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La pratique des Etats et des organisations internationales

CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

LES ACTES D’AGRESSION

B. La consécration des « actes d’agression » en droit international

1. La pratique des Etats et des organisations internationales

Nous avons relevé qu’à l’origine de la consécration des « actes » d’agression et de légitime défense en droit international est le droit des conflits armés sur mer ; nous ajoutons à présent notamment les règles relatives au droit de visite de navires battant pavillon neutre et à la liberté de navigation en haute mer. La spécificité des attaques contre les navires marchands neutres se résume au fait qu’elles constituent à la fois une violation du jus ad bellum et du jus

in bello. On sait qu’à cause de la guerre entre l’Irak et l’Iran (1980-1981) la navigation dans

le golfe Persique comportait des risques graves ; les attaques de la part des belligérants contre de navires neutres transportant du pétrole ont pris de telles dimensions à partir de 1984 que l’on parle depuis de la « guerre des pétroliers ». Il s’ensuit que l’analyse de la pratique des Etats, principalement occidentaux, lors de la première guerre du Golfe se révèle indispensable dans le cadre de notre recherche sur le droit applicable en la matière. L’invocation du droit de légitime défense en vue de justifier des actes militaires suite à des attaques contre des navires neutres constituait sinon la pratique en tout cas la position juridique officielle des Etats neutres dont des navires battaient pavillon dans le Golfe.

Avant tout développement sur les actes d’agression contre des navires neutres, il faudrait expliquer davantage le rapport entre le droit de visite des belligérants et le droit de légitime défense. Bien que des droits distincts, il se peut que l’application du droit de visite

soit soumise aux conditions d’application du droit de légitime défense. La Grande-Bretagne, puissance neutre lors de la guerre entre l’Irak et l’Iran, a reconnu au second, puissance belligérante dans le cas d’espèce, le droit de procéder à l’arrêt et à la visite de navires neutres en haute mer. Toutefois, elle a limité l’application de ce droit en cas de légitime défense conformément à l’article 51 de la Charte. Par voie de conséquence, selon la position britannique l’arrêt et la visite des navires neutres de la part de l’Iran pourrait prendre la forme d’« actes » de légitime défense, isolés du théâtre de guerre l’opposant à l’Irak. Des actes de légitime défense qui évidemment n’étaient que la réaction à des actes d’agression, également isolés du conflit armé dans son ensemble. Il importe de citer à cet égard la déclaration du ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne au moment de l’arrêt du navire Barber

Perseus par l’Iran le 12 janvier 1986 :

« The United Kingdom upholds the general principle of freedom of

navigation on the high seas. However, under article 51 of the United Nations Charter a state such as Iran, actively engaged in an armed conflict, is entitled in exercise of its inherent right of self-defence, to stop and search a foreign merchant ship on the high seas if there is reasonable ground for suspecting that the ship is taking arms to the other side for the use in the conflict. This is an exceptional right: if the suspicions prove to be unfounded and if the ship has not committed acts calculated to give rise to suspicion, then ship’s owners have a good claim for compensation for loss caused by the delay »315.

Quant au droit de légitime défense reconnu aux neutres, il faut se rapporter aux déclarations et autres documents officiels durant les incidents entre les belligérants et les neutres, appelés « la guerre des pétroliers ». Le ministre britannique des affaires étrangères déclarait le 21 juillet 1987 à propos de la mission des navires de guerre britanniques envoyés au Golfe que leur « role is self-defensive in support of British ships and no provocative »316. Dans une lettre du 15 juillet 1988 adressée au Conseil de sécurité le représentant permanent du Royaume-Uni réaffirmait la thèse officielle selon laquelle « it is entirely appropriate for

any [naval] forces to exercise the right to self-defence confirmed by Article 51 of the Charter », car « in common with all Member States, our concern is to uphold international

315 Cité in A. DE GUTTRY et N. RONZITTI (dir.), The Iran-Iraq war (1980-1988) and the law of naval

warfare, Cambridge, Grotius Publications Limited, 1993, xxiv + 573p. : p. 268 ; voir également une déclaration

quasiment identique ibid., p. 284.

law and principle of freedom of navigation »317. La France a adopté une position similaire ; le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères déclarait le 19 avril 1988 que le gouvernement français « reaffirms its attachement to the freedom of navigation and safety in

the Gulf and has requested an immediate end to mining operations and any other act hostile to shipping in international waters, since such activities can only lead to measures of self- defence being taken in accordance with international law and the United Nations Charter »318. Quant à l’Italie, le ministre de la Défense Zanone a déclaré le 24 septembre 1987 que « in keeping with the principle of self-defence set out in Article 51 of the United

Nations’ Charter, the naval units [d’Italie] will open fire on any air or surface craft which engages in hostile action against our military or merchant ships, if necessary taking such action before the hostile act has itself taken place »319. Le ministre hollandais des affaires étrangères s’adressant au Parlement a confirmé lui-aussi que le recours à la force de la part des navires hollandais se trouvant dans le Golfe Persique serait justifié en vertu du droit de légitime défense : « In the unlikely event that Dutch ships would be forced to take recourse to

certain actions in pure self-defence, it cannot be the case that this would be tantamount to a loss of neutrality in the conflict »320. De même, le ministre belge de la Défense déclarait le 15

septembre 1987 à propos des navires envoyés par la Belgique, puissance neutre également, en vue de participer à des opérations de déminage et de repérage de mines dans le Golfe persique : « The ships that the Belgium is sending to the Gulf have an essentially defensive

role. The weaponry on board only permits self-defence against a close attack »321. S’agissant de la position des Etats-Unis sur la question, il suffirait de se reporter à la documentation qu’ils ont fournie et à l’argumentation qu’ils ont développée devant la CIJ dans le cadre de l’Affaire des plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique). Les Etats-Unis ont justifié leurs actions militaires du 19 octobre 1987 contre les complexes de Reshadat et de Resalat en invoquant le droit de légitime défense ; le 16 octobre 1987 un missile toucha le pétrolier koweïtien Sea Isle City, réimmatriculé aux Etats-Unis, près du port de Koweït. Ils ont aussi invoqué le droit de légitime défense en vue de justifier leur action militaire du 18 avril 1988 contre les complexes de Sar et de Salman ; quatre jours avant le navire de guerre américain USS Samuel B. Roberts, de retour d’une mission d’escorte, heurta une mine dans les eaux internationales à proximité de Bahreïn. Ils ont

317 Ibid., p. 385. 318 Ibid., p. 414.

319 Ibid., p. 455. Voir aussi ibid., p. 459 la déclaration du président du Conseil des ministres italien.

320 Ibid., p. 490. Voir aussi la déclaration du ministre de la Défense et du ministre des affaires étrangères adressée au Parlement du 16 octobre 1987 ibid., p. 498.

d’ailleurs porté leurs actions à la connaissance du Conseil de sécurité conformément à l’article 51 de la Charte322. En outre, on sait que la Cour n’a pas contesté l’argumentation juridique des Etats-Unis ; en revanche, elle a considéré que les preuves apportées par les derniers n’étaient pas suffisantes pour fonder leurs affirmations concernant la responsabilité iranienne323. Les prétendus « actes » de légitime défense des Etats-Unis correspondaient à des « actes » d’agression supposés avoir été commis par l’Iran.

Dans les résolutions 540 (1983) du 31 octobre 1983 et 552 (1984) du 1er juin 1984 le Conseil de sécurité a réaffirmé le principe de la liberté de navigation et de commerce dans les eaux internationales et a demandé aux belligérants de cesser immédiatement toutes les hostilités dans la région du Golfe. Il n’a pas pour autant « reconnu » le droit de légitime défense des Etats neutres dont les navires marchants étaient victimes d’attaques de la part des belligérants. Il en va de même lors de l’adoption des résolutions ultérieures relatives à la guerre entre l’Iran et l’Irak, notamment la 582 (1986) du 24 février 1986, la 588 (1986) du 8 octobre 1986 et la 598 (1987) du 20 juillet 1987. La position du Conseil n’a pas contribué à la clarification des règles du droit qui régissent les relations entre neutres et belligérants par rapport à la guerre maritime. Il semble en effet que le but du Conseil était de ne cautionner aucun acte qui pourrait avoir pour effet d’intensifier et d’étendre encore le conflit. Il est évident qu’une « reconnaissance » du droit de légitime défense des Etats neutres de la part du Conseil de sécurité pourrait aboutir à une escalade de la violence dans le Golfe car elle impliquerait une « reconnaissance » d’ « actes » d’agression. En revanche, la position de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) était plus claire en la matière. Selon la déclaration des ministres des affaires étrangères et de Défense de l’UEO en date du 19 avril 1988; les actes contre les navires des Etats neutres en haute mer sont implicitement qualifiés d’actes d’agression car ils justifient une riposte au titre de la légitime défense324. Nous constatons donc une évolution dans la pratique vers la consécration d’actes d’agression, évolution découlant d’une application simultanée du jus in bello. La jurisprudence récente de la CIJ, notamment dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, apporte quelques éclaircissements sur ce point et a contribue à la consolidation de la pratique.

322 Lettres du représentant permanent des Etats-Unis auprès des Nations Unies en date du 19 octobre 1987, doc. S/19219, et en date du 18 avril 1988, doc. S/19791.

323 Affaire des plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt du 6 novembre 2003, par. 61 et 76.

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