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7. METHODOLOGIE

7.3 La recherche en phénoménologie

7.3.1 Le choix du champ sportif

7.3.1.1 Une potentielle Nostrité primordiale dans le phénomène sportif

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Binswanger, L. 1955. Introduction à l’analyse existentielle. Paris, Edtions de Minuit, 1971, p. 251

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131 La pratique sportive de compétition apparait au 19e siècle325. La communauté des chercheurs en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives catégorise le sport, aujourd’hui, en huit groupements d’activités : la gymnastique, la natation, l’athlétisme, les sports duels, les sports de combat, les sports collectifs, les activités de pleine nature et les sports artistiques. Chaque sport possède ses propres règles, une logique interne propre : la règle sera posée différemment selon que le sport soit individuel (athlétisme, natation…), duel (tennis, judo etc.), collectif (Football, rugby, water-polo etc.), artistique (patinage artistique, natation synchronisée etc.), de pleine nature (escalade, plongée etc.). Les conflits qui peuvent survenir vont donc se structurer différemment lorsque la règle sera déniée ou absente. Dans ce cas, les infractions sportives, signes de conduites excessives, relèveraient de déviances destructrices ou auto destructrices : Lassalle identifie le dopage/l’addiction, et l’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui326. Un sport individuel fera émerger davantage d’infractions auto destructrices (comme le dopage dans le cyclisme, par exemple) tandis que dans un sport collectif les relations conflictuelles seront davantage mises en exergue (tel le célèbre coup de boule de Zidane envers le joueur italien Materazzi lors de la coupe du monde de football de 2006).

L’historien Muchembled souligne que la pratique sportive apparaît au moment même où la criminalité est au plus bas dans la civilisation. Elle serait le signe d’un progrès social. En amplifiant les états de violence dans le sport, les médias accentuent l’effet trompeur d’une croyance

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Vigarello, G. Une histoire culturelle du sport. Techniques d’hier…et d’aujourd’hui. Paris, R. Laffont (Revue EPS), 1988.

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132 selon laquelle la pratique sportive génèrerait de la violence327. En particulier, l’Observatoire de la Vie Sportive précise que le sport fait état de très peu d’actes d’agression. Les données scientifiques sont d’ailleurs très peu nombreuses et parcellaires (les infractions sportives sont surtout répertoriées dans les sports de contact). Elles permettent toutefois d’affirmer que la violence dans le sport, évaluée en termes d’infractions sportives, diminue avec le sexe, l’age, et le niveau de pratique. Fournier328 nous invite alors à mieux comprendre l’agressivité sportive selon deux acceptions bien distinctes : l’exemple de l’apparente barbarie329 à l’œuvre dans la pratique du folk-ball330 montre que cette pratique autorégulée permet de déployer davantage une forme d’agressiveness (c’est-à-dire une agressivité créatrice) entre les individus sous la forme d’entraide et de camaraderie qu’une forme d’agressivity (c’est-à-dire une agressivité destructrice)331.

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Les résultats des enquêtes sociologiques récentes mettent en évidence l’effet amplificateur et trompeur de l’écho médiatique sur la violence, que celle-ci soit sociétale (Versini, OVE- Observatoire de la Violence Educative Ordinaire, 2009) ou sportive (Wincke, Observatoire des Comportements - FFF, 2010).

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Fournier, L. Violence mythifiée, violences constatées, le cas du folk-ball. Sociologue de l’université de Nantes. Invité au Colloque De la violence des terrains au terrain des violences : regards croisés sur le football amateur. Liévin, mai 2010.

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Pour Melman, la barbarie « consiste en une relation sociale organisée par un pouvoir non plus symbolique mais réel. A partir du moment où le pouvoir qui est établi s’appuie sur - a pour référence - sa propre force, et ne cherche à défendre et à protéger rien d’autre que son existence en tant que pouvoir, son statut de pouvoir, et bien nous sommes dans la barbarie » (Melman, 2005, p.79).

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Pratique écossaise proche de la soule qui consiste, pour les « Uppies » et les « Downies » (les habitants des deux cotés de la ville de Kirkwall) à ramener dans son camp un ballon lancé au milieu de la ville. Tous les coups sont permis ici.

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En 200 ans de pratique ce jeu déplore 9 morts et une baisse significative de la criminalité dans cette ville par rapport à la moyenne nationale.

133 Toutefois, nous avons vu que la société actuelle se transforme, et ce changement lui-même infuserait la sphère sportive (Munchembled, 2010). L’univers médiatisé du football l’illustre de manière frappante. La conduite de l’équipe de France, en particulier l’insulte d’Anelka envers son entraîneur Domenech lors de la coupe du monde de 2010, n’a-t-elle pas lieu dans le cadre d’une activité sportive dominée par des enjeux d’argent chers au « Dieu du marché » ? Comment comprendre, alors, ces deux destins possibles, constructifs et destructeurs, de l’agressivité sportive ?

La pratique sportive illustre, pour nous, la création d’une unité Soi- Monde. En effet, le sport dans la civilisation est plutôt appréhendé par la communauté intellectuelle comme une pratique « fédératrice » du lien social car le sport « transcende les diversités autour d’un idéal partagé » 332

. Lorsque la société se délite, sépare les individus les uns des autres, le phénomène de la rencontre sportive semble encore « rassembler » les individus. Contrairement aux idées reçues sur la violence dans la sphère sportive, le sport est alors considéré par Debray comme un véritable « îlot de survivance » de notre civilisation par le partage d’un projet commun : dans l’épreuve même du dépassement de soi, sa pratique peut permettre de se sentir « frères » par moments. Nous assistons régulièrement à une recrudescence de la pratique sportive dans les activités qui excellent, peu auparavant, au plan international : la discipline de la natation a vu ses effectifs augmenter ces dix dernières années, par exemple. Le phénomène de réciprocité serait donc particulièrement déployé dans la sphère sportive. Sans doute est-ce l’une des raisons pour lesquelles, d’ailleurs, le savoir-faire du corps-en-

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134 mouvement, dans sa dimension sensible, restaure l’identité psychique (Leroy-Viémon, 2008).

7.3.1.2 Un jeu humain témoignant d’une réciprocité humaine

La pratique sportive manifeste une agressivité primitive, c’est-à-dire une motricité instinctuelle destructrice par hasard (Winnicott, 1969), un élan vital (Minkowski, 1927) qui permet de comprendre l’agressivité sportive aussi bien en termes de combativité (saine agressivité) qu’en termes plus excessifs. À l’instar de Ricœur, nous comprenons que le sport (signifiant littéralement « jeu » en anglais) révèle en tant que tel une « expérience pacifiée de reconnaissance mutuelle »333. Etudier le phénomène de la réciprocité par la manifestation normale et pathologique des conduites sportives nous paraît donc pertinent. En effet, intuitivement nous avons senti que le jeu sportif, s’inscrivant historiquement dans le champ de la psychopathologie de la vie quotidienne, illustre une spatio-temporalité spécifique de la rencontre. Phénoménologiquement, pour Buytendijk, le jeu humain présente l’intérêt d’identifier « un « être mû en se mouvant » et un « se mouvoir en étant mû », comme dans la rencontre »334. Le jeu sportif met ainsi en exergue l’activité sensori-motrice que souligne le Cercle de la structure de Von Weizsäcker :

« Le mouvement ne peut s'opérer de manière adéquate qu'avec la collaboration des sens. Mais l'inverse aussi, c'est-à-dire la dépendance de

333

Ricœur, P., op. cit. p.342

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135 la perception sensible envers les mouvements, a été sans cesse mis en évidence et considéré comme important. »335

La corporéité à l’œuvre dans l’activité sportive semble non seulement, pour Gennart, « mettre en relief la façon dont le corps se profile à l’horizon de trois évidences fondamentales » [l’espace du corps, être quelqu’un, être en communication] dans le phénomène de la rencontre sportive, mais aussi révéler « l’articulation réciproque de ces trois évidences naturelles »336 que nous souhaitons mettre en évidence. En évoquant le jeu originaire du nourrisson, Buytendijk indique, en effet, que « chaque jeu est un rapport dynamique réciproque qui se développe à partir d’une rencontre »337. Pour l’auteur, le mouvement expansif à l’œuvre dans le jeu est à la fois un mouvement-avec (autrui) et un mouvement-contre (autrui). Lorsque le jeu se pratique « au détriment de tous les investissements affectifs et sociaux »338, précisent Valleur et

Bucher, le jeu devient pathologique. Ainsi, pour Ricœur339,

« l’alternative à l’idée de lutte dans le procès de la reconnaissance mutuelle est à chercher dans des expériences pacifiées de reconnaissance mutuelle» telle que celle de l’activité sportive.

Le rapport dynamique réciproque que le jeu sportif lui-même met en exergue, par le mouvement-avec et le mouvement-contre, apparaît être un élément de la psychopathologie quotidienne adéquate pour déployer

335

Weizsäcker Von, V. Le Cycle de la Structure. Paris, Desclée De Brouwer, 1958, p 49

336

Gennart, M., op. cit. p. 120

337

Buytendijk, J.J., op. cit. p. 23

338

Valleur, M., Bucher, Ch. Le jeu pathologique Armand Colin 2006

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136 un champ de recherche sur la question du double mouvement du Soi vers l’Univers et de l’Univers vers le Soi.

7.3.1.3Une expérience vécue personnelle

Contrairement à toute perspective expérimentale, l’être-chercheur, en phénoménologie, fait intimement partie intégrante de la recherche. Afin de capter l’expérience vécue et de la définir le plus fidèlement possible, il apparait que notre expérience de maitre nageur, d’entraineur et chorégraphe en natation synchronisée depuis plus de quinze ans, loin de représenter un biais pour la recherche, en sera l’un des points clés. C’est donc dans sa donation évidente, comprendre comment la réciprocité se meut dans le mouvement immédiat de l’expérience vécue, que notre analyse peut être conduite.