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Le nécessaire lien entre les personnes privées et l’Etat ou l’organisation internationale

CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

LES DESTINATAIRES AUTRES QUE LES ETATS DE LA REGLE INTERDISANT LE RECOUS A LA FORCE

A. Le nécessaire lien entre les personnes privées et l’Etat ou l’organisation internationale

A. Le nécessaire lien entre les personnes privées et l’Etat ou l’organisation internationale

Selon l’état du droit jusqu’au 11 septembre 2001, pour que le principe du non recours à la force soit opposable à une personne privée, il faut qu’un lien de droit (1) ou de fait (2) soit établi entre elle et un Etat ou une organisation internationale. Dès lors, la personne privée agissant à titre privée ne saurait être destinataire du principe de l’interdiction du recours à la force, y compris de l’agression.

1. Le lien de droit

Le Chapitre II – articles 4-11 – de la première partie du projet d’articles sur la responsabilité internationale de l’Etat pour fait internationalement illicite traite de la question de l’attribution d’un comportement à l’Etat. Une remarque préliminaire a trait à la graduation a majori ad minus article par article du lien qui doit être établi entre le

comportement d’une personne ou d’une entité et un Etat. Il va de soi que le comportement de tout organe de l’Etat doit être attribué à l’Etat, comme l’indique l’article 4 du projet212 ; par organe il faut entendre toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne de l’Etat213. L’article 5 attribue à l’Etat le comportement d’une personne ou entité qui n’est pas un organe de l’Etat, mais qui est habilité par le droit de cet Etat à exercer des prérogatives de puissance publique214. En plus, selon l’article 7, même si un organe de l’Etat ou une personne ou entité habilitée à l’exercice de prérogatives de puissance publique outrepasse sa compétence ou contrevient aux instructions de l’Etat, tant qu’il agit en cette qualité, son comportement est attribué à cet Etat215. Une personne privée, notamment un individu, pourrait alors être destinataire du principe de l’interdiction du recours à la force dans la mesure où il exerce des fonctions d’organe d’Etat ou des prérogatives de puissance publique216. Il en ressort a contrario que les actes commis par des personnes privées à titre privé ne peuvent pas être attribués à un Etat. Dès lors, la personne privée est destinataire du principe de l’interdiction du recours à la force tant qu’elle agit en sa qualité d’organe de l’Etat ou tant qu’elle exerce des prérogatives de puissance publique.

Mais, le projet d’articles de la CDI dans sa version finale de 2001 assouplit le lien nécessaire entre une personne privée et un Etat afin que le comportement de la première soit attribué au second. Outre le lien de droit, un lien établit dans les faits semble être suffisant à cette fin.

2. Le lien de fait

L’article 8 du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat dispose que : « Le

comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant

212 Rapport de la CDI, 2001, 53ème session, A/56/10, p. 76. L’article 4, paragraphe 1 du projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales a un contenu analogue : « Le comportement d’un organe ou d’un agent d’une organisation internationale dans l’exercice des fonctions de cet organe ou de cet agent est considéré comme un fait de cette organisation d’après le droit international, quelle que soit la position de l’organe ou de l’agent dans l’organisation », Rapport de la CDI, 2005, 57ème session, A/60/10, p. 79.

213 Rapport de la CDI, 2001, 53ème session, A/56/10, p. 76.

214 Ibid. Voir aussi l’article 4 du projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales, in Rapport de la CDI, 2005, 57ème session, A/60/10, p. 79.

215 Rapport de la CDI, 2001, 53ème session, A/56/10, 2001, p. 76. L’article 7 du projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales a un contenu analogue, in Rapport de la CDI, 2005, 57ème session, A/60/10, p. 80.

216 Ainsi, s’il viole le principe en question, il encourt une responsabilité pénale individuelle. L’interdiction de l’agression armée constitue un des éléments constitutifs du crime d’agression, pour lequel des individus sont uniquement responsables pénalement. Voir supra, introduction.

ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet Etat » 217. Dans le commentaire l’accompagnant la CDI affirme qu’« en règle générale, le comportement de personnes ou d’entités privées n’est pas attribuable à l’Etat d’après le droit international »218, mais « des circonstances peuvent cependant survenir où un tel comportement est néanmoins attribuable à l’Etat, parce qu’il existe une relation de fait entre la personne ou l’entité ayant ce comportement et l’Etat »219. Il y a relation de fait lorsque la personne ou le groupe de personnes agit sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de l’Etat220. Comme la CDI l’a souligné dans son commentaire, étant donné l’importance du principe de l’effectivité en droit international, il faut tenir compte de l’existence d’un lien réel entre la personne ou le groupe de personnes auteur du fait et la structure de l’Etat221. Pour ce qui est d’un fait commis par une personne privée sur les instructions d’un Etat, nous sommes encore dans un cas de figure proche de ceux des articles 4 et 5 du projet caractérisés par un certain formalisme lié à la nature juridique du lien nécessaire. En revanche, lorsque le fait illicite est commis « sur les directives » ou « sous le contrôle » d’un Etat, nous nous situons dans une situation où le lien nécessaire devient souple, voire « mou » et, de ce fait, difficile à définir. Il convient de noter que l’article 8 du projet d’articles final exige toutefois un lien plus strict que l’article 8 du projet adopté par la CDI en première lecture en 1996. L’article 8 du projet de 1996 attribuait à l’Etat le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes, « s’il est établi que cette personne ou ce groupe de personnes agissait en fait pour le compte de cet Etat »222. L’expression « pour le compte » introduit un critère plus souple que l’expression « sur les directives ou sous le contrôle » lorsque l’on établit le lien entre les personnes privées et l’Etat. Les problèmes qui se posent lorsqu’il s’agit de déterminer si le comportement a été mené « sur les directives ou sous le contrôle » de l’ Etat n’en sont pas moins complexes.

La CDI considère que « ce comportement ne peut être attribué à l’État que si ce dernier a dirigé ou contrôlé l’opération elle-même et que le comportement objet de la plainte faisait partie intégrante de cette opération »223. Dans l’affaire des Activités militaires et

217 Rapport de la CDI, 2001, 53ème session, A/56/10, 2001, p. 46. 218 Ibid., p. 109 et s.

219 Ibid., p. 109 et s.

220 Sur les difficultés d’apporter la preuve en l’espèce, voir J. CRAWFORD, P. BODEAU et J. PEEL, « La seconde lecture du projet d’articles sur la responsabilité des Etats de la Commission du droit international »,

RGDIP, 2000, vol. 104, p. 915.

221 Ibid.

222 CDI, Projet de codification du droit de la responsabilité des Etats, adopté en première lecture en juillet 1996. 223 Rapport de la CDI, 2001, 53ème session, A/56/10, 2001, p. 110.

paramilitaires au Nicaragua, la CIJ a retenu le critère dit du « contrôle effectif ». Dans cette

affaire la Cour devait déterminer la part exacte de responsabilité des Etats-Unis dans les violations du droit international humanitaire commises par les forces s’opposant au Gouvernement du Nicaragua, les contras. La Cour estime que « le contrôle général » que les Etats-Unis exerçait sur les contras ne suffit pas, sans preuve supplémentaire, pour les tenir pour responsables des violations par les contras du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire224. La CIJ indique clairement que, pour que la responsabilité des Etats-Unis soit engagée, « il devrait en principe être établi qu’ils avaient le

contrôle effectif des opérations militaires et paramilitaires au cours desquelles les violations en question se seraient produites » 225.

Dans l’affaire Le Procureur c. Tadić portée devant le TPIY, le critère du « contrôle effectif » ainsi formulé par la CIJ a été retenu par la Chambre de Première Instance226 et

écarté par la Chambre d’appel: « The Appeals Chamber, with respect, does not hold the

Nicaragua test to be persuasive »227. La Chambre d’appel reste attaché à la règle de droit international qui impose que, pour que les actes commis par des personnes soient attribués à des Etats, l’Etat doit exercer un contrôle sur ces personnes228. Elle opte pour un degré de contrôle variable en fonction des faits de chaque cause, mais, dans tous les cas, moins élevé que celui identifié par la CIJ. « La Chambre d’appel ne voit pas pourquoi le droit

international devrait imposer en toutes circonstances un seuil élevé pour le critère du contrôle »229.Concernant les groupes armés constitués de personnes privées et représentant un degré d’organisation, la Chambre d’appel a retenu le critère dit de « contrôle global », « overall control » dans la version anglaise de l’arrêt230. Selon ce critère, la responsabilité de l’Etat est engagée dès lors qu’il exerce un contrôle global et non effectif sur lesdits groupes. En écartant donc le critère du « contrôle effectif » retenu par la CIJ dans l’affaire Nicaragua, la Chambre d’appel du TPIY a pu qualifier de conflit armé international le conflit opposant

224 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 64 et s. : par. 115.

225 Ibid.

226 Le Procureur c. Dusko Tadić, aff. IT-94-1, Tribunal de Première Instance II, jugement du 7 mai 1997, par. 585-588 (http://www.un.org/icty/tadic/trialc2/jugement/index.htm).

227 Le Procureur c. Dusko Tadić, aff. IT-94-1, Chambre d’appel, arrêt du 15 juillet 1999, par. 115 (http://www.un.org/icty/tadic/appeal/judgement/index.htm).

228 Ibid., par. 117. 229 Ibid.

230 Ibid., par. 123 et 145. Contra le juge Shahabuddeen, opinion individuelle jointe à l’arrêt du 15 juillet 1999, par. 4-32. Cf. Affaire Loizidou c. Turquie, Cour EDH, Grande Chambre, fond, arrêt du 18 décembre 1996, par. 56.

l’armée serbe de Bosnie qui ne faisant pas partie de l’armée serbe d’une part, et les forces armées gouvernementales bosniaques d’autre part231. Une telle qualification a permis au TPIY d’appliquer la quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949232.

La CDI va plus loin que le « contrôle global » dans la mesure où les articles 9 et 11 de son projet d’articles sur la responsabilité des Etats n’exigent pas l’existence d’un lien réel afin d’attribuer les actes commis par des personnes privées à un Etat. L’article 9 prévoit une solution pragmatique en cas d’absence ou de carence des autorités officielles dans la mesure où en pareilles circonstances le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes peut être considéré comme un fait de l’Etat « si cette personne ou ce groupe de personnes exerce en fait des prérogatives de puissance publique ». Dans son commentaire la CDI prend soin de préciser que les personnes privées visées à l’article 9 ne sont pas assimilables à un gouvernement général de fait dont le comportement serait couvert par l’article 4 du projet233 ; par conséquent, il est applicable à des personnes privées qui agissent à titre privée. L’article 9 met l’accent davantage sur la nature des actes que sur l’existence d’un lien formel. Le lien n’est pas réel, mais il n’est pas non plus fictif car il doit être établi en fonction des critères objectifs une fois que le droit international de la responsabilité entre en jeu. En revanche, celui prévu par l’article 11 du projet est fictif car il se créé suite à la reconnaissance et à l’adoption par un Etat d’un comportement dont les auteurs sont des personnes privées sans aucun lien avec celui-ci234. Il en découle que dans ce cas de figure aucun lien réel n’est requis entre les personnes privées auteurs du fait illicite et l’Etat concerné.

231 La divergence sur ce point entre les deux juridictions internationales est utilisée par le Groupe d’étude de la CDI sur la fragmentation du droit international à titre d’exemple de conflit entre différentes conceptions ou interprétations du droit général : CDI, Rapport du Groupe d’étude sur la fragmentation du droit international :

difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, 18 juillet 2003, A/CN.4/644,

par. 9.

232 L’article 2 de la quatrième Convention de Genève de 1949 prévoit que : « La présente Convention s’appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes ». L’article 2 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie prévoit quant à lui que « [L]e Tribunal international est habilité à poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l’ordre de commettre des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 ».

233 Rapport de la CDI, 2001, 53ème session, A/56/10, 2001, p. 116 et s.

234 L’article 7 du projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales est calqué sur cette disposition et dispose que : « Un comportement qui n’est pas attribuable à une organisation internationale selon les articles précédents est néanmoins considéré comme un fait de cette organisation internationale d’après le droit international si, et dans la mesure où, cette organisation reconnaît et adopte ledit comportement comme sien », in Rapport de la CDI, 2005, 57e session, A/60/10, p. 80.

Il ressort de ce bref exposé des règles relatives à la responsabilité des Etats et des organisations internationales que le principe du non recours à la force est opposable aux personnes privées dans la mesure où il existe un lien entre leur action et un Etat ou une organisation internationale. Les personnes privées qui agissent sans lien avec un Etat ou une organisation internationale peuvent attaquer un Etat mais leur action ne saurait se qualifier comme une violation du principe de l’interdiction du recours à la force, y compris de l’agression. La variabilité, en fonction de la juridiction internationale, du degré de contrôle exercé par un Etat ou une organisation internationale sur l’action des personnes privées ne remet pas en cause la règle secondaire qui exige l’existence d’un lien entre les deux. En plus, si on se réfère au projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationale illicite, un tel lien doit aller au delà d’une tolérance ou même d’une assistance de la part d’un Etat à l’égard de la personne privée auteur d’un acte contraire au droit international tel qu’un acte d’agression. En dernière analyse, en vertu des règles secondaires un lien de fait est suffisant pour qu’une personne privée soit apte à commettre un acte qualifié d’agression armée au sens de l’article 51 de la Charte. Il n’en reste pas moins que la pratique ainsi que la jurisprudence récentes invite à « revisiter » la question de savoir si une personne privée sans aucun lien avec un Etat pourrait elle aussi commettre une agression armée.

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