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La nature juridique de l’interdiction du recours à la force contre des opérations de paix des organisations internationales

CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

LA LEGITIME DEFENSE RELEVANT DU JUS AD BELLUM

A. Les organisations internationales titulaires d’un droit de légitime défense rattaché au

1. La nature juridique de l’interdiction du recours à la force contre des opérations de paix des organisations internationales

Le début du préambule de la Charte se lit comme il suit : « nous, peuples des Nations

Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances, […] et à ces fins […] à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Dans le chapitre

I intitulé « Buts et principes », article premier, il est mentionné que les buts des Nations Unies sont entre autre de maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin de prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la

449 «It is noteworthy that the Security Council occasionally refers to ‘armed attacks’ against United Nations

personnel»: Y. DINSTEIN, op. cit., p. 267.

450 L’article 2 du projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales de la CDI fournit une définition des organisations internationales : « Aux fins du présent projet d’articles, on entend par "organisation internationale" toute organisation instituée par traité ou un autre instrument régi par le droit international et dotée d’une personnalité juridique internationale propre. Outre les Etats, une organisation internationale peut comprendre parmi ses membres des entités autres que des Etats. », Rapport CDI, 2005, 57ème session, A/60/10, p. 79.

paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix. Les 192 membres de l’Organisation, en représentant la totalité de la communauté internationale, ont contracté l’obligation de maintenir et de rétablir la paix et la sécurité internationales. Toutefois, les opérations de maintien de la paix ne sont pas expressément prévues par la Charte. Leur naissance est due à la guerre froide qui constituait un obstacle à la mise en place du système de maintien de la paix tel que prévu par les chapitres VI et VII et complété par le chapitre VIII de la Charte. Autrement dit, pour reprendre les termes de Boutros Boutros Ghali « le concept d’opération de maintien de la paix est né de la nécessité de résoudre les problèmes du moment »451. Le fondement juridique des opérations de maintien de la paix ayant déjà été l’objet de plusieurs analyses doctrinales et de la jurisprudence internationale, nous nous contenterons ici de mentionner la théorie des compétences implicites dont la CIJ a fait usage dans certains de ses avis consultatifs452. Ainsi, dans l’Avis consultatif du 20 juillet 1962 rendu dans l’affaire relative aux Certaines dépenses des Nations Unies, la Cour a consacré le pouvoir du Conseil de sécurité d’agir militairement en dehors de l’article 43 de la Charte453. La Cour considère que « la Charte n’[a] pas laissé le Conseil de sécurité impuissant en face d’une situation d’urgence, en l’absence d’accords conclus en vertu de l’article 43 »454. Pour elle, « la Charte ne défend pas au Conseil de Sécurité d’agir au moyen des instruments de son choix : aux termes de l’article 29 il "peut créer les organes subsidiaires qu’il juge nécessaires à l’exercice de ses fonctions"; en vertu de l’article 98 il peut charger le Secrétaire général d’"autres fonctions" »455.

Le système d’opérations de maintien de la paix ainsi né et élaboré depuis la mise en place de la Force d’Urgence des Nations Unies I (FUNU-I) en 1956456 repose essentiellement

451 Boutros BOUTROS-GHALI, Introduction à l’ouvrage Les Casques bleus. Les opérations de maintien de la

paix des Nations Unies, New York : Département de l’information des Nations Unies, 3ème éd. 1996, cité par P. TAVERNIER, « Les opérations de maintien de la paix : crise des OMP ou crise du maintien de la paix ? », in M. BENCHIKH (dir.), Les Organisations internationales et les conflits armés, p.113.

452 Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif du 11 avril 1949, C.I.J. Rec. 1949, p. 182 et s. Voir aussi Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud

en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité (1970-1971), avis

consultatif du 21 juin 1971, Rec. CIJ, 1971, p. 52 : par. 110.

453 L’article 43, paragraphe premier de la Charte dispose : « Tous les Membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, s’engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l’assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales ».

454 Certaines dépenses des Nations Unies, avis consultatif du 20 juillet 1962, C.I.J. Rec. 1962, p. 167. 455 Ibid., p. 177.

456 La Force internationale d’urgence des Nations Unies a été mise en place sur la base d’un projet canadien par la résolution 998, du 4 novembre 1956, de l’Assemblée générale des Nations Unies.

sur le consentement des toutes les parties au conflit, international ou non-international457. Les opérations de maintien de la paix, dites du chapitre « VI et demi »458, présentent alors « un très net caractère consensuel »459. L’obligation de ne pas recourir à la force contre les opérations de maintien de la paix résulte alors tant des dispositions susmentionnées de la Charte des Nations Unies que des accords signés entre les Etats ou parties au conflit et les organisations internationales concernées, accords qui prévoient leur déploiement. Concernant les opérations dites d’ « imposition » de la paix qui sont entreprises soit avec le consentement de l’une des parties au conflit ou sans celui-ci, l’obligation des Etats de ne pas recourir à la force résulte aussi bien des dispositions de la Charte concernant le maintien et le rétablissement de la paix en tant qu’obligation des Etats que de l’article 2, paragraphe 4 de la Charte. L’article 2, paragraphe 4 interdit aux Membres de l’Organisation de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, entre autre, de manière incompatible avec les buts des Nations Unies. ». Il en résulte qu’attaquer les membres des opérations d’imposition de la paix – à condition que leur déploiement soit entrepris en conformité avec les règles pertinentes du droit international en la matière – serait incompatible avec les buts des Nations Unies mentionnés plus haut. Il importe aussi de rappeler qu’en vertu de l’article 25 de la Charte les résolutions du Conseil de sécurité sont juridiquement contraignantes pour les Etats. Par conséquent, les Etats doivent, sinon contribuer, au moins ne pas s’opposer à l’accomplissement de la mission des opérations d’imposition de la paix dont le déploiement a été décidé par le Conseil.

Quant aux parties aux conflits armées non internationaux qui ne consentent pas préalablement au déploiement des opérations de maintien de la paix, la doctrine fait une distinction entre les mouvements de libération nationale et les mouvements sécessionnistes. Tandis que l’action des premiers est considérée comme licite, celle des seconds est rejetée en droit international460. Par conséquent, recourir à la force – à l’exception de la perpétration

457 Hilaire McCOUBREY et Nigel D. WHITE, The blue helmets: Legal regulation of United Nations military

operations, Dartmouth, Aldershot/Brookfield USA/Singapore/Sydney, 1996, pp. 69-75. Pour ce qui est des

caractéristiques des opérations de maintien de la paix voir aussi Certaines dépenses des Nations Unies, avis consultatif du 20 juillet 1962, CIJ Rec. 1962, p. 170 et 177.

458 Le terme « chapitre VI et demi » fut inventé par le Secrétaire général Hammarskjöld car les opérations en question n’ont pas un fondement direct sur la Charte – les Chapitres VI et VII traitant la question de maintien de la paix de manière diplomatique le premier, coercitive le second..

459 P. DAILLIER et A. PELLET, op. cit., p. 1010.

460 M. BENCHIKH, « Le terrorisme, les mouvements de libération nationale et de sécession et le droit international », in K. BANNELIER et autres (dir.), Le droit international face au terrorisme, pp. 69-81. P. Daillier et A. Pellet, tout en reconnaissant, eux aussi, que l’« on ne peut donc déduire du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes un droit à la sécession s’agissant d’un peuple intégré dans un Etat », ils affirment que « la

d’actes terroristes – dans le cadre de l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est licite. La mise en place d’opérations de maintien ou d’imposition de la paix sans le consentement de la partie ou mouvement de libération nationale pourrait toutefois se heurter au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Par contre, l’action des mouvements sécessionnistes étant illicite, leur recours à la force contre les composantes des opérations de paix déployées par l’ONU ou des organisations régionales serait également illicite. D’ailleurs, selon l’article 104 de la Charte, « l’Organisation jouit, sur le territoire de chacun de ses Membres, de la capacité juridique qui lui est nécessaire pour exercer ses fonctions et atteindre ses buts » ; une telle capacité juridique de l’ONU sur le territoire de chacun de ses Membres ne saurait être compromise par le déroulement d’un conflit armé interne.

En outre, on constate depuis quelques décennies une évolution du droit international en matière du rôle des acteurs non étatiques parties à un conflit armé interne. Le Protocole Additionnel (II) aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, adopté le 8 juin 1977, s’applique aussi bien à l’Etat sur le territoire duquel le conflit interne se déroule qu’« aux forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent Protocole »461. Le Protocole Additionnel (I) relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux reconnaît à l’article 96, paragraphe 3 l’existence de rapports conventionnels entre des Etats Parties et des entités non étatiques. A cet égard, il convient de citer en entier le paragraphe en question: « L’autorité représentant un peuple engagé contre une Haute Partie contractante

dans un conflit armé du caractère mentionné à l’article premier, paragraphe 4, peut s’engager à appliquer les Conventions et le présent Protocole relativement à ce conflit en adressant une déclaration unilatérale ou dépositaire. Après réception par le dépositaire, cette déclaration aura, en relation avec ce conflit, les effets suivants : a) les Conventions et le présent Protocole prennent immédiatement effet pour ladite autorité en sa qualité de Partie au conflit ; b) la dite autorité exerce les mêmes droits et s’acquitte des mêmes obligations qu’une Haute Partie contractante aux Conventions et au présent Protocole ; c) les Conventions et le présent Protocole lient d’une manière égale toutes les Parties au conflit ».

sécession n’est pas prise en compte en elle-même par le droit international », in P. DAILLIER et A. PELLET,

op. cit., p.526.

461 Article premier du Protocole Additionnel (II) aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, adopté le 8 juin 1977.

En s’appuyant sur la pratique du Conseil de sécurité dans la décennie 1990, les dispositions des Protocoles Additionnels I et II mentionnées ci-dessus et la jurisprudence Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), notamment l’article 8, paragraphe 2, alinéas c et e), certains dégagent une nouvelle règle du jus ad bellum relative aux conflits armés non internationaux. Une telle règle se résume à l’interdiction du recours à la force dans le cadre d’une crise interne : « a

rule rejecting violent overthrow of a democratically elected government is on aspect of a jus

ad bellum norm, and in civil conflicts jus in bello norms are pratically impossible to separate

from the illegality of the conflict itself because frequently such conflicts aim to destroy or overcome a part of the civilian population »462.

Il en ressort que les organisations internationales étant des sujets de droit international pourraient faire l’objet d’une agression dans le cadre un conflit armée international ou non international463. Il convient à présent d’identifier la nature juridique du droit de légitime défense des OI comme réaction à une agression.

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