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I.3. Les noms de l’Atharvaveda 1. Les références externes

I.3.2. Les références internes

À l’intérieur de la tradition de l’Atharvaveda, le nom atharvaveda-spécifiquement apparaît à la même période tardive que son apparition ailleurs, à partir du Gopathabrāhmaṇa, texte d’exégèse atharvanique qui malgré son projet évident de rehausser la position de l’Atharvaveda oublie parfois de l’inclure à côté des trois autres Veda109. La même couche textuelle tardive connaît aussi le nom «Brahmaveda», probablement dans le sens « le Veda de l’expression sacrée » (Bronkhorst1989, p. 127), un titre emphatique d’auto-promotion qui n’est nulle part employé pour désigner l’Atharvaveda en-dehors de ses propres textes110.

On rencontre régulièrement l’affirmation que «atharvāṅgirásaḥ » est le nom le plus ancien de l’Atharvaveda (Bloomfield 1899, p. 1; Gonda1975, p.267, etc.). Il s’agit d’un type de composé comportant deux substantifs, toujours au pluriel, qui signifie donc « les Atharvan et les Aṅgiras », tout comme bhr ̥gvaṅgirásaḥ « les Bhr ̥gu et les Aṅgiras », autre désignation employée de préférence dans les textes rituels ultérieurs de l’Atharvaveda111. La première

máhaḥ sāmavedó yáśo yè ’nyé védās tát sárvam « La splendeur, c’est le R̥gveda ; la grandeur, le

Yajurveda ; la gloire, le Sāmaveda ; ceux qui sont d’autres Veda, c’est le tout (transcendant). »

108

Liste des passages dans Bloomfield 1897, p. xxiv-xxv.

109 Bloomfield 1899, p. 22 et 105. Il est possible que le Gopathabrāhmaṇa, comme le Kauśikasūtra, appartenait à plusieurs écoles de l’Atharvaveda, dont la Paippalāda et la Śaunaka ; voir Griffiths 2007 (p. 179-182 et 186-187).

110 Bloomfield 1899, p. 10 ; Sanderson 2007, p. 208, note 39 avec citations de textes.

111 Bloomfield 1899, p. 9. Voir AiGr. II.1 §66 p. 157. Le thème du premier membre s’ajoute au second membre qui se décline au pluriel, avec accent oxyton. Dans TB 1.1.4.8 on trouve le génitif

appellation, « atharvāṅgirásaḥ », est attestée une seule fois dans chaque recueil d’hymnes de l’Atharvaveda, à chaque fois dans des hymnes spéculatifs :

PS 16.84.6-7 (6=ŚS 11.7.24, 7 seulement PS)

r ̥caḥ sāmāni chandāṁsi purāṇaṁ yajuṣā saha| ucchiṣṭāj112jajñire sarve divi devā diviśritaḥ||6|| atharvāṅgiraso brahma sarpapuṇyajanāś ca ye| ucchiṣṭāj jajñire sarve divi devā diviśritaḥ||7||

« 6. Les strophes, les mélodies, les mètres, le [récit] légendaire, avec la formule liturgique : tous sont nés du reste (de l’offrande), [aussi] les dieux au ciel, qui reposent au ciel. 7. Les Atharvan et les Aṅgiras, la Formule, le peuple des serpents et les saints113: tous sont nés du reste (de l’offrande), [aussi] les dieux au ciel, qui reposent au ciel. »

ŚS 10.7.20

yásmād ŕ ̥co apā́takṣan yájur yásmād apā́kaṣan|

sā́māni yásya lómāny atharvāṅgiráso múkhaṁ skambháṁ táṁ brūhi katamáḥ svid evá sáḥ||

« De son corps on a charpenté les versets, formant avec les copeaux la formule (liturgique), — les mélodies sont ses poils, Atharvan et Angiras sont sa bouche, ce Skambha114: dis-moi, quel est-il donc ? » (trad. Renou 1956, p. 159).

Les appellations atharvāṅgirásaḥ115 et bhr ̥gvaṅgirásaḥ, comme on a dit, n’apparaissent pas dans les Saṁhitā des trois autres Veda, mais sont attestés dans ceux-ci uniquement à partir du stade de l’exégèse des Brāhmaṇa;

bhr ̥gvaṅgirásaḥ est employé surtout dans les textes rituels de l’Atharvaveda

(Gonda 1975, p. 267). Une version hors composé de bhr ̥gvaṅgirásaḥ est attestée dans les Khila, ce qui garantit à cette désignation aussi une certaine antiquité: bhŕ ̥gūṇām áṅgirasāṁ « des Bhr ̥gu et des Aṅgiras» (R̥VKh 3.15.30a à R̥V 10.84 ;Scheftelowitz1906, p. 102). Le flottement au niveau du premier membre, alors que le second désignant les Aṅgiras reste stable et est seul

pluriel bhr ̥gvaṅgirásām à côté de l’expression correspondante à l’état libre bhŕ ̥gūṇāṁ tvā́ṅgirasām. Le dérivé thématique atharvāṅgirasa- « ayant un lien avec les Atharvan et les Aṅgiras » ne semble pas être attesté en védique ; voir Bloomfield 1899, p. 7-8.

112 Bhattacharya insère un +; soit à cause de Or : ucchiṣṭājñire ; soit pour marquer le rétablissement de la graphie -cch-. K (correct) : uśchiṣṭājjajñire.

113 Sur les groupes des sarpa-janāḥ et des puṇya-janāḥ, ici combinés dans un unique composé (attesté aussi PS 9.26.5 et 10.14.2), voir Bodewitz 2013=2019, p. 389. Ce dernier groupe désigne les gens qui ont fait le bien (sukŕ ̥taḥ), décédés et devenus semi-divins, et pas encore les Yakṣa malveillants de la littérature ultérieure.

114 « Support » : l’être suprême qui régit l’univers, représenté en partie comme l’homme primordial, première victime du sacrifice. Voir R̥V 10.90, traduit et commenté par Renou (1956, p. 97-100).

115 Attesté en TB, ŚB, GB, et plus tard dans les Gr ̥hyasūtra et dans le Vaitānasūtra. Le dérivé thématique atharvāṅgirasa- « ayant un lien avec les Atharvan et les Aṅgiras » ne semble pas être attesté en védique, voir Bloomfield 1899, p. 7-8.

présent dans l’unique référence à l’Atharvaveda dans les Saṁhitā des autres Veda (Taittirīyasaṁhitā 7.5.11.2, cité plus haut), suggère qu’à la période intermédiaire de l’époque védique, c’est le nom d’Aṅgiras qui représentait au mieux la tradition qui finira par être appelée « Atharvaveda». C’est important quand on considère que le nom d’Aṅgiras évoque surtout la sorcellerie et le rituel hostile (I.4).

Seuls les «descendants d’Atharvan» sont mentionnés dans une litanie du recueil Śaunaka de l’Atharvaveda qui rend hommage à chaque livre116 du recueil :

ŚS 19.23.1

ātharvaṇā́nāṁ caturr ̥cébhyaḥ svā́hā

« Salut aux hymnes à quatre strophes des descendants d’Atharvan ! »

On pourrait expliquer les références faites uniquement à l’un ou l’autre groupe, Atharvan ou Aṅgiras, ou à leurs descendants, par l’ellipse. En effet, on trouve souvent chacun de ces noms, avec leurs patronymiques dérivés, présentés côte à côte en litanie dans les hymnes de l’Atharvaveda, surtout dans les derniers livres. On trouve les occurrences des deux noms séparés dans toutes les couches. I.3.3. Les passages mentionnant Atharvan et Aṅgiras ensemble La sélection des neuf passages suivants est, je crois, exhaustive. Il s’agit de l’ensemble des passages des deux recueils de l’Atharvaveda où Atharvan et Aṅgiras (ou leurs descendants) apparaissent ensemble. Le nombre et la variété des passages cités donne l’impression que ces noms fonctionnent comme une paire indifférenciée, que les deux sont à invoquer ensemble dans n’importe quelle situation rituelle. Ce fait oriente la discussion suivante sur ce que représentent ces deux noms, dans laquelle je tenterai de montrer qu’Atharvan « prêtre-sorcier» n’est que le titre d’Aṅgiras.

Deux des passages relèvent de la catégorie des hymnes spéculatifs. Le premier fait incidemment référence aux herbes médicinales:

1. ŚS 11.4.16 (PS 16.22.6)

ātharvaṇī́r āṅgirasī́r dáivīr manuṣyajā́ utá| óṣadhayaḥ prá jāyante yadā́ tváṁ prāṇa jínvasi||

« Qu’elles soient d’Atharvan ou d’Aṅgiras, divines ou nées d’hommes, les herbes prennent naissance quand toi, ô souffle, tu les animes117».

116 Les livres sont organisés par numéro de strophes, par hymne. Cette litanie se situe dans le dix-neuvième livre du recueil, reconnu comme étant un ajout plus récent aux livres précédents.

117 Traduit aussi par Renou 1956, p. 178. ŚS b utá « et » remplacé par PS ca yāḥ « et celles qui sont… ». PS c : sarvāḥ pra modanta *oṣadhīr « toutes les herbes se réjouissent ». Noter ici le thème en -ī - long suivant la déclinaison devī ́ par contraste avec ŚS óṣadhi- en -i- bref. Voir Pinault 2004, p. 138-140.

2. ŚS 19.54.5 (PS 11.9.4cd-5)

kālé ’yám áṅgirā devó ’tharvā cā́dhi tiṣṭhataḥ|

imáṁ ca lokáṁ paramáṁ ca lokáṁ púṇyāṁś ca lokā́n vídhr ̥tīś ca púṇyāḥ| sárvāṁl lokā́n abhijítya bráhmaṇā kāláḥ sá īyate paramó nú deváḥ||5||

« Dans le Temps sont situés cet Aṅgiras (venu) du ciel, cet Atharvan, et ce monde-ci et le monde suprême, et les saints mondes et les saints interstices. Après avoir conquis tous les mondes par la Formule, le Temps se met en marche, dieu suprême » (trad. Renou 1956, p. 22).

La strophe suivante dérive d’un hymne probablement employé pour le rite domestique de puṁsavana, pour la conception d’un fils, décrit dans les manuels Gr ̥hya (Lubotsky2002, p. 48). L’expression «saisir le nom » (voir sous I.8) plus loin dans l’hymne (PS 5.11.7) donne un ton plus atharvanique que les prières à divers dieux qui forment la majeure partie du contenu:

3. PS 5.11.4

atharvāṇo aṅgiraso viśve devā r ̥tāvr ̥dhaḥ| śr ̥ṇvantv adya me havam asyai putrāya vettave||

« Les Atharvan, les Aṅgiras, Tous-les-dieux, qui affirment l’ordre — qu’ils écoutent aujourd’hui mon appel, pour qu’elle obtienne un fils ! »

L’hymne du passage suivant, une incantation classique, parle d’une amulette (maṇí -118). Dans le présent hymne, elle est faite de bois de kadhirá (ŚS 10.6.6) et enfilée sur une chaîne d’or (híraṇyasraj-, 10.6.4):

4. ŚS 10.6.20 (PS 16.44.3)

átharvāṇo abadhnatātharvaṇā́ abadhnata|

táir medíno áṅgiraso dásyūnāṁ bibhiduḥ púras téna tvám dviṣató jahi||

« Les Atharvan se sont attaché [l’amulette], les descendants d’Atharvan se sont attaché [l’amulette] ; les Aṅgiras, avec eux pour alliés (PS : se l’étant attachée), ont brisé les forteresses des Dasyu. Avec cette [amulette], toi, frappe ceux qui haïssent ! »119

118 Il s’agit d’un ornement fabriqué de diverses substances métalliques ou végétales, qu’on enfile et qu’on noue autour du cou, ou qu’on attache à un autre endroit visible. Voir Knobl 2007a, p. 42-44, et Whitaker 2004, p. 567, et les hymnes dans le présent travail qui y font référence : PS 3.3, 7, et 13.

Le reste des occurrences sont attestées dans des litanies:

5. ŚS 11.6.13 (PS 15.14.6)

ādityā́ rudrā́ vásavo diví devā́ átharvānaḥ ǀ áṅgiraso manīṣíṇas té no muñcantv áṁhasaḥ ǀǀ

« Les Āditya, les Rudra, les Vasu, les divins Atharvan au ciel, les Aṅgiras inspirés : qu’ils nous libèrent de l’oppression »120.

6. PS 16.94.5-8

aṅgirobhyaḥ/āṅgirasebhyaḥ/atharvabhyaḥ/ātharvaṇebhyas tvā nir vapāmi…

« Je t’éparpille [en offrande121] pour les Aṅgiras, les descendants d’Aṅgiras/les Atharvan/les descendants d’Atharvan. »

7. PS 17.22.3

r ̥ṣibhya ārṣeyebhyo aṅgirobhya āṅgirasebhyo ’tharvabhya ātharvaṇebhyo ’mum āmuṣyāyaṇam amuṣyāḥ putram ā vr ̥ścāmi

« Je livre en victime122 un tel, de telle lignée, fils d’une telle123, aux sages, aux descendants des sages, aux Aṅgiras, aux descendants d’Aṅgiras, aux Atharvan, aux descendants d’Atharvan. »

8. PS 17.28.22-25

so ’ṅgirasaḥ/āṅgirasān/atharvaṇaḥ/ātharvaṇān upapādhāvat

« Il a eu recours aux Aṅgiras/aux descendants d’Aṅgiras/aux Atharvan/aux descendants d’Atharvan. »

9. PS 18.52.9-12 (ŚS 16.8.11-14)

só ’ṅgirasāṁ/āṅgirasā́nāṁ/átharvaṇām/ātharvaṇā́nāṁ pā́śān mā́ moci

« Qu’il ne se libère point des lacets des Aṅgiras/des descendants d’Aṅgiras/des Atharvan/des descendants d’Atharvan. »

I.4. « Bienfaisant» ou «terrible » : une distinction limitée I.4.1. Une distinction dans la littérature rituelle védique

Qui sont donc ces Atharvan, ces Aṅgiras et leurs descendants? La tradition rituelle de l’Atharvaveda divise celui-ci en deux pôles opposés : un pôle positif désigné par śānta- « apaisé», ātharvaṇa- « lié à Atharvan» et bheṣaja-«remède », et un pôle négatif désigné par ghora- « terrible », āṅgirasa- « lié à Aṅgiras» et yātu- « sorcellerie» (voir Bahulkar 1994, p. 40). Cette division 120 PS devā daivā « les dieux, les divins… ». La strophe suivante dans la ŚS (11.6.14=PS 15.14.1) mentionne les trois autres Veda, avec pour désignation oblique de l’Atharvaveda, bheṣajā « les remèdes ».

121 Il s’agit de l’offrande du gruau de riz, odaná-.

122 Sur le sens particulier de ā́-vr ̥śc- avec datif voir Narten 1959=1995, p. 9-10.

est explicite dans le Gopathabrāhmaṇa qui exalte l’Atharvaveda, et elle est toujours reconnue dans la littérature rituelle médiévale de l’Atharvaveda comme atteste la Karmapañjikā de Śrīdhara du xvie siècle de notre ère124. Elle est souvent mentionnée dans les études sur l’Atharvaveda, mais elle est artificielle en ce qui concerne les Saṁhitā, les collections d’hymnes atharvaniques qui prédatent notre ère. Dans le Gopathabrāhmaṇa lui-même, la distinction entre les deux groupes n’est pas maintenue de façon consistante: les deux, Atharvan et Aṅgiras, ensemble sont appelés les guérisseurs des fautes rituelles (alors que la guérison serait le domaine du seul Atharvan), dans le projet général de cerner une place pour l’Atharvaveda dans le culte solennel, en prétendant être les meilleurs candidats pour remplir la fonction du prêtre surveillant «Brahmán »125. Comme le note Bloomfield, il est facile de rassembler les passages qui associent, et ce dès les hymnes les plus anciens, les Aṅgiras aux pratiques violentes, mais la connexion entre Atharvan et la guérison est plus difficile à établir126. Bloomfield (1897, p.xix-xxi) note aussi que la littérature des trois autres Veda connaît cette distinction, mais que les passages concernent presque uniquement l’association d’Aṅgiras avec la sorcellerie (kr ̥tyā-), le rituel hostile (abhicāra-) et les pratiques terribles (ghora-). Henryremarque que les abhicārikāni et les āṅgirasāni (termes issus des manuels dénotant des catégories rituelles) sont des « charmes de magie noire si intimement liés souvent à ceux de magie blanche que la rigueur même de notre classification ne nous a pas permis de les exclure entièrement des chapitres précédents» (Henry1904, p.221).Shende(1952, p.6) aussi affirme que le contenu des hymnes ne corrobore nullement l’idée d’une différence essentielle entre les deux sages, à laquelle correspondrait une différence entre deux types de magies, blanche et noire. Il note même en passant, dans son étude sur les Aṅgiras, que ceux-ci sont identiques aux Atharvan127. Mais son argumentation, trop brève, mériterait d’être étoffée.

Si l’on s’en tient aux manuels rituels de l’Atharvaveda, dont dépend le Gopathabrāhmaṇa :Bloomfield avait déjà noté l’existence de la distinction dans le manuel du Vaitānasūtra (5.10) entre deux catégories de plantes rituelles : celles qui relèvent du rituel auspicieux sont d’Atharvan (ātharvaṇī -) et celles du rituel hostile sont d’Aṅgiras (āṅgirasī -)128. Le Vaitānasūtra 124 Griffiths et Sumant 2018, p. lxix ; pour la datation p. xli.

125 Bloomfield 1899, p. 108. Sur l’histoire de ce prêtre du rituel solennel, voir Fujii 2014 et Brereton 2004.

126 Bloomfield 1899, p. 22 ; de même Macdonell et Keith 1912, p. 18.

127 Shende 1950, p. 119 (à propos de ŚS 10.6.20 cité I.3.2, exemple 4) : « The Āṅgirasas, who are the same as the Atharvans, on account of that amulet, opened the fortress of the Dasyus and conquered them. »

128 Bloomfield 1897, p. xviii-xix. Voir aussi Caland 1910, p. 14. Cette distinction est reprise en GB 1.2.18 ainsi que dans la Karmapañjikā mentionnée plus haut ; voir Griffiths et Sumant 2018, p. lxi-lxiv.

énumère la liste des plantes d’Aṅgiras, mais réfère au manuel originel dont il dépend à son tour, le Kauśikasūtra, pour la liste des plantes d’Atharvan, qui est donnée en KauśS 8.16; les plantes y sont qualifiées de bienfaisantes (śāntāḥ, littéralement «apaisées »), sans mention d’Atharvan. Le Kauśikasūtra distingue aussi plus généralement entre deux sortes de matériel rituel, le

śāntaṁ saṁbhāram ou «matériel bienfaisant» (8.8) et saṁbhāram…āṅgirasam

ou «matériel de sorcellerie » (47.2). Les mots śānta- et atharvaṇ- apparaissent l’un à côté de l’autre dans un seul endroit du Kauśikasūtra:

KauśS 125.2

vedābhigupto brahmaṇā parivr ̥to ’tharvabhiḥ śāntaḥ sukr ̥tām etu lokam

« Qu’il aille au monde des bienfaiteurs, protégé par le savoir, entouré par la formule, et absous par les [formules ? prêtres ?] Atharvan »129.

Ces trois textes, qui datent de la fin de la période védique, témoignent de l’émergence de nouvelles catégories rituelles qui unissent et organisent certains aspects de la tradition complexe dont témoignent les hymnes de l’Atharvaveda. La catégorie de śānti- «apaisement», abstrait apparenté à l’adjectif śānta- « apaisé», a récemment été étudiée dans son développement par MarkoGeslani(2018). Il s’agit d’un ensemble post-védique de pratiques rituelles de défense contre les influences humaines et cosmiques hostiles, à l’usage du roi ; elles font l’objet d’un partenariat entre le prêtre du roi versé dans le rituel de l’Atharvaveda et l’astrologue, un type d’expert peu présent à l’époque védique130. Cette catégorie, comme le montre Geslani, n’est pas encore explicitement formée dans le Kauśikasūtra, mais ses commentateurs médiévaux Dārila et Keśava131 l’emploient volontiers comme grille de lecture dans leurs explications, même là où le Kauśikasūtra ne conçoit de toute évidence pas le rite en question comme appartenant à une telle catégorie (Geslani 2018, p. 30, note 41 ; p. 40). Elle est désormais une catégorie de référence pour les commentateurs, mais dans le manuel rituel védique elle n’est qu’en voie de le devenir; le terme śānti- lui-même n’y apparaît pas.