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5. HYPOTHESES DE RECHERCHE

5.3 Nostrité primordiale et Nostrité singulière

Nous venons de voir qu’un « Univers », immanent de l’Allèlon/basho, se distingue du « monde » à l’œuvre dans le Koïnos Cosmos. La présence d’un univers commun paraît assurer la pacification des liens à autrui. Pour comprendre cela, voyons à l’instar de Bonitto, comment se préserve l’espace intersubjectif dans le trouble de la personnalité limite. En se référant à l’espace thérapeutique, Bonitto pose une distinction entre un espace intersubjectif primordial, « un logos fondamental » toujours déjà là dans la relation thérapeutique, d’un espace intersubjectif dans lequel « le lien a lieu et se déroule »288 :

« L’intersubjectivité primordiale, grâce à son repli tutélaire, ouvre la voie au déploiement de l’intersubjectivité singulière afin qu’elle se constitue en notre propre vitalité. En effet, l’intersubjectivité primordiale représente notre universalité, point de départ et port d’arrivée de notre existence singulière »289.

Notre propre existence, traçant notre devenir, se déroulerait donc par la présence d’un lien universel qui « se manifeste toujours comme un arrière-fond d’évidence naturelle, de sens commun, qui rend possible que la relation se transforme continuellement…en ce qu’elle est et ce qu’elle peut être », et par lequel est établi, nous dit Bonitto, une corporalité universelle. S’agirait-il du Tu éternel de Buber ? En tous cas, Bonitto semble mettre en exergue une sorte de corporéité universelle.

288

Bonitto, C.S. L’intersubjectivité dans le Trouble de la Personnalité Limite. In La psychopathologie phénoménologique, Le Cercle Herméneutique N°7, Condé-sur-Noireau, 2006

289

111 Nous posons que ce logos fondamental renvoie à une Nostrité primordiale. Bonitto souligne, en fait, que non seulement « nous sommes un corps », mais également « nous faisons corps avec » comme pour créer, dans le meilleur des cas, une sorte d’ensemble, c’est-à-dire une

unité avec l’espace commun : la corporalité universelle. C’est par un

lien primordial « déjà là » que la relation peut se transformer continuellement. Il y aurait donc une sorte de Nostrité primordiale avant une Nostrité singulière.

Cette Nostrité primordiale serait la base d’appui sur laquelle le don initial du thérapeute puise sa générosité. Cette Nostrité primordiale,

Tellenbach la détermine tacitement lorsqu’il souligne, dans le phénomène de la rencontre, une atmosphérique plus large, commune, qui unit « les deux individus concernés mais aussi les tiers » ; de même que

Ricœur, lorsqu’il décrit l’univers de l’Allèlon, un Univers composé du monde « des uns » ET du monde « des autres ». L’expérience de

Corporalité universelle

Corporalité nostrique

112 l’ancienne directrice d’école290 montre que celle-ci a conscience de l’intérêt de l’enfant (le tiers) au moment du passage à l’acte agressif du père. En se basant sur une atmosphérique plus large que celle du climat « électrique » ambiant, un Univers englobant l’enfant présentement absent, la directrice a pu créer une Nostrité singulière avec le parent d’élève.

La prise de conscience d’une Nostrité primordiale se dégage donc, ici. Pour Charbonneau, l’intersubjectivité se détermine également par une ambiance, une « impression d’ensemble » qui est précisément créée par l’imbrication continuelle du phénomène du monde (les uns et les autres), du phénomène propre (la présence de soi) et du phénomène d’autrui (la 290 Supra p. 91 Nostrité primordiale Nostrité singulière Nostrité singulière Nostrité singulière

113 présence des autres). Lorsque Charbonneau291 parle de « l’expérience du Nous », la circulation du Monde (de l’Univers) vers le Soi et du Soi vers le Monde (vers l’Univers) de chacun permet de dégager un mouvement circulaire fondateur, spécifique, en lien avec une conscience qui n’est ni la conscience d’un soi, ni la conscience d’un autrui, ni la conscience du temps. Nous posons qu’il s’agit de la « conscience d’intersubjectivité » proche, selon nous, de la « conscience du monde » en son unité de Tellenbach, ou de la « conscience communautaire » de Nishida ou, enfin, de « la conscience collégiale » étudiée chez Nédoncelle (cf. le §4.3). C’est par la conscience d’intersubjectivité (c’est-à-dire de la conscience de l’existence de l’unité Soi-Monde) qu’émergent, réciproquement, l’être-soi et l’être-ensemble. Dans le cas de notre vignette clinique concernant l’arbitre de water-polo (§2.2.1.2), c’est par cette conscience d’intersubjectivité du phénomène de la rencontre sportive (le souci de préserver un « bon climat de jeu ») que l’arbitre se serait autorisé un geste de réassurance envers le joueur : il a reconnu, par proto-jugement, l’existence d’un Univers commun. Ici, l’autonomie du joueur (destin le plus favorable) semble avoir été liée à l’atmosphérique/au climat flairé par le joueur. Cette atmosphérique a pu être créée car là où le rayonnement de l’arbitre a demeuré (là où il a survécu aux attaques), a également surgit « un lieu, un ici, un là » en commun avec le joueur. Finalement, l’arbitre de notre vignette clinique, par une réciprocité « aimante », aurait créé davantage qu’un monde commun avec le joueur. Il aurait ouvert une véritable unité qui, en retour, aurait permis à la fois :

291

114 - La possibilité pour le joueur, parce qu’il s’est senti reconnu, de mobiliser son agressivité vers l’adhésion envers cette création d’Alleloî/Allèlon

- La possibilité pour lui-même de se réaliser en tant qu’arbitre- porteur-de-la-loi.

En somme, l’être-ensemble s’est manifestée par la proximité de l’arbitre à l’Univers commun (manifestation de l’Allèlon).

Nous en déduisons que la conscience d’intersubjectivité autorise la

réalisation mutuelle de l’être-soi et de l’être-ensemble.

Résumé : La conscience d’intersubjectivité opère une réalisation en acte de l’unité Soi-Monde par adhésion primordiale au Nous de la rencontre. La création d’un tel Univers entérine l’idée d’un noyau intersubjectif réciproque à l’œuvre dans l’être-ensemble.

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