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Sous II.5, je reprendrai l’idée déjà avancée par d’autres de l’hymne védique comme discours rhétorique persuasif prononcé devant un public divin

K, somasyoṣadhe Or; 31.4 krāvyāpaḥ krāvya āpaḥ Or; 32.4,6 mumukta

III.5. Introduction, traduction et commentaire

Chaque hymne est précédé d’une introduction qui présente l’hymne de façon globale, suivie d’un résumé de chaque strophe qui donne un aperçu de l’hymne dans son unité, ainsi que d’une note sur la métrique.

Chaque strophe sanskrite est suivie d’une traduction en français et en anglais, l’anglais étant ma langue maternelle. Il ne faut pas comprendre l’une comme la traduction de l’autre : chacune traduit directement le sanskrit. Pour cette raison, le lecteur familier des deux langues pourra par moments avoir l’impression que les deux traductions ne rendent pas le texte sanskrit de la même façon. C’est, je crois, normal, car je ne peux pas me permettre les même libertés de traduction en français qu’en anglais. La traduction est un art subtil, et mon approche a évolué au cours des années de travail, et évoluera encore. J’espère qu’elle suffira, pour le moment, à restituer de façon adéquate ma compréhension du texte. Comme il est de coutume dans les études védiques, la traduction sacrifie souvent l’élégance à la précision. Cela est d’autant plus justifié ici, si l’on considère qu’un grand nombre d’hymnes présentés dans le travail n’ont jamais été traduits dans aucune langue (pour d’autres, on ne peut souvent citer que des traductions datant d’un siècle ou plus): il s’agit d’une première tentative. Pour la méthodologie, voirGriffiths2009, p.lxxx.

L’ordre des mots sanskrit est, dans la limite du possible, respecté dans la traduction, afin de préserver la succession des images. Comme la strophe se divise en pāda, le plus souvent au nombre de quatre, la traduction aussi se présente en général sur quatre lignes (parfois plus, parfois moins, selon le type de strophe), afin que le lecteur puisse facilement reporter chaque ligne traduite au quart de vers sanskrit correspondant. Mis à part ce format parallèle, je ne prétends pas faire une traduction métrique.

La Śaunakasaṁhitā, recueil d’hymnes de l’école Śaunaka, était la seule Saṁhitā de l’Atharvaveda connue avant la découverte de celle de l’école Paippalāda. Elle a été intégralement traduit en anglais parWhitney(1905) ; quand ce recueil contient un parallèle à la strophe de la PS étudiée, le texte de ce parallèle (édition R-W) suivi de sa traduction par Whitneyest donné sous l’apparat critique. De même, si une strophe possède un parallèle dans le R̥V, le texte de ce parallèle est donné avec deux traductions: celle en allemand de Geldner (G, 1951), et celle en anglais de Jamison et Brereton (J-B, 2014). Dans une prochaine version de ce travail, il faudrait comparer plus assidûment les traductions du R̥V par Renou dans les EVP, ainsi que la nouvelle traduction des livres 1 à 5 deWitzelet Gotō(2007, 2013).

Les passages parallèles dans la ŚS et dans le R̥V, mais aussi dans d’autres textes védiques, sont notés à droite du numéro de la strophe : ces listes, non exhaustives, sont faites à l’aide deLubotsky1997 pour le R̥V, deBloomfield 1906 et des textes électroniques disponibles sur le site GRETIL de l’université de Göttingen. La mention «seulement PS » indique que la strophe en question n’est attestée que dans la Paippalādasaṁhitā, n’ayant pas de parallèles ailleurs.

Un commentaire suit chaque strophe. Les lettres en caractères gras (a,b etc.) localisent le quart de vers (le pāda) commenté (a=premier quart de vers, etc.). Toute correction fait l’objet d’une discussion dans le commentaire, sauf parfois celles qui, reprises de Bhattacharya (1997), ne nécessitent pas de justification particulière. Dans le commentaire, toute référence à Bhatta-charyasans plus de précision renvoie au passage correspondant de son édition. De même, toute référence àWhitney renvoie à sa discussion du parallèle de la ŚS en question dans le commentaire à sa traduction de 1905, qui souvent commente l’édition entreprise avec Roth (R-W). Toute référence à Lanman renvoie à ses remarques contenues dans le commentaire à l’hymne en question dans Whitney 1905. Toute traduction de la ŚS en anglais et sans référence est donc deWhitney. À l’occasion, d’autres traducteurs seront cités, pour ces mêmes textes et pour d’autres. Toute traduction en français et sans référence est de mon fait.

La version de cet hymne dans la ŚS (3.4) a fait l’objet d’un traitement détaillé dans Dandekar 1966. Ce dernier met en évidence le fait que cet hymne décrit une situation politique où le roi est élu par un ensemble d’autres chefs, un «electoral college » (p.34) pour ainsi dire. Ces chefs représentent, lors de l’élection, les clans auxquels ils appartiennent. La situation a son pendant au ciel, où les dieux élisent le roi, identifié à Indra, en même temps que les chefs humains. Cette élection n’est explicitement reconnue comme telle que dans une seule strophe (2), où est employée une racine qui signifie « choisir». Dans cinq strophes sur huit, on trouve plutôt la racine havi- «appeler»306: le roi nouvellement élu est avant tout décrit comme l’objet des appels des hommes et des dieux. Il s’agit d’une expression concrète de la royauté, position d’autorité à laquelle tout le monde se réfère, dans l’unité et la déférence.

Résumé (1) Identification du roi au-dessus des clans avec le soleil au-dessus des directions. (2) Les clans et les directions choisissent le roi, qui ensuite les récompensera dans la distribution des biens. (3) Prière pour la bienveillance et le tribut de ceux qui entourent le roi. (4) Comparaison des dieux de même rang autour de Savitar, avec les chefs vassaux autour du roi. (5) Dans un contexte cosmique, le roi divin Varuṇa approuve le roi humain en l’identifiant à soi-même. (6) Le roi humain est invité à s’identifier avec le roi divin Indra, et ensuite, en tant que Varuṇa à nouveau, à assumer ses responsabilités envers les hommes et les dieux, étant approuvé par l’ensemble de ces derniers. (7) Prière pour l’approbation des déesses des chemins, en vue de la richesse et la longévité du roi. (8) Le rituel assurera l’appui d’Indra pour rendre les clans tributaires du roi seul.

Métrique La triṣṭubh est de règle, parfois entrecoupée de lignes jagatī , jusqu’à la dernière strophe (absente du parallèle ŚS 3.4), qui est en anuṣṭubh. 3.1.1. ŚS 3.4.1. d : ŚS 6.98.1d ; MS 4.12.3d ; TS 2.4.14.2d

ā tvāgan rāṣṭraṁ saha varcasodihi (12) prāṅ viśāṁ patir ekarāṭ tvaṁ vi rāja| (11J) sarvās tvā rājan pradiśo hvayantu- (11) upasadyo namasiyo bhaveha|| (11) À toi est échu le pouvoir royal. Élève-toi avec la splendeur !

Vers l’Orient, toi, en tant que maître des clans, roi unique, règne sur chacun! Que toutes les directions, ô roi, t’appellent.

Deviens ici objet de service et d’hommage!

Royal power has come to you. Rise together with splendor!

Facing East, as lord of the clans, sole ruler, you, reign over each one! 306 Voir le commentaire à 1b et surtout à 6b.

O king, to you let all directions call.

Become the object of service and homage here!

gan] Ek1 Ek2 Ji3 V/123 V/153, gana Ku1 [Ja Vā], gni K varcasodihi] Or, varcasodhiḫ K prāṅ] Ek1 Ek2 Ku1 V/123 V/153, prāṅa Ji3, prāg K rāja] Or, rājā K |] Or, om. K

viśāṁ] Ek2 Ji3 V/123 [(> viśāṅ) Vā] K, viṣāṁ Ek1 Ku1 V/153 hvayantū] Ek1 Ek2 K, bhava(> hvaya)ntu Ji3, hvāyantu Ku1, hvayantu V/123 V/153 namasyo] K, namaso Or

||] Or, om. K

ŚS 3.4.1

ā́ tvā gan rāṣtráṁ sahá várcasód ihi prā́ṅ viśā́ṁ pátir ekarā́ṭ tváṁ ví rāja| sárvās tvā rājan pradíśo hvayantūpasádyo namasyò bhavehá||

« Unto thee hath come the kingdom ; with splendor rise forward ; [as] lord of the people, sole king, bear thou rule ; let all the directions call thee, O king ; become thou here one for waiting on, for homage. »

a. R-W et Bhattacharya éditent ā tvā gan (injonctif aoriste), conformément au padapāṭha, mais Whitney dans sa traduction considère qu’il s’agit d’un indicatif aoriste. Hoffmann (Hoffmann 1967, p.110) cite ce passage parmi les exemples d’aoristes dont l’augment dissimulé en sandhi n’a pas été reconnu par l’auteur du padapāṭha. On trouve la même situation plus loin en PS 3.4.5. Le R̥V contient environ 1600 exemples d’injonctifs non-prohibitifs, alors que l’AV ne contient qu’une cinquantaine d’exemples indépendants, mais « auch darunter sind zahlreiche textlich oder formal unsichere Belege».Whitney1881 donne de nombreux exemples de l’indicatif aoriste ā́ + agan avec divers traitements en sandhi (ā́gan, ā́…’gan, ā́…agan). La présente strophe fournirait le seul exemple de l’injonctif ā́…gan ; par conséquent, il est moins probable qu’il s’agisse de l’injonctif. Je choisis donc ici l’indicatif aoriste.

Le mot rāṣṭrá- est beaucoup plus fréquent dans la ŚS que dans le R̥V, où d’ailleurs sept de ses dix occurrences sont attestées dans le 10e maṇḍala. On

rencontre une phraséologie parallèle à notre strophe en ŚS 13.1.1 (PS 18.15-18), où le soleil est exhorté à se lever, udéhi, et à entrer dans son royaume, rāṣṭráṁ

prá viśa. L’identification du roi avec le soleil, appelé « Rohita», en ŚS 13.1, est

étudiée en détail dansProferes 2007, p.85-87. J’ajoute que le terme rāṣṭrá-en ŚS 13.1, comme ailleurs dans la ŚS, est le plus souvrāṣṭrá-ent à l’accusatif, objet de verbes qui signifient « conférer», dhā-, et « apporter », ā́-hr ̥-. Dans notre strophe, le point de vue change, et rāṣṭrá- passe au nominatif. Ceci implique que le pouvoir royal, à savoir, à cette époque, l’autorité de régner sur les autres chefs de clan,307est personnifié, et vient de lui-même vers « toi », le roi. L’accent est mis sur le roi, qui prend complètement la place de Rohita ; bien que toujours comparé avec ce dernier, il occupe maintenant le premier plan.

307 Voir Tsuchiyama 2007. Selon lui, il conviendrait de réserver la traduction de rāṣṭrá- par « royaume », au sens d’un territoire fixe, aux attestations ultérieures aux Brāhmaṇa.

Le terme várcas- « splendeur» désigne le charisme du roi, qui reçoit cette qualité solaire à travers les eaux de l’onction royale, lesquelles contiennent le feu du soleil, auquel le roi sera identifié. Ce système est décrit dansProferes 2007, p.81-91. ŚS 3.22, notre PS 3.18, y est étudié en détail en tant qu’ancienne liturgie d’onction royale; voir les remarques plus loin pour 3.18. Les clans eux-mêmes agissent en parallèle avec les eaux, les deux se réunissant pour déposer l’autorité dans l’individu destiné à devenir roi (une action symbolisée par le mélange des feux de chaque chef de clan individuel dans le feu central du roi, conçu comme celui qui les réunit et qui les éclipse (Proferes2007, p. 101). Les directions « appellent» le roi parce qu’elles sont mises en parallèle avec les clans électeurs qui occupent un des territoires sur lesquels le roi va régner. Cette idée est encore précisée dans la strophe suivante.

b. Whitney supprime prāṅ pour obtenir une ligne de triṣṭubh métriquement correcte, considérant que prāṅ serait un ajout visant à renforcer la métaphore du roi comme soleil. En l’absence de raisons supplémentaires de le supprimer, et étant donné qu’une autre ligne de douze syllabes à cadence de

triṣṭubh se présente ci-dessous en PS 3.1.6, je choisis de conserver ce mot.

Sur la traduction de víś- par « clan», voirProferes2007, p.15-16. La traduction du verbe préverbé ví-rāj- par «régner sur chacun» est motivée par le fait que le préverbe ví «au loin ; séparément» a un emploi particulier dans les contextes royaux. Il y reflète l’action d’une entité sur plusieurs autres entités qui lui sont soumises. Ce préverbe, associé par exemple aux dérivés de la racine havi- « appeler », fait référence à l’appel du roi par plusieurs peuples réunis sous son autorité (Proferes 2007, p.44-45). De même, dans la strophe suivante, le verbe préverbé ví-bhaj- signifier « donner une part à chacun [des peuples sous contrôle]», donc «répartir, distribuer». Chaque occurrence d’un verbe de ce genre, du moins dans cet hymne, est précédée par l’évocation de l’entité plurielle soumise qui subit l’action du verbe sans être explicitée. Dans cette strophe comme dans la suivante, ce sont les clans; dans la strophe 3, ví-rāj- est précédé de la mention de « ceux de même origine », les hommes de la famille du roi et de son milieu en général, de rang égal au sien et qui, au moment des élections, pourraient aussi prétendre au statut de roi.

3.1.2. ŚS 3.4.2. a : MS 2.5.10a ; TS 3.3.9.2a; BaudhŚS 3.31, 14.14. b : MS 2.5.10c ; TS 3.3.9.2c ; TB 2.4.7.7c. d : MS 2.5.10d ; TS 3.3.9.2d; TB 2.4.7.7d

tuvāṁ viśo vr ̥ṇatāṁ rājiyāya (11) tuvām imāḥ pradiśaḥ pañca devīḥ| (11) varṣman rāṣṭrasya kakudi śrayasva- (11) -ato vasūni vi bhajāsiy ugraḥ || (11) Que ce soit toi que les clans choisissent pour la royauté,

Installe-toi à la tête du pouvoir, au pinacle, à partir de là, tu répartiras les biens, puissant. Let it be you the clans choose for kingship,

let it be you whom these five divine directions choose. Rest at the height of royal power, at the peak. From there, powerful, you will distribute goods.

vr ̥ṇatāṁ] Or, vr ̥ṇutāṁ K imāḥ] Ek1 Ek2 V/123 V/153 K, imā Ji3 Ku1 |] Or, om. K

varṣman] Ek1 Ji3 Ku1 V/123 V/153, varṣmana Ek2, [vaṣman Ja], varṣma K kakudi] Or, kakudhi K vasūni] V/153 K, vasuni Ek1 Ek2 Ji3 Ku1 V/123 bhajāsy] Or, bhajāmy

K ugraḥ] Or, agrāḥ K ||] Or, om. K ŚS 3.4.2

tvā́ṁ víśo vr ̥ṇatāṁ rājyā̀ya tvā́m imā́ḥ pradíśaḥ páñca devī́ḥ| várṣman rāṣṭrásya kakúdi śrayasva táto na ugró ví bhajā vásūni||

« Thee let the people choose unto kingship, thee these five divine directions ; rest at the summit of royalty, at the pinnacle ; from thence, formidable, share out good things to us. »

a. Le syntagme víśo vr ̥ṇáte apparaît en R̥V 10.11.4c. Les parallèles approximatifs ont gāvaḥ « les vaches» à la place de víśaḥ.

b. Selon Proferes (2007, p. 20, étude détaillée p.62-63), le chiffre « 5» dénote une idée de totalité (les quatre directions plus le centre), et s’applique souvent à la fois aux directions et aux « peuples »: jánāḥ, carṣaṇáyaḥ, kr ̥ṣṭáyaḥ, autant de termes dont le sens avoisine celui de víś- « clan». Le parallèle entre les clans et les directions, qui représentent le territoire contrôlé, après avoir été esquissé dans la strophe précédente, est ici explicité.

d. Ici la ŚS a tátaḥ, mais la PS est unanime pour átaḥ, plus r ̥gvédique (trois fois plus fréquent que tátaḥ). La ŚS présente environ cinquante occurrences de

tátaḥ, contre neuf occurrences de átaḥ.

3.1.3. ŚS 3.4.3

acha tvā yantu havinaḥ sajātā (11) agnir dūto ajiraḥ+saṁ dadhāti| (11) jāyāḥ putrāḥ sumanaso bhavantu (11) bahuṁ baliṁ prati paśyāsā ugraḥ|| (11) Que jusqu’à toi aillent tes confrères en t’appellant.

Agni, messager rapide, [les] unit.

Que les épouses et les fils soient bienveillants.

Puissant, tu verras en face de toi un tribut abondant. Let your kinsmen go to you, calling you.

Agni, the swift messenger, unites [them]. Let the wives, the sons be benevolent.

acha] Or, aśchi K yantu] Or, yattu K havinaḥ sa] Or, bhuvanasya K jātā agnir] Ek1

Ek2 Ji3 V/123 V/153, jātā ’gnir Ku1, jātāgnir K ajiraḥ] Ek1 Ek2 Ku1 V/123 V/153,

ajira Ji3, vajara K +saṁ] san (Bh.) Or, se K dadhāti] K, turātiḥ (Bh.) Ek1 Ek2 Ji3

V/123 V/153, turāti Ku1 |] Or, om. K putrāḥ] Ek1 Ek2 Ku1 V/123 V/153 K, putrā

Ji3 sumanaso] Ek2 Ji3 Ku1 V/123 V/153 K, suṁmanaso Ek1 bahuṁ] Ek1 Ek2 Ji3

V/123 V/153 K, vahu Ku1 baliṁ] Ek1 Ek2 Ji3 V/123 V/153 K, valīṁ Ku1, [vilaṁ Ma1,

vilaṁ (> valiṁ) Ma2] paśyāsā] Ek1 Ek2 Ku1 V/123 V/153, pasyāśyāsā Ji3, paśyāma K ugraḥ] Or, ugrā K ||] Or, z z K

ŚS 3.4.3

ácha tvā yantu havínaḥ sajātā́ agnír dūtó ajiráḥ sáṁ carātai| jāyā́ḥ putrā́ḥ sumánaso bhavantu bahúṁ balíṁ práti paśyāsā ugráḥ||

« Unto thee let thy fellows come, calling [thee] ; Agni shall go along as speedy messenger ; let the wives, the sons, be well-willing ; thou, formidable, shalt see arrive much tribute. »

a. Le terme havín-, dérivé à valeur de nom d’agent (AiGr. II, 2 §217a-d) de havi- « appeler, invoquer», n’est pas connu du R̥V. Ce type de nom d’agent, à valeur quasi-participiale, peut gouverner, et ce dès le R̥V, un complément d’objet à l’accusatif ; ce qui permet d’admettre, à la suite de Whitney, une construction implicite tvā…havínaḥ.

b. En tant que feu rituel, Agni symbolise l’unité des chefs de clan lors de l’oblation commune que ceux-ci pratiquent en lui afin de sceller leur alliance sous l’autorité d’un roi unique (Proferes2007, p. 1, 33-36, 45-46). Le verbe préverbé sáṁ-dhā- signifie le plus souvent « conférer», suivi du datif, mais il est aussi employé au sens littéral de « mettre ensemble», « unir» en PS 4.15.2, 5-7; PS 9.11.1 ; ŚS 4.5.5, ŚS 4.12.2,7. Il est aussi possible qu’il signifie ici «sceller l’alliance» ici, comme dans le syntagme mitráṁ [saṁ]dhā-, cité dans les dictionnaires et sous-jacent à PS 3.33.5b mitra-dheya-/ŚS 2.6.4 mitra-dhā́-; voir ici 4c. Agni est même parfois identifié au dieu de l’alliance Mitra (Proferes 2007, p.37-41).

Dans ce contexte, la leçon de K, dadhāti, est préférable à la confusion observée dans Or. Le préverbe est facilement restituable, car il n’est pas difficile de voir que le copiste de K a confondu le point au-dessus de la syllabe +saṁ avec le trait pour faire la voyelle dans se. Or confirme aussi le préverbe ;

ces manuscrits présentent souvent à la place de -ṁ- la nasale correspondant au son suivant, en l’occurrence une dentale. C’est sans doute là l’origine de leur corruption : les scribes ont fini par réinterpréter la séquence en deux mots d’emploi fréquent, santu «qu’ils soient» et rātiḥ « le cadeau », même s’ils n’admettent pas de construction dans la phrase. Le visarga de la plupart des manuscrits Or indique une réinterprétation comme épithète des dernières syllabes.

Bhattacharya conserve santurātiḥ dans son édition, mais propose en note la restitution saṁ tarāti «il surmontera», subjonctif de tari- « passer au-delà/à travers, surmonter». La variante du thème de présent tura- n’est pas inconnue pour ce verbe, quoique rare : le participe présent actif ainsi

qu’un nom d’agent dérivé sont attestés en R̥V 6.18.4b turatás turásya « du triomphateur triomphant», et on rencontre d’autres exemples dans les Brāhmaṇa, notamment le présent moyen turáte en TS 2.2.12.4 (Gotō 1987, p.164). Le subjonctif, d’ailleurs, aurait tout à fait sa place ici, s’intégrant très bien dans la suite d’impératifs et de subjonctifs qui alternent le long des quatre pāda. Les leçons de K et de la ŚS témoignent aussi de la probabilité du subjonctif. La ŚS présente sáṁ carātai : certaines formes de la racine car-«circuler» sont souvent interchangeables, dans les parallèles, avec les formes correspondantes de la racine tari-, par exemple308: ŚS 6.122.1 (PS 2.60.2)

sáṁ tarema=TĀ 2.6.1 sáṁ carema, R̥VKh 4.6.7 táranti / AV sahante /

Kh-Sātavalekar caranti. La racine tari- est souvent employée pour décrire le passage à travers les adversités309, mais il faudrait alors supposer une ellipse de l’objet désignant l’adversité traversée — la rivalité entre confrères? La leçon de K est plus simple.

d. La variante de K donne une cadence régulière avec le -a bref de paśyāma. Cette lecture reflète le résultat de la réinterpretation à la première personne du pluriel du verbe au présent indicatif actif, avec la leçon ugrā qui se rapproche de l’adjectif au pluriel ugrāḥ.

3.1.4. ab : ŚS 3.4.4ab. c : PS 3.33.5c, 20.10.4c ; ŚS 2.6.4c, 3.8.2c; KS 18.16c, 40.2 ; MS 2.12.5c; TS 4.1.7.2c ; VS 27.5c. d : PS 20.10.4d

aśvinā tvāgre mitrāvaruṇobhā (11*) viśve devā marutas tvā hvayantu| (11) sajātānāṁ madhyameṣṭheyam+aśyāḥ (11) suve kṣetre saviteva vi rāja|| (11) Que les deux Aśvin t’[appellent] en premier, que Mitra et Varuṇa tous deux, que Tous-les-dieux, que les Marut t’appellent.

Puisses-tu atteindre la position centrale parmi tes confrères. Règne sur chacun comme Savitar, dans ton propre territoire! Let the two Aśvins [call] you first, let Mitra and Varuṇa both, let the All-Gods, the Maruts, call you.

308 Exemples tirés de Gotō 1987, p. 160-161.

309 Par exemple, avec le préverbe sám (voir Gotō 1987, p. 160-161) : ŚS 6.122.1d áchinnaṁ tántum

ánu sáṁ tarema « puissions-nous passer ensemble le long du fil ininterrompu », ce qui signifie vivre

une pleine durée de vie. Sans préverbe, le verbe prend souvent comme objet une forme dérivée de la racine dviṣ- « haïr » dans le R̥V : 6.2.4d dviṣó áṁho ná tarati « il traverse les haines comme les passages étroits » (Le sujet est Agni !) ; 7.59.2b ījānás tarati dvíṣaḥ « celui qui a rendu le culte traverse les haines » ; 9.111.1b víśvā dvéṣāṁsi tarati « il traverse toutes les haines ». L’AV étend cette tendance à d’autres objets du même registre : PS 17.40.8 tena mr ̥tyuṁ nāṣṭrām avartiṁ tarati « par cela il surmonte la mort, la destruction, l’infortune » ; ŚS 19.34.7ab ná tvā pū́rvā óṣadhayo ná tvā