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Sous II.5, je reprendrai l’idée déjà avancée par d’autres de l’hymne védique comme discours rhétorique persuasif prononcé devant un public divin

II.1. La formule efficace: poétique et véridique

Le discours poétique védique exalte le pouvoir de la parole, sur lequel les poètes des hymnes réfléchissent volontiers. En conclusion de son article «Le pouvoir de la parole dans le R̥gveda»,Renou remarque :

209 Il convient de noter que l’Atharvaveda contient aussi de la prose, sous la forme de courtes formules et aussi de paragraphes entières, mais ce phénomène qui le rapproche du Yajurveda est limité et indique parfois une couche plus récente de la rédaction.

« Que la réflexion sur l’œuvre se confonde avec le contenu même de cette œuvre, le fait ne saurait trop nous surprendre dans l’Inde sanskrite ou nous voyons si souvent — notamment en grammaire, mais point seulement dans ce domaine — que la manière dont les choses sont dites comporte une valeur didactique presque au même degré que le fond » (Renou EVP I, p. 27).

On reviendra sur cette réflexion que les poètes védiques ont intégrée dans leurs hymnes. D’un point de vue extérieur, deux caractéristiques fondamentales ressortent d’emblée dans leurs œuvres: la quasi absence d’éléments dépourvus de sens, et la variété des moyens linguistiques et poétiques employés, deux traits qui ne sont généralement pas associés aux langages rituels210. Il semblerait que la parole efficace, dans les hymnes védiques, doive impérativement être signifiante. Ce pouvoir de la parole est associé exclusivement à la langue védique211: les hymnes, qu’il s’agisse de ceux du R̥gveda ou de ceux de l’Atharvaveda, n’incluent pas de mots étrangers non assimilés. Les séquences de syllabes dont le sens n’est plus intelligible en synchronie, telles que le « abracadabra » de la magie occidentale212, jouent un rôle mineur dans les hymnes. Il existe en védique quelques interjections rituelles qui sont généralement laissées sans traduction (óm̆̇, śráuṣaṭ, váṣaṭ, svā́hā, pháṭ, etc.), mais leur présence dans le corpus des hymnes est limitée, et elles jouent un rôle nettement plus important dans les hymnes qui relèvent du culte solennel que dans ceux qui relèvent du culte atharvanique213. On peut également citer PS 3.9.6, où l’on a une série de noms clairement inventés pour créer un 210 Voir, par exemple, Severi 2009, p. 14, où sont mentionnés « …quelques traits superficiels des langues rituelles (répétition, pauvreté sémantique, usage de formules figées, etc.) ».

211 Évidemment, c’est un fait banal des religions humaines que la revendication de l’usage d’une langue en particulière comme véhicule exclusif du sacré (voir Tambiah 1968, p. 180-181).

212 Sur le problème des éléments dépourvus de signification dans l’analyse des paroles efficaces au Moyen-Âge européen, voir Rosier-Catach 2014, p. 548.

213 Le célèbre óm̆̇, « oui » selon Parpola 1981 (mais critiqué dans Hock 1991), n’est attesté ni dans les hymnes du R̥V ni dans ceux de l’AV, mais uniquement à partir de la VS et des Brāhmaṇa (EWAia s.v.). Sur śráuṣaṭ et váṣaṭ, formes verbales figées, voir Pinault 2020, p. 192-193. śráuṣaṭ est attesté une fois dans le R̥V, et ensuite abondamment dans les textes rituels ultérieurs, mais est absent de l’AV. váṣaṭ (attesté 11× dans le R̥V, et, dans l’AV, 4× dans la ŚS, 12× dans la PS) figure presque toujours dans le contexte du culte solennel dans l’AV ; la seule exception apparaît en ŚS 1.11.1/PS 1.5.1, où váṣaṭ apparaît dans un hymne qui pourrait appartenir au culte « domestique » (Gr ̥hya), dans un rite pour la conception d’un enfant. pháṭ est attesté une fois en ŚS 4.18.3/PS 5.24.3, où il a clairement valeur d’onomatopée (Whitney 1905, p. 181 ; Lubotsky 2002a, p. 84), mais un double entendre avec l’interjection rituelle est envisageable. Le statut de svā́hā « salut ! » est un peu différent : il est attesté 19× dans le R̥V ; on peut consulter l’étude de son rôle dans ce recueil dans Pinault 2020, p. 186-192, où la dérivation est également expliquée. svā́hā est attesté encore plus fréquemment dans l’AV ; cependant, on le rencontre presque exclusivement dans des litanies qui tendent vers la prose (voir dans la partie Édition du présent travail les trois hymnes du livre 3 qui contiennent cette interjection : 11, 16, et 31). Ce mot est donc associé à un autre genre

effet d’allitération. Il s’agit de l’isolement des phonèmes d’un mot signifiant «violent», et de la création de nouveaux noms faits sur ces phonèmes, placés dans un ordre croissant et suivis de la citation finale du nom de départ ; la procédure a un sens. Par ailleurs, si les noms de puissances terribles, de plantes et d’animaux sont souvent obscurs, cette obscurité tient plus à notre incapacité à interpréter ces mots, souvent des hapax, qu’à une absence de sens inhérente. Par contraste, les syllabes à sens ésotérique jouent un rôle central dans d’autres courants rituels indiens ultérieurs. Par exemple, l’Aṅgirasakalpa, manuel tantrique issu de l’évolution de la tradition atharvanique de l’Odisha sous l’influence des Śākta Śaiva, en contient une grande quantité214. Même les noms propres sont presque toujours transparents en védique.

De plus, la complexité poétique qu’atteignent bon nombre d’hymnes védiques ne laisse pas douter du fait que la parole efficace doit être non seulement signifiante, mais richement signifiante. Le système verbal védique est pourvu d’un formidable arsenal modal d’impératifs, subjonctifs, optatifs et précatifs, autant de moyens différents d’appeler les dieux à l’aide ou de congédier les démons. Mais bien qu’amplement attestées, de simples imprécations n’ont pas suffi aux poètes, qui ont estimé utile de développer en même temps des images saisissantes et inattendues, et ont pour ce faire recouru à toutes sortes de figures stylistiques. Tout cela est aussi vrai pour les hymnes du R̥gveda que pour ceux de l’Atharvaveda. La raison en est justement que le pouvoir de la parole ne vient pas des dieux dans le discours védique215ni d’aucune autre puissance extérieure. Le pouvoir de la formule est présenté comme lui étant intrinsèque, mais ne se manifeste que sous certaines conditions liées à son expression. C’est l’un des deux aspects essentiels de la formule efficace, le bráhmaṇ-: comme l’a dit Louis Renou, à la suite de l’article fondateur de PaulThieme (1952) sur ce mot :

« Le bráhmaṇ neutre est la “formulation-par-excellence”, c’est-a-dire soumis aux exigences de la poetique sacrée : le Veda est l’illustration d’un Alaṁkāraśāstra [traité de poétique] primitif, à l’état latent, autant qu’un répertoire de mythes et qu’un formulaire liturgique » (Renou EVP I (1955), p. 12).

Le terme bráhmaṇ- « formule, formulation» a fait l’objet d’un débat sur les détails de son étymologie et de sa sémantique216, mais il est devenu suffisamment clair que ce mot désigne le produit et l’acte de formuler vus à la lumière de leur grand pouvoir agissant souligné déjà par Oldenberg

qui n’est pas celui de l’hymne métrique à structure complexe ; on ne peut par conséquent dire que

svā́hā joue un rôle incontournable dans les hymnes de l’Atharvaveda.

214 Voir Sanderson 2007, avec l’exemple presque imprononçable cité p. 220, numéro 28 : hsraiṁ

hsklrīṁ hsrauḥṁ.

215 On peut trouver l’idée que les dieux donnent l’inspiration au poète, mais cela ne signifie pas que le pouvoir de la formule ainsi inspirée dérive du pouvoir divin.

(1916) etGonda(1950) et qualifié souvent de « magique ». En ce qui concerne les hymnes védiques, la poésie est indissociable de la formule efficace, en contexte « magique» ou non. On reviendra au composant énigmatique de la formule, souligné par Renou 1949, sous II.2. Il convient de rappeler que le vocabulaire de l’expression religieuse en védique n’est pas limité au terme

bráhmaṇ- : on peut consulter Pinault 2014 pour une étude de la sémantique de ce vocabulaire (r ̥ć-, yájuṣ-, sā́man-, stóma-, sūktá-, mántra-, mánman-,

matí -, dhī ́-, dhītí -, āśíṣ-, yāc-, īḍ-, yajña-, p.222-225). Mais dans les hymnes

de l’Atharvaveda, c’est le terme bráhmaṇ- qui est généralement employé pour désigner la formule prononcée lors du rite (voir les expressions réunies ci-dessus, II.4). Si dans l’Atharvaveda, le même mot se laisse aisément traduire par «charme, incantation» en maints endroits, ce n’est que parce que le contexte de l’Atharvaveda est en l’occurrence généralement réputé « magique»217.

Si la poésie est le véhicule exclusif du pouvoir des mots, la source même de ce pouvoir est autre. C’est la vérité qui constitue l’autre condition nécessaire de l’efficacité de la formule védique, comme l’a expliquéThieme(1952, p.107), à la suite de Lüders (1951), qui avait étudié l’idée généralement répandue dans l’antiquité indienne selon laquelle l’expression de la vérité est une force capable d’agir sur le monde218. Thieme (1952, p. 110) précise les conditions particulières de ce pouvoir dans les hymnes védiques: l’expression de la vérité n’a cet effet d’agir sur le monde que quand elle est poétique. La formule védique doit donc, pour être efficace, remplir les deux conditions: être à la fois poétique et véridique. S’il est vrai que la parole possède une force en soi, cette force reste inactive tant que la parole n’est pas inspirée, travaillée avec effort, et porteuse d’une vérité profonde. Mais comment l’expression poétique de la vérité peut-elle agir sur le monde ? Est-peut-elle autre chose que la constatation exprimée d’un fait, aussi ornée soit elle?

La réponse est dans les hymnes eux-mêmes, qui témoignent de la réflexion des poètes sur leur propre métier et sur son pouvoir.Thiemea montré que la formulation poétique de la vérité est conçue comme une répétition de la création première219, quand du vide primordial ont surgi les êtres grâce à la parole qui les distingue et en même temps les crée. L’art des poètes, qui est avant tout celui d’attribuer à chaque chose son vrai nom220, est acte de création, comme en attestent les récits cosmogoniques du R̥gveda:

217 Voir Thieme 1952, p. 94 : « Die Tatsache, daß es hier öfters als im R̥V die eigentliche Zauberformel (“charm”) bezeichnet, braucht nicht jüngerer Sprachgebrauch zu sein, sondern ergibt sich ganz natürlich daraus, daß die Dichtung des AV im wesentlichen aus Zauberformeln besteht. »

218 Lüders a également étudié la manifestation de cette idée dans le cas particulier de « l’acte de vérité » indien (traduction du mot pali saccakiriyā) ; sur ce concept et son usage dans les études védiques, voir sous II.3.2.

219 Thieme 1952, p. 112 : « Sein Dichten ist nur die Widerholung des Urschöpfung der Wahrheitsformulierung en miniature. »

R̥V 10.129.3-4

táma āsīt támasā gūḷhám ágre ’praketáṁ saliláṁ sárvam ā idám| tucchyénābhv ápihitaṁ yád ā́sīt tápasas tán mahinā́jāyatáikam||3|| kā́mas tád ágre sám avartatā́dhi mánaso rétaḥ prathamáṁ yád ā́sīt| sató bándhum ásati nír avindan hr ̥dí pratī́ṣyā kaváyo manīṣā́||4||

« 3. À l’origine les ténèbres étaient cachées par les ténèbres. Cet univers n’était qu’onde indistincte. Alors, par la puissance de l’Ardeur, l’Un prit naissance, (principe) vide et recouvert de vacuité.

4. Le Désir en fut le développement originel, (désir) qui a été la semence première de la Conscience. Enquêtant en eux-mêmes, les Poètes surent découvrir par leur réflexion le lien de l’Être dans le non-Être » (trad. Renou 1956, p. 125).

R̥V 10.72.2

bráhmaṇas pátir etā́ sáṁ karmā́ra ivādhamat| devā́nām pūrvyé yugé ’sataḥ sád ajāyata||

« C’est le Maître de la Formule qui a soudé ensemble ces (mondes), comme un forgeron. Dans l’ère primitive des dieux, l’Être naquit du non-Être » (trad. Renou 1956, p. 75).

R̥V 10.71.1

bŕ ̥haspate prathamáṁ vācó ágraṁ yát práirata nāmadhéyaṁ dádhānāḥ| yád eṣāṁ śréṣṭhaṁ yád ariprám ā́sīt preṇā́ tád eṣāṁ níhitaṁ gúhāvíḥ||

« O Maître de la Formule221ce fut là le premier commencement de la Parole, quand ils se mirent en branle, donnant une dénomination (aux choses). Ce qu’ils avaient de meilleur, d’immaculé, et qui était caché en eux, se révéla par l’effet de leur amour » (trad. Renou 1956, p. 71).

Le sujet « ils» se réfère ici aux sages d’antan, les premiers poètes qui voyaient directement «l’unicité originale des noms et des formes — c’est-à-dire des mots et des choses dénotées », comme l’explique Bronkhorst (1999, p. 8-9), qui cite cette strophe dans son exposition du lien étroit entre la chose et son nom en védique, dans l’introduction de son livre sur le langage et la réalité dans la philosophie indienne ultérieure. Il note en particulier, au sujet de la magie (p.7) : « C’est ce lien qui confère leur efficacité aux formules magiques, et qui permet de tirer des conclusions quant à la nature des choses sur la base de leurs noms ». On aura noté que les passages précédents sont tous issus du dernier livre « atharvanique» du R̥gveda, où les hymnes se rapprochent du style de l’Atharvaveda, tantôt par leurs spéculations, tantôt par leur contenu magique hostile. Les hymnes de l’Atharvaveda poursuivent ces réflexions sur le rôle cosmogonique de la parole. La strophe suivante est presque identique à R̥V 10.82.3:

ŚS 2.1.3

sá naḥ pitā́ janitā́ sá utá bándhur dhā́māni veda bhúvanāni víśvā|

221 Sur Br ̥haspati comme doublet de Brahmaṇaspati, voir Schmidt 1968, et Pinault 2016=2019, p. 412-414.

yó devā́nāṁ nāmadhá éka evá táṁ saṁpraśnáṁ bhúvanā yanti sárvā||

« Lui notre père, notre géniteur, est aussi la Connexion. Il connaît tous les états, toutes les essences. Seul capable de conférer leurs noms aux dieux, tous les êtres vont à lui pour l’interroger » (trad. Renou 1956, p. 141).

Ici, « lui» se réfère au vená-, le « Voyant», nom du poète visionnaire (Renou EVP 4, p. 118); dans le parallèle du R̥gveda, « lui» se réfère au dieu Viśvakarman « l’Artisan universel», nommé dans la strophe précédente (R̥V 10.82.2) et identifié en R̥V 10.81.7 au Maître de la Formule. La strophe concerne donc le principe créateur, dont le rôle se confonde avec celui d’un poète par son pouvoir de donner des noms à tous les êtres, y compris les dieux. Les dieux naissent après la création initiale du monde, après ce premier mouvement du vide vers l’état de distinction décrit dans les strophes ci-dessus. Ils n’en sont pas les auteurs, comme il est dit en R̥V 10.129.6222. Ils jouent toutefois un rôle dans le développement ultérieur de divers aspects du monde, mais la frontière qui les sépare des poète-sages primordiaux n’est pas toujours claire:

R̥V 10.72.7

yád devā yátayo yathā bhúvanāny ápinvata| átrā samudrá ā́ gūḻhám ā́ sū́ryam ajabhartana||

« Quand, tels des Yati, dieux, vous gonfliez les mondes, vous ramenâtes (au jour) le soleil qui était caché dans les mers » (trad. Renou 1956, p. 76).

Les Yati sont un groupe d’êtres dont on sait peu de choses, mis à part leur association avec les Bhr ̥gu et le fait que leur nom signifie «ascète » dans les textes ultérieurs223. Les Bhr ̥gu, comme on l’a vu sous I.5, forment une famille de poètes védiques associés aux Aṅgiras. Ces derniers se nomment les «yeux» de la formule efficace, bráhmaṇ-, identifiée au dieu suprême appelé « Support » (skambhá-):

ŚS 10.7.31 et 34

nā́ma nā́mnā johavīti purā́ sū́ryāt puróṣásaḥ| yád ajáḥ prathamáṁ saṁbabhū́va

sá ha tát svarā́jyam iyāya yásmān nā́nyát páram ásti bhūtám||31|| (…)

yásya vā́taḥ prāṇāpānáu cákṣur áṅgirasó ’bhavan|

díśo yáś cakré prajñā́nīs tásmai jyeṣṭhā́ya bráhmaṇe námaḥ||34||

« 31. Il invoque nom après nom, avant le soleil, avant l’aurore. Dès que le Non-né eut pris naissance, il accéda à cette souveraineté au-delà de quoi rien d’autre n’existe. »

222 Il font partie de la « création secondaire », pour reprendre les mots de Renou (1956, p. 126). Voir plus récemment Brereton 1999, p. 257 sur cette strophe. Sur ce second stade de la création, dont le R̥V fournit le plus de détails, voir Kuiper 1983, p. 9-13.

(Les strophes 32-33 identifient divers éléments cosmiques au bráhmaṇ-).

« 34. Celui dont le souffle, exhalé et inhalé, est le Vent, dont les yeux sont les Aṅgiras, qui des quartiers du ciel a fait sa conscience, hommage à ce tout-puissant brahmaṇ ! » (trad. Renou 1956, p. 161.).

Ici encore, c’est le fait de nommer qui semble constituer l’acte primordial de création à partir du vide ténébreux, « avant le soleil»224. L’auteur de ce fait, «il » dans la traduction, le «Non-né », est la formule elle-même, le mot neutre

bráhmaṇ-. Ce nom d’action renvoie aussi bien à l’action de formuler qu’à la

formule comme produit de la formulation, comme le rappelle Thieme (1952, p.103). Dans les passages que je viens de citer, on perçoit une oscillation entre deux points de vue: d’un côté, l’idée plus abstraite de la polarité de l’existant et de l’inexistant comme le premier développement de la formule sans auteur, et de l’autre, la déification plus concrète de la formule comme principe à l’origine de ce développement. Ce principe peut être très abstrait, le «Non-né » dont les mots sont conformes à la réalité:

ŚS 10.8.33ab

apūrvéṇeṣitā́ vā́cas tā́ vadanti yathāyathám|

« Les paroles mues par l’(être) sans précédent disent ce qu’il convient (qu’elles disent) » (trad. Renou 1956, p. 171).

Parfois la formule sera associée à tel ou tel être divinisé, comme au « Support » dans la dernière strophe citée; ou au soleil « Rouge» (róhita-) en ŚS 13.1.48-49, ou encore située dans le « Temps» (kālá-) en ŚS 19.53.8-9. En tout cas, la première impulsion donne naissance à des êtres, les dieux ou les sages, qui seront les auteurs des développements ultérieurs de la « création secondaire», et ces êtres agissent explicitement en poètes:

ŚS 13.1.11ab

ūrdhvó róhito ádhi nā́ke asthād víśvā rūpā́ṇi janáyan yúvā kavíḥ|

« Le Rouge se tient tout droit au firmament, engendrant toutes les formes, jeune poète » (trad. Renou 1956, p. 205).

ŚS 13.1.53cd

tátraitā́n párvatān agnír gīrbhír ūrdhvā́m̆̇ akalpayat||

« Alors Agni donna aux montagnes leur aspect haut dressé, à l’aide des hymnes » (trad. Renou 1956, p. 213).

On se rappelle surtout de l’exploit cosmogonique d’Indra (I.7) ouvrant la caverne de Vala où est retenue la lumière, avec l’aide des Aṅgiras qui brisent le roc par leurs formules. Les poètes des hymnes védiques, auteurs de formules 224 Sur un autre plan, celui du rituel Śrauta, cette phrase se réfère aussi au prêtre-poète qui chaque nuit à l’aube exhorte le soleil à se lever, un aspect du rite quotidien de l’Agnihotra ; voir Jamison et Witzel 1992, p. 38.

efficaces, perçoivent leur propre activité comme la continuation de la création par la parole, qui donne une existence distincte aux choses en les nommant.

Les conditions du pouvoir de la parole dans les hymnes védiques sont les mêmes partout, quel que soit leur but, car les croyances concernant ce pouvoir sont les mêmes qu’il s’agisse du R̥gveda ou de l’Atharvaveda (voir aussiElizarenkova1995, p. 83-84). Une même puissance peut jouer différents rôles: le feu rituel achemine les offrandes et unit les clans, le feu de forêt n’est que destruction225. Les poètes de l’Atharvaveda reconduisent ce pouvoir verbal créateur pour agir sur le monde à plus petite échelle, à des fins individuelles souvent violentes, pour détruire les démons que sont les rivaux et les maladies, pour abattre les obstacles au gain, au succès amoureux et à la fertilité. Tout peut être ramené à l’acte cosmogonique de briser l’obstacle, la pierre qui renferme les biens.