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CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

NATURE ET PORTEE DE LA REGLE INTERDISANT L’AGRESSION ARMEE

A. La règle du non-recours à la force et sa double nature

L’intention des Etats participant à la Conférence de San Francisco en 1945 était d’interdire aux Etats dans les termes les plus généraux le recours à l’emploi de la force

armée103. L’article 2, paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies consacre le principe de l’interdiction du recours à l’emploi de la force par un Etat contre un autre Etat ; il dispose : « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Il ressort des termes « Membres de l’Organisation » que l’obligation conventionnelle de ne pas recourir à la menace ou à l’emploi de la force est opposable aux Etats et non aux autres sujets du droit international. Actuellement 192 Etats, Membres de l’ONU, sont tenus par l’obligation en question en vertu de l’article 2, paragraphe 4. Il en résulte que l’obligation conventionnelle de ne pas recourir à la force armée n’est opposable ni aux Etats qui ne sont pas Membres de l’ONU ni aux organisations internationales. Se pose donc la question de savoir si une règle identique à celle de l’article 2, paragraphe 4 existe en droit international général. Ainsi, en tant que règle coutumière elle serait opposable à tous les Etats ainsi qu’aux organisations internationales.

La CIJ a posé les premiers jalons de la reconnaissance d’une telle règle à l’occasion de l’affaire du Détroit de Corfou, le 9 avril 1949. Sans se référer à la Charte, la Cour constate à propos de certaines actions de la marine de guerre britannique dans les eaux albanaises : « Le

prétendu droit d’intervention ne peut être envisagé par elle [la Cour] que comme une manifestation d’une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait, quelques que soient les déficiences présentes de l’organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international »104. Il en découle donc a

contrario que toute intervention sur le territoire d’un Etat tiers, a fortiori celle impliquant le

recours à la force, est interdite en droit international général. La Cour confirme l’opposabilité aux Etats de l’interdiction du recours à la force, consacrée par le droit international coutumier, dans d’autres arrêts.

Dans le cadre de l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et

contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), la Cour mondiale a eu l’occasion de se

pencher in extenso sur la question de la valeur coutumière de l’interdiction du recours à l’emploi de la force. La déclaration d’acceptation de sa juridiction, déposée par les Etats-Unis

103 J.-P. COT, A. PELLET, M. FORTEAU (dir.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Paris, Economica, 3e éd., 2005, p. 442 et ss.

104 Affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord c. République

le 26 août 1946, comportait une clause excluant de la compétence de la Cour les différends résultant d’un traité multilatéral, y compris donc de la Charte des Nations Unies105. Il en découle que la Cour ne peut appliquer que le droit coutumier international et les traités bilatéraux liant les deux Parties au différend. La Cour doit donc identifier les règles du droit international coutumier relatives au non-recours à la force. Elle part à la recherche des deux éléments constitutifs de la coutume, à savoir l’opinio juris et la pratique. La Cour dégage cette

opinio juris notamment de la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, intitulée

« Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies »106. La Cour considère que le principe du non-recours à la force est « un principe de droit international coutumier non conditionné par les dispositions relatives à la sécurité collective »107. Une analogie s’établit dès lors entre le droit de la Charte et le droit international général en ce qui concerne l’emploi de la force armé par les Etats.

De même, dans l’Affaire des plates-formes pétrolières la Cour se réfère au droit international applicable en matière de recours à la force sans distinction entre le droit de la Charte des Nations Unies et le droit international général. Ainsi, elle estime que la compétence que lui confère le traité bilatéral liant les Parties au différend l’autorise « à

déterminer si une action présentée comme justifiée par certaines dispositions de ce traité constituait ou non un recours illicite à la force au regard du droit international applicable en la matière, à savoir les dispositions de la Charte des Nations Unies et le du droit international coutumier »108. Toutefois, il s’agit là de la seule référence explicite de la Cour au droit international relatif au recours à la force tout au long de son arrêt sur le fond rendu le 6 novembre 2003. Certains juges ont reproché à l’organe judiciaire principal de l’ONU son ambivalence et son hésitation à mettre un terme à la cacophonie ambiante lors de la guerre en Irak, concernant les règles relatives à l’emploi de la force109.

La réaffirmation du principe de non recours à la force par la Cour est incontestable dans deux autres affaires plus récentes, à savoir l’affaire relative aux Conséquences juridiques

105 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, pp. 31-38, par. 42-56.

106 Ibid., p. 99, par. 188. 107 Ibid.

108 Affaire des plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt du 6 novembre 2003, par. 42.

109 Affaire des plates formes pétrolières, juge Elaraby, opinion dissidente, par. 3.3, juge ad hoc Rigaux, opinion

de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé et l’Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda). Dans l’avis qu’elle a rendu dans la première

affaire le 9 juillet 2004, la Cour a rappelé sa jurisprudence dans l’affaire des Activités

militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci en soulignant que « les principes

énoncés dans la Charte au sujet de l’usage de la force reflètent le droit international coutumier »110. De même, dans son arrêt rendu le 19 décembre 2005 dans l’Affaire des

activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda), la Cour se réfère

alternativement au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte111 et au « principe du non-recours à la force dans les relations internationales »112. Le principe du non-recours à la force, y compris l’interdiction de l’ « agression armée », a une double nature, conventionnelle et coutumière. Deux autres qualités viennent s’ajouter seulement à l’interdiction de l’agression, celles d’obligation erga omnes et de règle impérative.

B. L’obligation de ne pas commettre d’agression et sa qualité d’obligation erga omnes et

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