permettant de s’assurer de l’absence de prise en compte, directement ou indirectement, d’un critère prohibé de discrimination durant la procédure d’attribution. L’objectif de l’enquête est donc de mettre à plat cette procédure, en examinant la manière dont le dossier concerné a été traité durant les deux principales étapes qui la compose : la première phase est celle de la sélection des dossiers, parmi tous ceux déposés. Elle est opérée par le bailleur social lui-même ou par un réservataire (préfectures, mairies, organismes privés ayant financé la construction) en vue de leur présentation à la commission d’attribution sur un logement précis. Dans un deuxième temps, la commission va sélectionner et classer les demandes retenues dans la première étape, par ordre de priorité. (…) La première difficulté dans l’analyse de cette procédure tient au fait que, si le code de la construction et de l’habitation définit des publics prioritaires, aucun dispositif ne définit selon quelles modalités ces critères de priorité doivent être mis en oeuvre dans les deux phases de sélection des candidats. Les pratiques sont donc extrêmement variables d’un bailleur à un autre. Cette absence de règle et le surcroît de demandes contribuent à une relative opacité du mécanisme d’attribution. Ce contexte favorise les appréciations subjectives et conduit à certaines pratiques difficilement contrôlables et notamment discriminatoires, ainsi que la haute autorité comme d’autres institutions ont eu l’occasion de le relever. Dans les zones soumises à une forte pression en matière de logement, seuls les publics prioritaires ont quelque chance d’y accéder ; en revanche, dans les zones où l’offre de logement social est suffisante, les publics prioritaires trouvent à se loger et des logements sont disponibles sous la seule condition du plafond de ressources. Dans ce cas, les éventuelles inégalités de traitement discriminatoires peuvent s’exercer encore plus subtilement. » (HALDE 2007a).

Le logement a été déclaré « domaine prioritaire d’action et de réflexion » par la HALDE durant l’année 2007. En juillet 2006, le gouvernement lui a confié ainsi qu’au Conseil national de l'habitat le soin d’organiser une « Conférence de consensus » sur la question de la « diversité sociale dans l’habitat »150. Le rapport du jury, repris à son compte par la Haute

autorité, a appelé à une révision profonde de l’ensemble de la procédure d’attribution du logement social. Elle a notamment proposé de faire place aux représentants des associations, avec voix délibérative, dans les commissions, d’assurer la présence d’un représentant de l’État garant de l’absence d’utilisation de critères prohibés, d’énoncer des critères clairs de priorité d’affectation et d’instituer des comptes-rendus écrits obligeant à motiver les décisions de refus d’attribution. L’une des principales recommandations de la Conférence porte sur la création d’un contrôle a posteriori des attributions de logement par une autorité indépendante

150 Nous avons été sollicité dans ce cadre pour produire une revue de la littérature dans une perspective

et une évaluation annuelle des engagements définis en matière de diversité sociale à l’échelle du bassin d’habitat. Selon le rapport, la publication de statistiques relatives aux délais anormalement longs devrait permettre l’examen, par la commission d’attribution, des dossiers écartés et démontrer, le cas échéant, la persistance des inégalités de traitement.

Le jury a considéré que les recommandations formulées par la CNIL en 2005 et 2007 à propos des « statistiques ethniques » apportaient « une réponse satisfaisante », tout en relevant que « les statistiques, indicateurs, études et, de manière générale, les travaux d’évaluation sur le

logement (…) sont insuffisants » au regard notamment « du double objectif de lutte contre les discriminations et de diversité sociale » (HALDE 2007b). Dans une synthèse de travaux sur la

question, S. Ebermeyer (2004) notait que le logement pâtit plus encore que le champ de l’emploi d’un déficit de données statistiques sur les discriminations touchant les minorités ethno-raciales. Les inégalités affectant la situation des « immigrés » au regard du logement ont fait l’objet d’enquêtes approfondiesdepuis l’enquête « Mobilité géographique et insertion sociale » conduite par l’INED et l’INSEE (Tribalat et al. 1992), mais la connaissance de la part qui revient à proprement parler aux phénomènes de discrimination dans la construction de ces inégalités reste lacunaire. On sait que l’écart entre les conditions de logement des immigrés et des autres catégories de population s’est atténué depuis les années 60, mais les discriminations restent seulement présumées par les chercheurs qui notent des différences persistantes de situation à catégorie sociale égale (Simon 1996 ; Boumaza 2003).

Pas plus qu’elle n’a pas proposé de bouleversement dans l’ordre cognitif, la Conférence de consensus s’est refusé à trancher la contradiction éventuelle entre droit au logement et mixité sociale :

« Le droit au logement, reconnu comme un droit fondamental et désormais opposable, la diversité sociale et la lutte contre les discriminations, s’ils sont de nature différente, constituent autant d’objectifs importants et d’égale légitimité. Mais, pour les bailleurs sociaux, l’objectif de diversité sociale dans un contexte de pénurie de logements accessibles aux revenus des demandeurs, peut s’avérer difficilement compatible avec la priorité à accorder aux familles les moins bien logées et la lutte contre les discriminations. (…) C’est cette quadrature du cercle qu’il faut aujourd’hui gérer au mieux dans une perspective dynamique de construction de la diversité sociale au niveau du quartier. Ainsi, le droit au logement de tous ne doit pas s’entendre en concurrence avec la diversité sociale. »

La question n’est pas non plus abordée (hormis le rappel de l’obligation légale pour les bailleurs sociaux d’assurer conjointement le droit au logement et la mixité) dans la convention signée en mars 2007 entre la HALDE et l’Union sociale de l’habitat (USH). Si l’USH avait donné des gages de prise en compte du thème des discriminations après la publication du

rapport du GELD151, il subsiste une « difficulté intrinsèque de tout travail collectif sur ce thème », avait relevé le Conseil national de l'habitat (2005) à propos de la tentative avortée de

la Délégation interministérielle à la ville et du Fonds d'action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations de produire un guide méthodologique sur la lutte contre les discriminations dans le logement et les politiques de peuplement. Confortée par le déficit de connaissances sur le traitement des minorités ethno-raciales, l’analyse dominante au sein du monde HLM est celle d’une ségrégation socio-économique, principalement liée à une offre de logements sociaux à la fois insuffisante et inégalement répartie entre les territoires.

Confirmant l’hypothèse de P. Zittoun (2001), selon laquelle les HLM forment avec les collectivités locales une « coalition de la mixité sociale » récusant la fonction de « logeur des pauvres », par opposition à la « coalition du droit au logement » qui regroupe les associations et certains secteurs de l’État faisant prévaloir la fonction d’accueil des plus démunis par le parc HLM, le rapport du GELD a été ressenti par le monde HLM comme une mise en cause injustifiée de son action. A rebours de l’idée selon laquelle le parc HLM fonctionnerait comme « une machine à refouler les pauvres et les immigrés », une responsable de l’USH a ainsi mobilisé un faisceau de données statistiques pour démontrer que les HLM logeaient les étrangers et les immigrés dans des proportions très significatives. Les analyses du GELD ignoreraient, selon elle, les dynamiques globales du marché résidentiel expliquernt les « insatisfactions » : inégale répartition territoriale des logements sociaux, inégale répartition de l’occupation sociale liée au départ des classes moyennes, pénurie du logement social faute de production suffisante, et moindre effort du parc privé dans l’accueil des ménages défavorisés, le tout contribuant à restreindre les choix résidentiels des « immigrés » (Dujols 2004).

151 Elle a notamment diffusé des instructions aux organismes d’HLM adhérents pour la bonne tenue des fichiers,

élaboré un guide des procédures d'attribution pour plus de transparence et de déontologie et a sollicité le programme européen EQUAL pour former ses agents à la lutte contre les discriminations.

2.2 Le consensus national sur l’éradication des « ghettos »

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