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L’autonomie relative du jus ad bellum par rapport au jus in bello

CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

LES ACTES D’AGRESSION

A. L’autonomie relative du jus ad bellum par rapport au jus in bello

De la distinction entre le jus ad bellum et le jus in bello devrait découler une autonomie absolue de l’un par rapport à l’autre ; or, tel ne semble pas être le cas. Il s’agit

plutôt d’une séparation quelque peu artificielle qui affaiblit tantôt l’une, tantôt l’autre de ces deux branches du droit international.

Le droit international applicable dans les conflits armés n’a pas été conçu comme étant aux antipodes des règles du jus ad bellum, des règles du droit international régissant le recours à la force, qui est aujourd’hui constitué par la Charte des Nations Unies et le droit international coutumier y relatif. Tous les deux régissent le recours à la force, le premier la licéité et l’illicéité du premier coup de feu, et le second le déroulement des hostilités qui s’ensuivent. En outre, leur objectif commun est d’épargner autant de vies humaines que possible. Le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, déclarait dans son Rapport du millénaire : « Bien que l’ONU soit une organisation d’États, la Charte est écrite au nom des

peuples (« Nous, peuples... »). Proclamant sa foi dans la dignité et la valeur de l’être humain, les droits de l’homme et l’égalité entre les sexes, elle affirme aussi son attachement au progrès social, c’est-à-dire à l’instauration de meilleures conditions de vie, dans une liberté plus grande, à l’abri de la peur et du besoin. En dernière analyse, l’Organisation des Nations Unies existe pour répondre aux besoins et aux espoirs des peuples du monde »281.

Selon Eric David, « le droit des conflits armés apparaît donc comme un deuxième garde-fou au déferlement de la violence », le premier étant le principe de l’interdiction du non-recours à la force relevant du jus ad bellum282. L’objectif du droit des conflits armés constitue aussi un paradoxe aux confins de la schizophrénie dans la mesure où il tente de combiner « la haine et la fraternité supposée de la guerre, d’une part en régissant la manière dont les hommes peuvent se détruire, d’autre part en les obligeant à respecter ou secourir ceux qu’ils viennent d’abattre et qui tombent en leur pouvoir »283. Les règles du DIH résultent donc de la recherche d’un équilibre, toujours problématique, entre les nécessités de la guerre et les exigences de l’humanité. La guerre impliquant le recours à la force et son objectif étant la victoire de l’une des parties, l’« humaniser » devient un exercice délicat. Ainsi, le jus in bello vise à fournir une protection aux personnes ne participant pas directement aux hostilités et à diminuer les souffrances infligées aux combattants par l’emploi de certaines armes. Le jus in bello prévoit les conditions dans lesquelles les nécessités militaires doivent reculer devant les exigences humanitaires. Autrement dit, le DIH

281 Rapport du millénaire du Secrétaire général, A/54/2000, par. 10.

282 E. DAVID, Les principes du droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 3ème éd., 2002 p. 75. 283 Ibid.

résulte d’un compromis entre, d’une part, les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de la guerre et, d’autre part, les exigences de l’humanité. Ainsi, selon E. David, « on a donc un droit de la violence qui réglemente la conduite des hostilités en se fondant sur la conservation de l’Etat et qui se situe à la croisée des nécessités militaires et des exigences de l’humanité »284. La conservation de l’Etat est alors à l’origine des règles régissant la conduite des hostilités.

La conservation de l’Etat et les exigences de l’humanité étant la raison d’être du droit des conflits armés, l’égalité des belligérants est l’un de ses grands principes. La qualification des Etats parties au conflit armé d’agressé ou d’agresseur au regard du jus ad bellum ne doit donc pas influencer l’application égale des règles du jus in bello. L’égalité des belligérants eu égard au droit des conflits armés est l’objet du 4e considérant du préambule du 1er Protocole additionnel qui se lit comme suit :

« Les Hautes Parties Contractantes (…)

Exprimant leur conviction qu’aucune disposition du présent Protocole ou des CG du 12 août 1949 ne peut être interprétée comme légitimant ou autorisant tout acte d’agression ou tout autre emploi de la force incompatible avec la Charte des Nations Unies. »

Il en découle que l’Etat qui viole le principe du non-recours à la force est tenu responsable pour tout recours ultérieur à la force, indépendamment de la licéité ou non des ses actions militaires eu égard au droit des conflits armés. Il sera aussi responsable pour les actions militaires entreprises par l’Etat victime à condition qu’elles soient conformes au droit des conflits armés285. Autrement dit, la violation du jus ad bellum n’exonère pas de sa responsabilité l’Etat agresseur pour tout acte licite ou illicite commis par lui-même ou par l’Etat victime pendant les hostilités. En ce sens l’autonomie du droit des conflits armés par rapport aux règles du jus ad bellum est relative286 ; ils sont de fait liés par un cordon ombilical impossible de couper à moins que leur nature même n’en soit affectée.

284 Ibid., p. 36.

285 Voir infra titre II, chapitre II. 286 E. DAVID, op. cit., pp. 76.

Il convient d’envisager ici un cas de figure. L’Etat A commet une agression armée aux termes de l’article 51 de la Charte contre l’Etat B. L’Etat B riposte en vertu du droit de légitime défense. Il est évident que c’est en fonction de la première action militaire de l’Etat B que l’on sera en mesure d’évaluer juridiquement la situation. Ainsi, si la réaction satisfait les critères de nécessité et de proportionnalité, l’Etat B sera en état de légitime défense, sinon il s’agira d’actes des représailles ou même d’acte d’agression armée. Une fois que la guerre est déclenchée entre l’Etat A et l’Etat B, il convient de s’interroger sur la qualification juridique des « actes » qui vont s’ensuivre. La qualification juridique des actes en question au égard au jus ad bellum ne fait pas obstacle à une autre qualification, effectuée parallèlement, au regard des principes et des règles du droit international humanitaire. Toute action militaire de l’Etat A conforme au droit des conflits armés continue de constituer une violation du jus

ad bellum. Le déclenchement des hostilités ne conduit pas à une situation selon laquelle les

règles du jus ad bellum cèdent leur place à celles du jus in bello. Au contraire, alors que les principes et règles du droit des conflits armés régissent la conduite des hostilités, les mêmes actes sont aussi évalués à la lumière du droit international relatif au recours à la force. L’interprétation contraire conduirait à une absurdité : « il suffirait de violer une première fois l’interdiction du recours à la force pour que l’auteur de cette violation puisse ensuite continuer à faire usage de la force sans que cela constitue une violation supplémentaire de la règle ; autrement dit, la violation de l’interdiction du recours à la force légitimerait tout recours ultérieur à la force ! » 287. Pourtant, comme E. David le fait remarquer, parfois la doctrine « tombe dans le piège » d’un « compartimentage » trop strict des règles du jus

contra bellum et des règles du jus in bello288. Révélateur d’une telle approche est le point de vue exprimé par H. Meyrowitz à propos de la guerre du Golfe de 1991 : « Selon le droit international, l’agresseur – malfaiteur, selon le jus ad bellum – ne commet pas une infraction s’il dirige ses armes contre des Etats qui exercent, licitement, le droit de légitime défense collective, pourvu que, ce faisant, il n’enfreigne pas les règles du jus in bello »289. Etant donné que la question relative au chevauchement des responsabilités pour certains actes de guerre sera examinée dans le chapitre II, notre objectif en présent est de démontrer, en se limitant aux règles primaires, que les actions militaires pendant un conflit armé sont susceptibles d’une double évaluation juridique selon que l’on se situe dans le cadre du jus ad

bellum ou dans celui du jus in bello.

287 Ibid., p 77. 288 Ibid.

289 H. MEYROWITZ, « La guerre du Golfe et le droit des conflits armés », RGDIP, 1992, vol. 96, n° 3, pp. 551- 601 : p. 552.

Une telle approche est d’autant plus conforme au droit international général que l’annexion des territoires suite à un conflit armé ne pourrait résulter que d’un traité de paix et non du simple fait de l’occupation d’une partie ou de la totalité du territoire d’un autre Etat. La résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre Etats, conformément à la Charte des Nations Unies », adoptée le 24 octobre 1970, prévoit que « [l]e territoire d’un Etat ne peut faire l’objet d’une acquisition par un autre Etat à la suite du recours à la menace ou à l’emploi de la force. Nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale ». De même, la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale du 14 décembre 1974 réaffirme dans son préambule « que le territoire d’un Etat (…) ne peut être l’objet, même temporairement, d’une occupation militaire ou d’autres mesures de force prises par un autre Etat en violation de la Charte, et qu’il ne fera pas l’objet, de la part d’un autre Etat, d’une acquisition résultant de telles mesures ou de la menace d’y recourir »290.

Le principe de l’égalité des belligérants au regard du droit des conflits armés, appelé aussi principe de l’application non-discriminatoire du droit international humanitaire, constitue une limitation considérable à l’exercice du droit de légitime défense. En outre, le principe de l’application égale du DIH a comme objectif une protection renforcée de la population civile, des biens civils mais aussi des combattants participant ou non aux hostilités. Toutefois, des exceptions à ce principe ne sont pas à exclure, exceptions résultant surtout des irruptions du jus ad bellum dans le jus in bello. C’est pour cela que certains actes relevant normalement du jus in bello seront considérés comme des actes d’agression assimilables à ceux du jus ad bellum. Avant d’aborder cette question, il convient de s’intéresser de plus près à l’agression armée dont l’objet est une organisation internationale car elle présente une nature hybride résultant justement de cette imbrication entre le jus ad

bellum et le jus in bello.

B. L’agression armée contre les organisations internationales : une notion hybride entre

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