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L’obligation de ne pas commettre d’agression et sa qualité d’obligation erga omnes et de jus cogens

CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

NATURE ET PORTEE DE LA REGLE INTERDISANT L’AGRESSION ARMEE

B. L’obligation de ne pas commettre d’agression et sa qualité d’obligation erga omnes et de jus cogens

La CIJ et la CDI considèrent que l’obligation de ne pas commettre une agression ou d’actes d’agression est une obligation erga omnes. Dans son arrêt rendu dans l’affaire de la

Barcelona Traction le 5 février 1970, la CIJ dresse dans son fameux obiter dictum une liste,

du reste non exhaustive, d’obligations erga omnes, c’est-à-dire des obligations envers la communauté internationale des Etats dans son ensemble. Ainsi, elle considère que de telles obligations découlent « de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale »113. La CDI a adhéré à la jurisprudence de la Cour dans l’affaire de la Barcelona Traction114. Dès lors, tous les Etats membres de la communauté internationale ont un intérêt juridique à ce que

110 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, 9 juillet 2004, par. 87.

111 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda), fond, arrêt du 19 décembre 2005, par. 148, 153, 165.

112 Ibid., para. 345.

113 Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c.

Espagne), arrêt du 5 février 1970, CIJ Rec. 1970, p. 32.

les droits en cause soient protégés115. S’agissant plus particulièrement des actes d’agression, tous les Etats ont un intérêt juridique à ce que le droit subjectif de chacun d’entre eux à ne pas faire l’objet de tels actes soit protégé. Il en ressort a contrario que les Etats n’ont pas une obligation de prendre des mesures en cas de violation d’une obligation erga omnes. La CIJ a fait un « emploi » contraire de la notion d’obligation erga omnes dans l’affaire du Mur. Elle a considéré qu’aux obligations erga omnes violées par Israël correspondaient des obligations des Etats tiers de mettre un terme ou de ne pas reconnaître les situations illégales survenues116. A la lecture des extraits y relatifs de l’avis, il est évident que la CIJ confond, volontairement, les effets produits par la violation des obligations erga omnes d’une part, et des règles impératives d’autre part. Le concept d’obligation erga omnes n’implique pas l’imposition d’obligations de fond aux Etats tiers117. Il semble toutefois qu’une obligation de mettre un terme à la violation de l’obligation de ne pas commettre un acte d’agression pourrait incomber aux Etats dans la mesure où celle-ci serait considérée comme étant une obligation de jus cogens.

L’article 53 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités qualifie de règle impérative « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise ». La CDI affirme dans son projet d’articles sur la responsabilité des Etats de 2001 que l’interdiction de l’agression est l’une des « normes impératives qui sont clairement acceptées et reconnues »118. En revanche, dans son commentaire relatif au projet d’articles sur le droit des traités, la CDI avait qualifié de règle relevant du jus cogens le principe du non-recours à la force de manière générale et non seulement l’interdiction de l’agression119. De même, la majorité écrasante de la doctrine s’accorde pour considérer le principe du non-recours à la force de manière générale, y compris donc l’interdiction de l’agression armée, comme étant

115 Ibid. Sur le rapport entre les obligations erga omnes et l’intérêt à agir en tant que condition de recevabilité d’une requête déposée auprès d’une juridiction internationale, voir J. COMBACAU et S. SUR, op. cit., p. 528 et s.

116 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, CIJ, par. 154-158.

117 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, juge Higgins,

Opinion individuelle, par. 37 et s., et juge Kooijmans, opinion individuelle, par. 37-51. Contra juge Koroma, opinion individuelle, par. 8, juge Al-Khasawneh, opinion individuelle, par. 13, et juge Elaraby, opinion individuelle para. 3.4

118 Rapport de la CDI, 53ème session, 2001, A/56/10, pp. 223-224. 119 ACDI, 1966-II, p. 270, par. 1.

une règle faisant partie du jus cogens120. Quant à la position des Etats à cet égard, la CIJ avait déclarer dans son arrêt rendu dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au

Nicaragua et contre celui-ci que « les représentants des Etats le [le principe du non-recours à

la force] mentionnent souvent comme étant non seulement un principe de droit international coutumier, mais encore un principe fondamental ou essentiel de ce droit »121. L’obligation de ne pas commettre une agression est dès lors considérée comme une obligation à la fois erga

omnes et de jus cogens, bien qu’un certain flou entoure toujours la question de savoir si

l’obligation de ne pas recourir à la force armée de manière générale constitue ou non une obligation de jus cogens.

La question qui se pose est celle de savoir si les Etats tiers ont une obligation de mettre un terme à un comportement contraire à une règle impérative, en l’espèce au principe de ne pas commettre d’agression. L’article 41 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité internationale des Etats est consacré aux conséquences particulières d’une violation grave d’une obligation découlant de normes impératives du droit international général. Les alinéas 1er et 2 de cette disposition se lisent comme suit : « 1. Les Etats doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40.[122] 2. Aucun Etat ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40, ni prêter ou assistance au maintien de cette situation ». Toutefois, dans son commentaire accompagnant le projet d’article la CDI elle-même exprime ses doutes quant à la véritable valeur juridique de l’obligation incluse dans paragraphe premier de l’article 41 du projet : « On peut se demander si le droit international général, dans son état actuel, impose un devoir positif de coopération et, à cet égard, le paragraphe 1 relève peut-être du développement

120 A. CASSESE, « Article 51 », in J.-P. COT, A. PELLET (dir.), La Charte des Nations : Commentaire article

par article, Paris, Economica, 2nd éd., 1991, p. 790 ; P. DAILLER et A. PELLET, Droit international public, 7e éd., p. 967/ par. 576 ; Ch. GRAY, International Law and the Use of Force, Oxford University Press, 2000, p. 29 ; Alexander ORAKHELASHVILI, « The impact of peremtory norms on the interpretation and application of

United Nations Security Council Rsolutions », EJIL, vol. 16, n°1, 2005, pp. 59-88 : p. 63 et s. ; P. TAVERNIER,

« La question de la légalité du recours à la force par les Etats-Unis contre l’Irak », in Rahim KHERAD (dir.), Les

implications de la guerre en Irak, Paris, Pedone, 2005, 245 p. : p. 96 ; Nico SCHRIJVER, « Article 2,

paragraphe 4 », in J.-P. COT, A. PELLET, M. FORTEAU (dir.), op. cit. 3ème éd., p. 459.

121 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 14, par. 190.

122 L’article 40 du projet, figurant avec l’article 41 au Chapitre III intitulé « Violations graves d’obligations découlant de normes impératives du droit international général », dispose quant à lui : « 1. Le présent chapitre s’applique à la responsabilité internationale qui résulte d’une violation grave par l’Etat d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général. 2. La violation d’une telle obligation est grave si elle dénote de la part de l’Etat responsable un manquement flagrant ou systématique à l’exécution de l’obligation ».

progressif du droit international »123. Dans l’affaire du Mur la CIJ tire comme conséquence de la violation des obligations erga omnes l’obligation individuelle des Etats de mettre un terme au fait illicite ou de ne pas le reconnaître. Comme nous l’avons constaté plus haut, une telle conséquence pourrait être tirée de la violation d’une obligation erga omnes elle-même découlant d’une règle impérative124. Une telle confusion s’explique par le fait que la CIJ souhaitait tirer toutes les conséquences d’une violation d’une règle impérative tout en ne se référant pas au concept même de règle impérative125. Avant d’aborder la question des destinataires autres que les Etats de la règle de l’interdiction de l’agression, il importe de distinguer le terme « agression armée » d’autres termes qui, eux aussi, impliquent le recours à la force mais qui a priori ne sauraient donner lieu à une réaction au titre de la légitime défense.

§ 2. L’« agression armée » et les autres termes désignant le recours à la force

La question qui se pose est de savoir si le droit de légitime défense prévu à l’article 51 de la Charte est une exception ou une règle autonome par rapport à l’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force de l’article 2, paragraphe 4. Il ne s’agit pas ici d’un débat doctrinal détaché de la réalité sociale de la communauté internationale. L’ « autonomisation » de la légitime défense par rapport à la règle de l’interdiction du recours à la force pourrait avoir des conséquences cruciales sur les éléments de la légitime défense tels que nous les connaissons depuis l’adoption de la Charte. Elle pourrait aussi ouvrir la porte à d’autres justifications du recours à la force qui ne revendiqueraient plus le titre d’ « exception » à l’article 2, paragraphe 4, mais bel et bien celui de règle autonome par rapport à la prohibition de l’emploi de la force.

Distincte des autres termes relatifs à l’emploi de la force dont fait usage la Charte, l’agression armée au sens de l’article 51 l’est également de l’agression telle que déjà définie par l’Assemblée générale des Nations Unies et dans un avenir incertain par la Cour pénale internationale. Toutefois, la jurisprudence de la CIJ nous permet de définir sa portée malgré quelques inconvénients. Afin de circonscrire la portée de l’agression armée en tant que violation préalable à toute réaction au titre de la légitime défense (B), il convient de la

123 Rapport de la CDI, 53ème session, 2001, A/56/10, p.302-303. 124 Voir supra page précédente.

distinguer des recours à l’emploi de la force également prohibés par la Charte ou le droit international général (A).

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