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La nécessités militaire : notion clef du droit des conflits armés

CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

L’AGRESSION ARMEE CORRESPONDANT AU « DROIT FONDAMENTAL DE L’ETAT A LA SURVIE »

A. La nécessités militaire : notion clef du droit des conflits armés

Déjà dans le préambule de la Déclaration de Saint-Pétersbourg du 29 novembre 1868 il est mentionné que « les limites techniques et les nécessités de la guerre doivent s’arrêter devant les exigences de l’humanité ». Ainsi que nous l’avons déjà évoqué, les règles du droit humanitaire résultent d’un compromis, toujours problématique, entre les exigences de l’humanité et les nécessités militaires. Cela ressort clairement du préambule de la Convention IV de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre :

« Selon les vues des Hautes Parties contractantes, [les dispositions de la Convention IV], dont la rédaction a été inspirée par le désir de diminuer les maux de la guerre, autant que les nécessités militaires le permettent, sont destinées à servir de règle générale de conduite aux belligérants, dans les rapports entre eux et avec les populations. »

De même, l’article 22 du Règlement annexé à la Convention (IV) de La Haye dispose que « [l]es belligérants n’ont pas un droit illimité quant au choix de nuire à l’ennemi. »

Le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 se réfère également à la notion de nécessité militaire à l’article 6 (b) – Principe 6 (b) des Principes du

droit international consacrés par le Statut du Tribunal de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal, adoptés à Genève le 29 juillet 1950. Divers articles des Conventions de Genève de 1949 s’y réfèrent également dans des contextes différents. A titre d’exemple l’article 8, paragraphe 3, troisième alinéa, des Conventions I et II prévoit que « [s]eules des egixences militaires impérieuses peuvent autoriser, à titre exceptionnel ou temporaire, une restriction de leur activité [des représentants ou délégués des Puissances protectrices] ». Il est notable que l’article 8, paragraphe 3, de la Convention III concernant les prisonniers de guerre et l’article 9, paragraphe 3, de la Convention IV concernant les populations civiles, bien qu’ayant un contexte identique à celui de l’article 8 des Conventions I et II, ne comportent pas l’alinéa mentionné ci-dessus. Les Conventions ne fournissent aucune définition des nécessités militaires en ce qui concerne la restriction de l’activité des représentants ou délégués des Puissances protectrices391.

L’article 49 de la Convention I pour l’amélioration du sort des blessés et les malades dans les forces armées en campagne prévoit que toutes les Parties contractantes doivent prendre toutes les mesures législatives nécessaires dans le cadre du droit pénal afin que les personnes ayant commis des infractions graves à la Convention soient punies. L’article 50 dispose que :

391 Les exemples tirés du droit conventionnel, élaboré sous les auspices de l’UNESCO, relatif à la protection des biens culturels en cas de conflit armé présentent un intérêt tout particulier dans la mesure où l’invocation de la nécessité militaire est encadrée dans ses détails. Ainsi, la convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de La Haye du 14 mai 1954 prévoit au paragraphe 2 de l’article 4 qu’ « [i]l ne peut être dérogé aux obligations définies au paragraphe premier du présent article que dans les cas où une nécessité militaire exige, d’une manière impérative, une telle dérogation ». Afin de renforcer la protection des biens culturels en cas de conflit armé et pendant l’occupation militaire, le deuxième Protocole relatif à ladite Convention, adopté à La Haye le 26 mars 1999, limité dans son article 6 la portée de nécessité militaire : « Dans le but de garantir le respect des biens culturels conformément à l’article 4 de la Convention :

a. une dérogation sur le fondement d’une nécessité militaire impérative au sens du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention ne peut être invoquée pour diriger un acte d’hostilité contre un bien culturel que lorsque et aussi longtemps que :

i. ce bien culturel, par sa fonction, a été transformé en objectif militaire, et

ii. il n’existe pas d’autre solution pratiquement possible pour obtenir un avantage militaire équivalant à celui qui est offert par le fait de diriger un acte d’hostilité contre cet objectif ;

b. une dérogation sur le fondement d’une nécessité militaire impérative au sens du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention ne peut être invoquée pour utiliser des biens culturels à des fins qui sont susceptibles de les exposer à la destruction ou à la détérioration que lorsque et aussi longtemps qu’aucun choix n’est possible entre une telle utilisation des biens culturels et une autre méthode pratiquement possible pour obtenir un avantage militaire équivalent ;

c. la décision d’invoquer une nécessité militaire impérative n’est prise que par le chef d’une formation égale ou supérieure en importance à un bataillon, ou par une formation de taille plus petite, lorsque les circonstances ne permettent pas de procéder autrement ;

d. en cas d’attaque fondée sur une décision prise conformément à l’alinéa a), un avertissement doit être donné en temps utile et par des moyens efficaces, lorsque les circonstances le permettent ».

« Les infractions graves visées à l’article précédent sont celles qui comportent l’un ou l’autre des actes suivants, s’ils sont commis contre des personnes ou des biens protégés par la Convention : l’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, la destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire. »

Les nécessités militaires constituent donc une clause d’exonération de la responsabilité pénale individuelle. Dans le contexte de l’article 50, il est évident que les nécessités militaires en tant que clause d’exonération de la responsabilité se limitent à la destruction et l’appropriation de biens. En plus, même si elles sont justifiées par des nécessités militaires, il faudra aussi qu’elles ne soient pas « exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ». La première question qui se pose est de savoir si les nécessités militaires auxquelles l’article 50 se réfère peuvent avoir des conséquences sur la responsabilité de l’Etat dont les ressortissants ont violé la Convention. A cet égard, il faut d’abord rappeler que l’article 50 concerne les personnes présumées responsables des violations graves à la Convention et non les Etats. La réponse à la question posée est fournie implicitement par l’article 51. Ce dernier dispose qu’« [a]ucune Partie contractante ne pourra s’exonérer elle- même, ni exonérer une autre Partie contractante, des responsabilités encourues par elle-même ou par une autre Partie contractante en raison des infractions prévues à l’article précédent ». Les nécessités militaires étant intrinsèquement liées à l’Etat par l’intermédiaire de la chaîne de commandement des armées, elles ne sauraient être sans conséquences sur sa responsabilité. On pourrait arriver à la même conclusion par l’application des règles d’interprétation. L’article 50 comporte et définit les infractions graves à la Convention ; la destruction et l’appropriation des biens ne constituent pas une violation dans la mesure où elles sont justifiées par des nécessités militaires. En prévoyant la responsabilité des Etats pour les mêmes infractions, l’article 51 renvoie à l’article 50 quant à leur définition. Le contenu de la notion des nécessités militaires n’est pas pour autant défini par ces dispositions.

Le 1er Protocole Additionnel aux Conventions de Genève de 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux apporte une première définition,

bien que peu satisfaisante. Il consacre à son article 51 le principe de discrimination entre objectifs militaires et civils; le paragraphe 4 de cet article dispose que « [l]es attaques sans discrimination sont interdites ». En outre, la CIJ a érigé ledit principe en principe « cardinal » du droit international humanitaire ; il est vrai qu’elle a en partie « inventé » ce terme afin d’éviter d’affirmer la valeur de jus cogens des principes du droit applicable dans les conflits armés. D’après les dires de la Cour, les « principes cardinaux » du droit humanitaire sont au nombre de deux : « le premier principe est destiné à protéger la population civile et les biens de caractères civil et, établit la distinction entre combattants et non-combattants », et le second concerne l’interdiction de causer des maux superflus aux combattants392.

Toutefois, des exceptions sont établies au principe de discrimination. Ainsi, selon l’article 51, paragraphe 1 du Protocole I :

« Seront, entre autres, considérés comme effectués sans discrimination les types d’attaques suivants :

(…)

b) les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. »

L’article 57, paragraphe 2 (a) (iii) oblige par ailleurs les responsables militaires à s’abstenir de lancer des attaques comme celles mentionnées à l’article 51, paragraphe 5 (b), attaques « qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ».

L’exception des « nécessités militaires » au principe cardinal de distinction entre cibles militaires et civiles renvoie à l’exception de légitime défense au principe du non recours à la force dans le cadre du jus ad bellum. Il semble dans un premier temps que les nécessités militaires sont synonymes de l’« avantage militaire concret et direct attendu » de l’attaque. L’avantage militaire est, quant à lui, lié au but de la guerre. A cet égard il convient

392 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ Rec. 1996, p. 257 : par. 78.

de rappeler encore une fois que le droit international encadre les objectifs recherchés par les Etats au moyen d’une guerre, comme il est mentionné dans le préambule de la Déclaration de Saint-Pétersbourg du 29 novembre 1868 cité plus haut. L’essence même du droit international humanitaire consiste à limiter les attaques qui constituent la nature même de tout conflit. Un tel « encadrement » ou limitation de la guerre peut paraître en pleine contradiction avec les buts et principes des Nations Unies, notamment celui mentionné dans son préambule de « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ». Pourtant, du point de vue du droit applicable dans les conflits armés cette limitation juridique est d’une importance capitale dans la mesure où elle permet de définir la nécessité militaire comme exception admise en droit aux principes dits cardinaux au jus in bello.

Selon le Commentaire des Protocoles additionnels de 1977 élaboré par le Comité international de la Croix-Rouge les quatre éléments qui forment la nécessité militaire sont : l’urgence, les mesures limitées à l’indispensable, le contrôle dans le temps et dans l’espace de la force employée et, enfin, le moyen militaire, qui ne doit pas enfreindre une interdiction inconditionnelle393. Le Manuel militaire des Etats-Unis d’Amérique FM 27-10 dispose que « [l]a nécessité militaire a été définie comme le principe qui justifie celles des mesures non interdites par le droit international et indispensables à la soumission complète de l’ennemi dans un temps aussi bref que possible »394.

Quoi qu’il en soit, il faut rappeler que la nécessité militaire ne constitue pas une justification générale de tout acte de guerre, bien que nécessaire à « l’affaiblissement des forces militaires de l’ennemi ». En ce qui concerne les dispositions qui prévoient une exception explicite à l’obligation de respecter l’obligation qu’elles posent dans des cas de « nécessité militaire », la CDI précise que : « il s’agit là des dispositions qui ne valent que pour les cas expressément prévus. En dehors de ces cas, il ressort explicitement du texte de ces conventions qu’elles n’admettent pas la possibilité d’invoquer la nécessité militaire en tant qu’excuse d’un comportement étatique non conforme aux obligations qu’elles

393 V. Y. SANDOZ, Ch. SWINARSKI, B. ZIMMERMANN (dir.), Commentaire du Protocole additionnel aux

Conventions de Genève de 1949, Genève, CICR, 1986, p. 398 (rédigé par J. de Preux), cité in E.

ROUCOUNAS, « L’urgence et le droit international », in op. cit., p. 227.

394 Cité in Elmar RAUCH, « Le concept de nécessité militaire dans le droit de la guerre », Revue de droit pénal

imposent »395. D’ailleurs, le paragraphe 3 a) du manuel américain FM 27-10 , « The Law of

Land Warfare » prévoit clairement que « l’effet prohibitif du droit de la guerre n’est pas

restreint par la ‘nécessité militaire’. La nécessité ne peut, en principe, être invoquée pour justifier des actes prohibés par les règles conventionnelles ou coutumières du droit de la guerre, ces règles ayant été formulées et développées en considération du concept de nécessité militaire »396. Il en résulte que, dans la mesure où le droit international humanitaire le permet expressément, la nécessité militaire peut constituer une dérogation. Ceci car, comme on l’a déjà constaté, le droit international humanitaire constitue en lui-même un compromis entre, d’une part, les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de la guerre et, d’autre part, les exigences de l’humanité. L’acceptation de la nécessité militaire en tant qu’exception à tout principe et règle du droit international humanitaire priverait le droit de la guerre de son caractère de droit, car elle « réduirait l’ensemble du droit de la guerre à un code d’opportunité militaire n’ayant pas d’autre sanction que celle du sentiment d’honneur de chaque commandant militaire ou chef d’état-major397 ».

Or, dans son avis consultatif du 8 juillet 1996 la CIJ a laissé entendre qu’ « une circonstance extrême de légitime défense » pourrait justifier une violation des principes et règles du droit humanitaire398. La question qui se pose en présent est de savoir si la nécessité militaire peut en effet constituer une « clause absolutoire » dans une « circonstance extrême de légitime défense » et ce pendant les hostilités.

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