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9. PREMIERE SERIE D’ETUDES : L’ETRE-AUPRES-DE

9.1 Etude 1 : Le Nous de la rencontre arbitre/joueur est nécessaire pour

9.1.1 Présentation du support

Nous soutenons que la figure de l’arbitre incarne la puissance d’un système à métaboliser l’agressivité primitive en performance. La mise à l’épreuve d’une telle hypothèse ne peut s’inscrire dans le cadre d’une méthode clinique usuelle352. En effet, il s’agit moins ici d’évaluer une structure de personnalité ou d’expliquer un conflit intrapsychique, comme peuvent le faire les recherches cliniques, que de comprendre une dynamique intersubjective. Nous avons donc fait le pari d’échafauder un support d’images afin de rendre compte au mieux la dynamique de la relation arbitre/joueurs. Les images sont constituées de photographies qui mettent en scène des sportifs et des arbitres en situation de match de sport collectif353. Au départ, nous avons sélectionné plusieurs images qui mettent en scène des sportifs dans une situation conflictuelle ou non. Dans un souci de réduction de l’objet de recherche354, nous avons écarté les images qui ne manifestaient pas la présence de l’arbitre, puisque notre hypothèse de recherche évoque le Nous de la rencontre arbitre/joueurs. De même, nous avons favorisé les photographies

352

Telles qu’elles sont présentées par Chahraoui et Bénony,par exemple.

353

Nous ne reportons pas les photographies en annexe pour des raisons de droits d’auteurs.

354

Citée par Chahraoui, Revault d’Allones évoque la nécessité d’une « réduction au travail de recherche » : elle passe par une réduction des concepts, une réduction des observables, et une réduction de l’objet dans son interprétation. Chahraoui, op. cit. p.76

146 évoquant une altercation ou suscitant une tension (réelle ou supposée) puisque nous nous intéressons à l’issue agressive d’une rencontre.

Nous avons retenu quatre images à donner à voir à l’équipe des cadets d’un club de water-polo de niveau national, que nous avons auparavant fréquenté six mois dans le cadre d’un stage355. Chaque photographie manifeste la présence d’un arbitre ainsi que celle d’un ou de plusieurs joueurs. Tels Shentoub et Debray qui analysent le TAT en termes de contenu manifeste et de contenu latent356, en termes de contenu manifeste nous décrirons ces quatre images de la manière suivante357 :

1. La première photographie figure les capitaines de deux équipes de football se serrant la main ; l’arbitre, au centre, les regarde.

2. La deuxième photographie illustre un arbitre de rugby qui semble séparer deux joueurs en train de se battre.

3. La troisième photographie représente un arbitre de face, donnant un carton rouge à un joueur de football que l’on voit de dos, les mains tournées vers le haut.

4. La dernière image montre deux joueurs de football qui se battent en premier plan. D’autres joueurs se situent dans un second plan et l’arbitre se situe à l’arrière plan.

355

Nous avions mis en place un groupe de paroles une fois par semaine sur la totalité de la saison.

356

Shentoub, V., Debray, R. Fondements théoriques du processus TAT. In Bulletin de Psychologie, XXIV, 292 (12-15), 897-903, 2002

357

Les contenus latents sont consultables dans le mémoire de recherche. Decocq, F. L’espace intersubjectif dans la rencontre sportive: il y a un Nous avant le jeu. Etude de la rencontre arbitre/joueur et son issue agressive. Mémoire de recherche dirigé par Leroy Viémon B., Université Paul Valéry Montpellier III, mai 2008.

147 Face à ces scènes figuratives renvoyant à des situations de matchs spécifiques, l’adolescent est libre de dire ce qui lui parvient à la conscience.

9.1.1.1 Le versant psychanalytique

Nous voyons un avantage à utiliser, ici, un support de projection. Les techniques projectives se distinguent des autres tests par l’ambiguïté du matériel proposé (en termes de contenus manifestes et de contenus latents) et la liberté des réponses qui sont données358. La projection étant un processus psychique primaire qui consiste à expulser de la pensée des sentiments répréhensibles pour les attribuer à autrui, elle pose la question du rapport entre la réalité et l’imaginaire chez le sujet qui produit « une identité de perception »359. Les méthodes projectives, d’après Anzieu et Chabert, éveillent ainsi des conflits psychiques et « déclenchent l’angoisse de régression »360. Spontanément, les réponses seraient empreintes de facteurs internes361, d’angoisses liées à des représentations fantasmatiques et de mécanismes de défense qui révèleraient (du moins en partie) le fonctionnement psychique du sujet interrogé. En donnant à voir des images, nous faisons le pari que le discours entendu sera porteur de scénarios fantasmatiques eux-mêmes évocateurs d’instances psychiques utiles pour notre recherche.

358

Anzieu, D., Chabert, Ch. 1961. Les méthodes projectives. Paris, PUF, 2003

359

Idem p. 33

360

Idem p. 28

361

Concernant le TAT, Anzieu distingue, par exemple, l’idéal du moi, le narcissisme, le surmoi intégré, le surmoi en conflit. Idem p. 134

148 Deux catégories de tests projectifs sont distinguées par Anzieu et Chabert : les tests projectifs thématiques et les tests projectifs structuraux. Le support que nous présentons est à l’interface de ces deux catégories : d’une part, il se base sur des images comme pour le TAT ou le test de Patte noire (1) ; d’autre part, il s’inspire de la consigne d’expression libre comme pour le Rorschach (2).

1. Un support de projection thématique

Les photographies que nous soumettons mettent en scène des personnages dans une situation explicite. Ainsi, à la manière d’un test projectif thématique usuel, nous soupçonnons qu’elles vont se substituer aux associations libres car l’ambiguïté du matériel est réduite. De ce fait, nous nous permettons de nous inspirer du contenu latent de Patte noire et du TAT pour nous avancer sur la signification implicite des quatre images. Afin de ne pas accentuer « l’expression de l’angoisse devant l’inconnu »362, nous proposons de ne pas entrer dans le vif du sujet dès la première planche. Par ailleurs, nous avons choisi arbitrairement de ne pas présenter successivement la planche 2 et la planche 4 pour favoriser toute la spontanéité des réponses (et par crainte de biaiser les réponses du sujet se laissant aller à une comparaison). C’est pourquoi nous posons de respecter la chronologie des planches.

2. Une technique de projection structurale

Tel que pour le Rorschach, nous demandons aux sujets de s’exprimer librement sur ce qu’ils voient. Autrement dit, nous nous attendons à ce que l’expression libre des sujets va engendrer une « angoisse devant l’émergence de désirs intérieurement

362

Raush de Traubenberg Boizou, M.F. Le Rorschach en clinique infantile. L’imaginaire et le réel chez l’enfant. Paris, Dunod, 1996, p. 63

149 interdits »363 : elle va entrainer l’émergence d’un conflit dont le ressenti va faire trace dans le discours.

Cette situation projective provoquant une régression des processus secondaires vers des processus primaires voire des processus originaires (Anzieu et Chabert parlent d’une coupe représentative du sujet « dans sa façon d’appréhender le monde »364 dans le Rorschach), le support photographique apparait alors comme un moyen judicieux d’étudier le mode d’être-au-monde des sujets dans leur confrontation à des situations de match. En particulier, la « perception produite » dont parlent Anzieu et Chabert est entendue phénoménologiquement pour nous, rappelons-le, en termes de mode proto-représentationnel de communication que l’éprouvé immédiat dévoile (Straus, 2000). L’interprétation du protocole peut alors être centrée ici sur le vécu, sur l’ici et maintenant du sujet inconscient, le mouvement, en deux mots sur l’engagement corporel qui va jaillir.

9.1.1.2 Le versant phénoménologique

En termes d’observables phénoménologiques, chaque planche figure à la fois la présence de joueurs et d’un arbitre, mais l’ordonnancement diffère :

· Les trois premières planches mettent en scène un arbitre proche des joueurs

· la dernière planche situe l’arbitre à l’arrière plan.

363

Anzieu, D., Chabert, Ch., op. cit. p. 19

364

150 Spontanément, nous pourrions nous attendre à ce que les joueurs interrogés perçoivent topographiquement l’arbitre à chaque planche (puisque la perception peut être entendue comme le point d’émergence de tout travail projectif, nous venons de le voir).

Toutefois, du point de vue d’Erwin Straus, nous l’avons déjà évoqué, le sentir et le percevoir diffèrent dans la fabrication d’un espace-temps subjectif365. Dans cette perspective, Straus propose une approche phénoménologique de la description sans point de vue d’ensemble et en termes de paysage. L’espace de la perception, nous dit-il, « est un espace géographique »366 sans horizon. En fait, la perception se lie à « l’impression de paysage » dont l’horizon s’éprouve d’instant en instant par l’action des sens. Percevoir l’arbitre consiste, pour le joueur interrogé, à sentir l’arbitre dans son horizon. Dans cette acception phénoménologique, « la relation entre la proximité et l’éloignement n’est pas celle des lieux occupant dans l’espace des positions plus ou moins rapprochées »367. Pour l’auteur, « l’éloignement sera transformé à partir d’une relation entre le Je et le monde »368. Ainsi, en discriminant le proche et le lointain, c’est le degré de proximité, dans la relation arbitre/joueur, qui est questionné. Les adverbes de lieux et autres pronoms démonstratifs issus des éléments descriptifs recueillis seront mis en caractères gras afin de cerner précisément cette proximité. Il s’agit de comprendre dans quelle mesure le sujet interrogé sent une corporalité partagée avec l’arbitre.

365

Straus, E., op. cit. p. 18

366 Idem p. 378 367 Idem p. 451 368 Idem p. 451

151 9.1.1.3 Limites du protocole

Le protocole qui vient d’être présenté s’inspire, du point de vue scientifique, de protocoles déjà construits et reconnus en « exploration clinique »369 classique ; nous en escomptons donc les mêmes inférences. En donnant à voir des joueurs dans une situation conflictuelle en la présence de l’arbitre, nous avons l’ambition de mettre en exergue des phénomènes et de les discuter dans l’esprit d’une « méthode phénoménologique »370, c’est-à-dire en observant et en décrivant ce qui peut surgir spontanément du discours des sujets interrogés. Cependant, nous reconnaissons que du point de vue « expérimental », notre rigueur scientifique ne s’élève qu’à un stade empirique : la sensibilité, la fidélité et la validité n’ont pas été estimées, ici.