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7. METHODOLOGIE

7.1 Réflexions autour de la perspective positiviste

Epistémologiquement, le point de vue positiviste cherche à dégager les déterminants biologiques, psychologiques et sociaux d’un objet d’étude. Une forme de « quête de vérité » voit le jour à travers la mise en place de

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Nous avons abordé, par exemple, la manière dont la réciprocité a été objectivée en anthropologie et reprise par les sciences économiques et sociales au chapitre 2 de cette thèse.

121 protocoles d’expérimentation, d’analyses statistiques, de publications qui certifieraient, par l’exactitude des résultats, les causes d’une réalité et en retour, l’efficacité de la praxis qui peut en découler. Du point de vue philosophique, Tremblay se réfère à Buber pour constater, en fait, que l’utilisation de l’expérimentation se révèle être un marqueur, dans l’histoire de l’humanité, de la croissance du monde du « Cela » au détriment de « l’aptitude à la relation » :

« À l’évidence, le « je » qui s’est isolé comme sujet de connaissance et qui s’est positionné devant les choses et les personnes à l’être d’observateur n’entretient plus avec elles d’échanges vivants et réciproques ; il en fait des objets de satisfaction de ses besoins. Une fois enchaîné au monde du « Cela », autrui redevient un « cela » parmi les autres ; même après avoir révélé au « je » dans la rencontre et l’action réciproque, il redevient descriptible, décomposable, classable. Il retombe inexorablement dans le monde des choses. Au lieu d’accueillir autrui comme un « Tu », le « je » se sert de lui comme il le ferait d’une chose. » 298

La discordance que Buber entrevoit entre la perspective scientifique positiviste et le monde du « Je-Tu » poserait une véritable question éthique : faire de l’être humain un objet, quand bien même un objet d’étude, participe t’il au bien commun de l’humanité ou sert-il l’intérêt propre du chercheur ? C’est la question que se pose Gori en évoquant les

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122 effets de l’expertise et de la normalisation dans la question du soin299. En effet, Gori identifierait ici de « nouvelles formes de tyrannies » de la société actuelle. Le psychanalyste se réfère à Foucault pour considérer que les normes ne sont plus imposées par les récits mythiques ou les religions mais plutôt par les sciences pour chercher un mode d’emploi « moral » de l’existence. L’être humain, cherchant dorénavant à se rendre maître de la croyance, à se rendre « tout puissant » en quelque sorte, semble vouloir/pouvoir détenir le monopole de la vérité. Lorsque la science nous dicte à présent comment doit se comporter l’individu pour aller bien, il s’agit de laisser les experts penser pour nous, ce qui nous prive de parole. (Référons nous aux travaux de Lebrun pour cerner psychanalytiquement les effets pervers d’un tel déni de la subjectivité). Le sociologue Friedmann appelle cela la « soumission librement consentie ». La conséquence d’une telle certitude en la science abaisserait aujourd’hui le seuil de tolérance sociale, identifiée par Gori à travers une sorte de « traque des anomalies ». En effet, la dérive, pour Revault d’Allonnes, est d’ériger en totem les souffrances de la société (l’intime n’est-il pas livré dans la sphère publique?) en se figeant soit même dans une posture compassionnelle300. Le piège dans lequel les institutions à caractère social tombent actuellement, pour la conférencière, est la fixation dans la présomption de vouloir transformer l’autre afin qu’il n’atteigne pas, en fin de comptes, notre propre

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Dans un débat organisé à Montpellier autour de la question « Peut-on construire une société sans croyance ? » avec le sociologue Friedmann et le psychanalyste et philosophe Henri Rey-Flaud en 2010.

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Revault d’Allonnes distingue le compassionnel de la position compatissante normale (Revault d’Allones, 2009). Le compassionnel est comparable à ce que Winnicott nomme « la sentimentalité », c’est-à-dire d’une intention permettant de dénier l’épreuve de sa propre destructivité (Winnicott, 1974). (Cf. le point 4.5 de cette thèse).

123 souffrance. En donnant l’exemple du jeu pathologique, Valleur et Bucher déduisent qu’en considérant la pathologie comme fléau social, « il se trouvera plus, parmi les tenants de ce modèle, de personnes prêtes à donner une image négative » de la pathologie301. Or, émettre un jugement réduit le sujet à l’état d’objet, en l’enfermant dans une étiquette, ce qui l’exclut et le sépare des autres. Dit autrement, la dimension existentielle du patient serait parfois mise de coté. « La promotion des approches visant l’autocontrôle, et non à l’abstinence, ne doivent pas devenir le moyen de nier la souffrance de ceux qui viennent à « toucher le fond », et à leur refuser les moyens de « s’en sortir » » se défendent alors Valleur et Bucher. Ces deux psychanalystes constatent, en fait, que les stratégies thérapeutiques issues d’une telle démarche scientifique divisent, à l’heure actuelle, « comme en témoigne la gamme très large des propositions » de prise en charge plus ou moins efficaces. Pour la présente recherche, le risque serait de considérer l’agressivité humaine et sportive comme un fléau à éradiquer, alors que nous savons à présent que ce serait là éradiquer toute forme de vie humaine (le conflit étant inhérent à tout lien social). Comment donc conduire une recherche sans tomber dans le piège du jugement humain ? Comment chercher à comprendre un objet de recherche sans tomber dans une posture compassionnelle vis-à-vis de cette recherche?

Allons voir ce que nous proposent les sciences dites « inexactes ». En effet, même si elles n’établissent pas des vérités « exactes », les sciences humaines restent pourtant des sciences, pour Duteille302, car « elles établissent des vérités valides, d’un autre type ». Buytendijk nous donne

301

Valleur, M., Bucher, Ch., Le jeu pathologique. Armand Colin, 2006, p.3

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Duteille C. Anthropologie phénoménologique des rencontres destinales. Thèse de Sociologie sous la direction de J-M Brohm. Montpellier III, 2003

124 d’ores et déjà une piste de réflexion lorsqu’il affirme, quant à lui, que « le sens du phénomène psychique comme tel ne peut être découvert par l’observateur désintéressé qu’exige le positivisme. Pour s’approcher de ce sens, le mode de connaissance propre à une conscience engagée, mode spécifiquement humain, est indispensable ».303