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4. PROBLEMATIQUE : Comment se fabrique l’être-ensemble ?

4.4 Déliaison du pulsionnel et de l’existentiel

Ainsi, les pathologies de la société postmoderne seraient moins l’effet d’une forclusion de la loi du Nom-du-Père que l’effet du déni du « Tu » ou, plus profondément, du déni de l’amour qui fonde les individus. Lebrun explique la « perversion ordinaire » actuelle, en effet, par la

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L’autre forme d’altération de la communion des consciences est la souffrance. Notons, ici, que l’objet de la psychopathologie (celle du XXe siècle, en tous cas) repose essentiellement sur la question de la souffrance (Pedinielli, 1994) et se heurte à des difficultés face à la question de la rébellion.

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Nédoncelle, M., op.cit. p. 198.

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89 forclusion235 de la loi-du-nom-du-père. Commençons par nuancer, à présent, le flou que l’opération psychique de l’expulsion du symbolique hors soi représente pour Freud en rappelant ici que le mécanisme de la forclusion, introduit par Lacan, est davantage à l’origine du fait psychotique que d’un phénomène pervers236. En fait, le mécanisme sous- jacent de la perversion, pour Lacan, renvoie plutôt au déni de la castration237. Le mécanisme du déni de la castration semble davantage coïncider avec ce que Lebrun examine dans les pathologies actuelles lorsque ce dernier décrit des individus qui sont manquants tout en ne s’assumant pas en tant qu’êtres « manquants ». Il serait donc davantage question de « déni», dans le sens où le lien à autrui est, par ailleurs, préservé dès lors que celui-ci abrite les intérêts propres.

D’autre part, au regard des pathologies actuelles où la souffrance cède la place à la rébellion, Winnicott a pointé peut-être, sans le savoir, l’intérêt

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Mécanisme psychanalytique introduit par Lacan, la forclusion « consisterait en un rejet primordial d’un « signifiant » fondamental (par exemple : le phallus en tant que signifiant du complexe de castration) hors de l’univers symbolique du sujet. » Lorsque Lebrun parle de forclusion pour décrire le phénomène de « dé-symbolisation » de nos sociétés, il souligne davantage l’abolition de l’ordre symbolique sans préciser s’il s’agit d’une véritable « expulsion hors du sujet » (ce qui constitue la psychose) ou d’un déni de la réalité (refus de reconnaitre la réalité d’un phénomène traumatisant à l’origine du fait pervers). Laplanche, J., Pontalis, J.B. Vocabulaire de la psychanalyse. Paris, PUF, 2002, p. 163.

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Rappelons, à l’instar de Pirlot et Pedinielli, que la perversion, du latin pervertere signifiant « retourner, renverser », renvoie à « ce qui détourne une règle, une loi, un fonctionnement (physiologique), un processus, pour un surplus de plaisir, de jouissance, parfois à l’insu du sujet lui- même. L’acte pervers, archaïque, non sexuel, vise à réduire autrui à un « objet partiel » sur lequel s’exerce une pulsion d’emprise. Pirlot, G., Pedinielli, J-L. 2009. Les perversions sexuelles et narcissiques. Villeneuve-d’Asq, Armand Colin, 2011, p. 8.

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Dans la séance du 27 février 1963 intitulée « L’angoisse », Lacan suppose, précisément, une reconnaissance implicite de ce qu’il faut dénier. Ce qui est dénié, autrement dit, est préalablement reconnu : la présence d’un monde commun est déjà présente lorsque le choix d’un éloignement de ce monde a eu lieu. Lacan, J. Le séminaire, livre X, L’angoisse (1962-1963). Paris, Le Seuil, 2004.

90 radical de travailler sur des processus pré-psychiques à l’œuvre dans la manifestation de l’existence. Un ouvrage peu connu de l’œuvre de Winnicott, que nous avons déjà évoqué, mérite toute notre attention au regard des dysfonctionnements actuels : Déprivation et délinquance est un recueil de conférences qui ont été réunies pour la première fois en 1974 et qui cernent la constitution d’un environnement suffisamment étayant pour prendre en charge de jeunes délinquants238 qu’il accueille et qui en ont été auparavant déprivés, c’est-à-dire « privés des caractères essentiels à la vie familiale »239. Lorsqu’il traite en particulier ce qu’il nomme « les tendances antisociales », Winnicott parle précisément de la déprivation comme étant à l’origine d’actes délictueux :

« Lorsque les forces cruelles ou destructrices menacent de dominer les forces d’amour, l’individu est obligé de trouver une manière de se défendre : jouer lui-même le rôle destructeur et obtenir qu’une autorité extérieure accepte de le contrôler »240.

Si nous approfondissons les travaux de Winnicott, nous apprenons ainsi que la déprivation d’un lien qui a été bienveillant serait à l’origine des actes délictueux car « ce retrait a dépassé la durée pendant laquelle l’enfant est capable d’en maintenir le souvenir vivant »241. En effet,

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C’est-à-dire des enfants ou adolescents ayant commis un acte répréhensible par la loi.

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Winnicott, D.W. Déprivation et Délinquance. Op. cit. p. 149

240

Idem p. 108

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91 « plus l’enfant est jeune, moins il est capable de garder vivante en lui la représentation d’une personne c’est à dire que, s’il ne voit pas cette personne dans un délai de x minutes, x heures, x jours, elle est morte pour lui »242.

Le premier facteur étiologique de la « tendance antisociale », pour Winnicott, est la séparation prolongée d’un petit enfant et de sa mère. Sans la proximité vivante de la mère-environnement, le sujet peut se révéler destructeur non pour satisfaire un désir érotisé mais pour se défendre contre sa propre dislocation psychique : une tendance antisociale exprime un espoir, une attente envers l’environnement pour que celui-ci reconnaisse les préjudices vécus par le passé. Autrement dit, c’est la déprivation d’un lien d’amour mutuel - la mort du « Tu » en soi - qui est à l’origine d’un acte de rébellion. Dans ce cas, la co-nnaissance par le Nous mère-enfant a eu lieu, mais une forme de re-connaissance n’a pas eu lieu. N’est-ce pas de ce phénomène-ci dont nous nous déprivons parfois, actuellement, les uns les autres ?