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CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

LA LEGITIME DEFENSE RELEVANT DU JUS AD BELLUM

A. Nature juridique et conditions d’invocation

La double nature du droit de légitime défense, conventionnelle et coutumière, se complète par sa qualité de norme relevant du jus cogens (1). Les Etats pouvant l’invoquer valablement ne se limitent pas au seul Etat victime mais incluent aussi ceux qui assistent l’Etat victime, une fois certaines conditions remplies (2).

1. Nature juridique

Aussi bien la Charte des Nations Unies que le droit international général consacrent le droit de légitime défense. A l’instar de l’interdiction du recours à l’emploi de la force, y compris de l’agression, le droit de légitime défense des Etats a une double nature, à la fois

conventionnelle et coutumière. L’article 51 de la Charte prévoit qu’« aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée ». Le terme « droit naturel » a été, à juste titre selon L.-A. Sicilianos410, critiqué car il fait entrer dans la Charte et, par là même, dans l’ordre juridique international qu’elle instaure, la doctrine du bellum justum411. Dans son arrêt rendu dans l’affaire des Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la CIJ attribue au terme « droit naturel » de

l’article 51 le sens du droit international coutumier et ainsi l’intègre définitivement dans le droit positif. En employant le terme « droit naturel » ou, en anglais, « inherent right », l’article 51 réaffirme donc le droit de légitime défense tel que consacré en droit international coutumier ; selon la CIJ, « l’article 51 de la Charte n’a de sens que s’il existe un droit de

légitime défense « naturel » ou « inhérent », dont on voit mal comment il ne serait pas de nature coutumière, même si son contenu est désormais confirmé par la Charte et influencé par elle412 ». Il en découle que le droit de légitime défense individuelle ou collective est établi

aussi bien en droit conventionnel qu’en droit coutumier. En conséquence, des Etats qui ne sont pas Membres de l’Organisation des Nations Unies sont eux aussi titulaires du droit coutumier de légitime défense individuelle ou collective.

En outre, le droit de légitime défense étant une exception413 au principe de l’interdiction du recours à l’emploi de la force, principe qui fait partie du jus cogens414, ne peut que posséder la même force normative que celui-ci415. Par conséquent, conformément à l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, le droit de légitime défense en tant que norme impérative constitue un droit inaliénable des Etats qui « ne peut être modifié[e] que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même

410 L.-A. SICILIANOS, Les réactions décentralisées à l’illicite, Paris, L.G.D.J., 1990, p. 304. 411 Voir supra, Introduction, p. 1.

412 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 94 : par. 176.

413 Voir à cet égard P. D’ARGENT, « Du commerce à l’emploi de la force : l’affaire des plates-formes pétrolières (arrêt sur le fond) », AFDI, vol. 49, 2003, p. 276 et s. P. D’Argent fait remarquer que dans son arrêt du 6 novembre 2003 dans l’affaire des Plates formes pétrolières la CIJ n’emploie pas le terme « exceptions », comme elle l’avait fait dans l’arrêt Nicaragua de 1986, mais le terme « limitation », au singulier, au principe de l’interdiction de l’emploi de la force armée. Si P. D’Argent n’y voit pas un revirement de jurisprudence, il considère tout de même que ce passage du pluriel au singulier renforce « le caractère absolu du principe de l’interdiction du recours à la force, auquel il ne pourrait jamais véritablement être dérogé, ni en droit par traité (règle de jus cogens), ni en fait puisque l’emploi de la force en situation de légitime défense n’y ferait pas à proprement parler exception ».

414 Voir supra, chapitre I.

415 A. CASSESE, « Article 51 », in J.-P. COT et A. Pellet, op. cit., 2ème éd., pp. 771-793 ; L.-A. SICILIANOS,

op. cit., p. 305. En revanche, Y. DINSTEIN doute de l’appartenance du droit de légitime défense au droit

caractère ». Une autre conséquence tirée de l’article 53 a trait à la nullité de tout traité par lequel deux Etats se mettent d’accord pour renoncer au droit de légitime défense individuelle ou collective. En outre, la qualité de norme impérative de la légitime défense semble être incompatible avec le pouvoir du Conseil de sécurité, conféré par la Charte, elle-même instrument conventionnel, de mettre un terme à l’action entreprise au titre de la légitime défense. Pour que le Conseil puisse limiter le droit de légitime défense, ses pouvoirs en la matière doivent découler des normes ayant une valeur hiérarchiquement égale à celle des normes relatives à la légitime défense, à savoir une valeur de règle impérative416. Cette question sera traitée dans la 2e Partie car ici nous nous limiterons à une analyse au regard du droit de la société internationale relationnelle et non institutionnelle, pour reprendre les termes de René-Jean Dupuy417. Il en découle que tous les Etat sont titulaires du droit de légitime défense individuelle ou collective. Reste toutefois à savoir les conditions requises pour qu’un Etat puisse valablement invoquer ledit droit dans un cas concret.

2. Etats pouvant valablement l’invoquer

La question qui se pose est celle de savoir qui est habilité par le droit international à invoquer le droit de légitime défense au cas où un Etat serait victime d’une agression armée. Ainsi qu’il découle des termes « droit naturel de légitime défense individuelle ou collective » de l’article 51 de la Charte, outre l’Etat victime, un Etat tiers peut aussi invoquer valablement ledit droit. En effet, dans le cas de la légitime défense individuelle, il est évident que l’Etat victime invoque lui-même son droit à l’autodéfense. Le droit international coutumier exige que l’Etat victime d’une agression armée en fasse lui-même la constatation avant toute invocation par lui-même de son droit de légitime défense individuelle418. Il en résulte que l’Etat tiers ne saurait ni constater l’agression armée ni invoquer le droit de légitime défense individuelle à la place de l’Etat victime. Il n’est pas à exclure qu’un Etat tiers puisse contraindre l’Etat victime à invoquer son droit de légitime défense individuelle. Dans ce cas là, à condition qu’une agression armée ait effectivement eu lieu, l’invocation dudit droit n’entraîne pas la responsabilité internationale de l’Etat exerçant la contrainte à l’égard de l’Etat auteur de l’agression, car elle ne constituerait pas, en l’absence de la contrainte, un fait

416 Voir infra Partie II, titre II.

417 R.-J. DUPUY, Le droit international, Paris, PUF, Coll. Que sais-je ?, 2001, 11e édition, 127 p.

418 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 104 : par. 195.

internationalement illicite419. En revanche, l’Etat victime peut engager la responsabilité de l’Etat exerçant la contrainte pour tout dommage subi à condition que celle-ci soit considérée comme illicite.

La règle de la constatation de l’agression armée par l’Etat victime lui-même est a

fortiori applicable dans le cadre de l’invocation du droit de légitime défense collective. Dans

l’arrêt rendu dans l’affaire Nicaragua la Cour soumet l’invocation du droit de légitime défense collective par un Etat tiers, en l’espèce par les Etats-Unis, à une déclaration préalable de l’Etat victime, ici d’El Salvador, par laquelle il s’estime agressé. Il en découle qu’une telle condition est juridiquement requise afin que le droit de légitime défense collective soit invoqué et exercé de manière licite. A cet égard, la Cour souligne qu’« il n’existe, en droit

international coutumier, aucune règle qui permettrait à un autre Etat d’user du droit de légitime défense collective contre le prétendu agresseur en s’en remettant à sa propre appréciation de la situation. En cas d’invocation de la légitime défense collective, il faut s’attendre à ce que l’Etat au profit duquel ce droit va jouer se déclare victime d’une agression armée » 420. L’invocation du droit de légitime défense collective est soumise à une deuxième condition, à savoir à la demande de l’Etat victime adressée à l’Etat tiers. Selon la CIJ, « en droit international coutumier, qu’il soit général ou particulier au système juridique

interaméricain, aucune règle ne permet la mise en jeu de la légitime défense collective sans la demande de l’Etat se jugeant victime de l’agression armée » 421. L’invocation du droit de légitime défense collective est donc soumise à deux exigences : la déclaration de l’Etat victime portant sur la constatation de l’agression armée dont il est l’objet, et sa demande d’assistance adressée à l’Etat tiers.

Certains ont ajouté une troisième condition : l’élément de défense personnelle. Bien qu’élément inhérent à la légitime défense individuelle, l’élément de défense personnelle n’est pas nécessairement présent lorsqu’il s’agit du droit de légitime défense collective. Ainsi, une partie de la doctrine exigeait que l’Etat titulaire du droit de légitime défense collective soit,

419 L’article 18 du projet d’articles sur la responsabilité des Etats, adopté par l’ l’Assemblée générale le 12 décembre 2001 dans sa résolution 56/83, dispose que : « L’Etat qui contraint un autre Etat à commettre un fait est internationalement responsable de ce fait dans le cas où : a) Le fait constituerait, en l’absence de la contrainte, un fait internationalement illicite de l’Etat soumis à la contrainte », Rapport de la CDI, 2001, 53e session, A/56/10, p. 49.

420 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 104 : par. 195.

lui aussi, affecté par l’agression armée visant l’Etat victime. Tel est le point de vue du Juge Sir Robert Jennings qui considère que « lorsqu’il vient en aide à l’Etat victime, l’autre Etat

doit non seulement satisfaire à certaines exigences mais aussi se défendre lui-même dans une certaine mesure. Même "la légitime défense collective" devrait renfermer cet élément de défense personnelle qui est inhérent à la notion de défense »422. De même, selon D. W. Bowett, le droit de légitime défense collective peut être invoqué par des Etats tiers à condition qu’ils soient eux aussi victimes de l’agression armée423. Kelsen qualifie le terme anglais « collective self-defence » comme problématique dans la mesure où les Etats tiers ne se défendent pas eux-mêmes mais ils défendent l’Etat victime de l’agression armée424. En revanche, Nguyen Quoc identifie la légitime défense collective aux ententes régionales425. Ce dernier point de vue semble être corroboré par la déclaration du délégué de la Colombie, Président du Comité III/4 de la Conférence sur .une organisation internationale, déclaration faite juste après le vote unanime de l’article 51 : « Si un groupe de pays se déclarent

solidaires pour leur défense mutuelle, comme dans le cas des Etats américains, ils déclencheront cette défense en commun au moment où l’un deux sera attaqué. Et le droit de défense n’appartient pas seulement au pays directement victime de l’agression, il s’étend aux pays qui se sont rendus solidaires du pays directement attaqué »426. C’est cette manière de voir qui a prévalu. Les deux exigences posées par la CIJ en sont la consécration en droit positif. Si pour certains elles sont formalistes427, elles apportent néanmoins une solution pragmatique aux carences du système international de sécurité collective. Des conditions préalables à l’invocation du droit de légitime défense individuelle ou collective doit être distinguée la liberté de l’Etat victime de faire ou non la déclaration par laquelle il constate la commission d’une agression armée à son encontre.

422 Opinion dissidente du juge Sir Robert Jennings, in Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et

contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 545.

423 D. W. BOWETT, Self-Defence in International Law, Manchester University Press, 1958, p. 207 et 216. 424 H. KELSEN, « Collective security and collective self-defense under the Charter of the United Nations »,

AJIL, 1948, vol. 42, p. 792.

425 Dihn NGUYEN QUOC, « La légitime défense d’après la Chartes des Nations Unies », RGDIP, 1948, vol. 52, p. 245. Voir également J. DELIVANIS, La légitime défense en droit international public moderne, Paris, L.G.D.J., 1971, p. 156 ; Y. DINSTEIN, War, agression and self-defence, p.238.

426 UNCIO Doc. Vol. 12, p. 691.

427 Opinion dissidente du juge Sir Robert Jennings, in Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et

contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 544. Voir la critique de Ch. CRAY, International Law and the use of force, p. 137 et s.

Ainsi, dans la mesure où la légitime défense, individuelle ou collective, est établie en droit international général en tant que droit des Etats428, l’Etat victime est libre de l’invoquer ou non lorsqu’il est victime d’une agression armée. Cependant l’Etat titulaire pourrait aussi avoir une obligation de l’invoquer, voire dans certains cas de l’exercer.

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