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La nature juridique du droit de légitime défense des organisations internationales

CHAPITRE I L’AGRESSION ARMEE

LA LEGITIME DEFENSE RELEVANT DU JUS AD BELLUM

A. Les organisations internationales titulaires d’un droit de légitime défense rattaché au

2. La nature juridique du droit de légitime défense des organisations internationales

Nous constatons une divergence étonnante entre ce qui ressort de la pratique en ce qui concerne le droit de légitime défense des organisations internationales et les différentes positions de la doctrine à cet égard. En effet, alors qu’une pratique constante inscrit le droit de légitime défense des organisations internationales dans le cadre du jus ad bellum (a), les thèses de la doctrine semblent refléter une réalité dépassée (a).

462 K. SAMUELS, « Jus ad bellum and conflicts: a case of study of international community’s approach to

violence in the conflict of Sierra Leone », Journal of Conflict and Security Law, 2003, vol. 8, No. 2, 315-338: p.

337.

463 Pierre-Marie Dupuy fait remarquer que : « C’est parce qu’elles sont sujets de ce droit, qu’une large part des règles qu’il contient, quoique formées par et pour les Etats, s’applique aussi à elles, dans la mesure de leur personnalité juridique internationale. » in P.-M. DUPUY, Droit international public, op. cit., p. 140. Déjà en 1949, la Cour internationale de Justice déclarait à propos de l’ONU : « De l’avis de la Cour, l’Organisation était destinée à exercer de fonctions et à jouir de droits – et elle l’a fait – qui ne peuvent s’expliquer que si l’Organisation possède une large mesure de personnalité internationale et la capacité d’agir sur le plan international. […] En conséquence, la Cour arrive à la conclusion que l’Organisation est une personne internationale. », Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif du 11 avril 1949, CIJ Rec. 1949, p. 179. D’ailleurs, dans son premier rapport sur la responsabilité des organisations internationales, le rapporteur spécial de la CDI, G. Gaja, prend soin de clarifier que « Si la présente étude doit être la suite du projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, il convient d’en limiter la portée aux organisations qui exercent des fonctions similaires, voire identiques, à celles exercées par les Etats. Ces fonctions, qu’il s’agisse de fonctions législatives, exécutives ou judiciaires, peuvent être appelées "de puissance publique" », in CDI, 2003, 55ème session, A/CN.4/532, p. 12 : par 20.

a) La doctrine

La doctrine semble être divisée en la matière, plusieurs auteurs refusant de voir dans la légitime défense des casques bleus et d’autres unités des opérations de maintien de la paix un droit d’ordre juridique international. Ils insistent sur le caractère personnel du droit de légitime défense reconnu aux membres des opérations de maintien de la paix. Ainsi, P. Daillier et A. Pellet commentent le droit en question dans les termes suivants : « Aussi ne

portent-elles [les Forces des Nations Unies] les armes que pour assurer leur propre sécurité (légitime défense) »464. J. Combacau et S. Sur sont plus clairs partagent le même point de vue : « Il s’agit d’une légitime défense très limitée, qui concerne davantage la sûreté

individuelle des membres que la sauvegarde collective et institutionnelle de l’opération »465. De même, McCoubrey et White insistent sur le fait que ledit droit est « more akin to a

personal right of self-defence » qu’au droit de légitime défense reconnu aux Etats »466. Corten et Klein comparent le droit de légitime défense des casques bleus à celui consacré par les systèmes de droit pénal interne, dans la mesure où il est limité aux relations entre individus et non pas entre Etats ou entre Etats et Organisations internationales467.

Il y a aussi des points de vues mitigés. Ainsi, L.-A. Sicilianos, tout en affirmant « que la question de la "légitime défense" des forces des Nations Unies ne relève pas de l’art. 51 de la Charte puisque celui-ci s’applique uniquement aux Etats, ainsi qu’il y ressort clairement de son texte », il ne l’exclut pas pour autant du cadre du jus ad bellum sous sa forme d’ensemble des règles coutumières. Dinstein place le droit de légitime défense des casques bleus « in the

context of on-the-spot reaction »468 ; la « on-the-spot reaction » est une forme de légitime défense, qui, dans le langage des Règles d’engagement des Etats-Unis, est connue sous le nom «unit self-defence», c’est-à-dire « act of defending elements or personnel of a defined

464 P. DAILLIER et A. PELLET, op. cit., p. 1017.

465 J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, Monchrestien, 5e édition, Paris, 2001, p. 662 et s. 466 H. McCOUBREY et N. D. WHITE, The Blue Helmets : Legal Regulation of United Nations Military

Operations, Darthmouth, Aldershot, 1996, p. 84.

467 O. CORTEN et P. KLEIN, « Action humanitaire et chapitre VII : la redéfinition du mandat et des moyens d’action des forces des Nations Unies », AFDI, 1993, p.121 : « (…) dans cette optique de protection des membres de la Force, ces règles consacrent un concept de légitime défense dans les relations entre individus, comme c’est le cas dans nombres de systèmes de droit pénal internes, et non pas entre Etats ou entre Etats et Organisations internationales. (…) Cette défense armée ne peut être assimilée à un recours à la force pour se défendre au sens du droit international, puisqu’elle ne prend pas place dans le cadre de relations interétatiques, et ne peut donc en aucun cas s’analyser en une « mesure coercitive » au sens de la Charte.». Voir aussi P. KLEIN, La responsabilité des organisations internationales dans les ordres juridiques internes et en droit des

gens, Bruxelles, Editions Bruylant/Editions de l’Université de Bruxelles, 1998, p. 419-421.

468 Y. DINSTEIN, War, aggression and self-defence, p. 192: « The first category of self-defence relates to the

case in which a small-scale armed attack elicits at once, and in situ, the employement of counter-force by those under attack or present nearby ».

unit»ou ceux « in the vicity thereof ».469 Y. Dinstein considère aussi que « from the stand

point of international law, all self-defence is national self-defence »470. Une autre partie de la doctrine est convaincue que le droit de légitime défense, individuelle ou collective, relève de l’ordre juridique international. Ainsi, Claude Emmanuelli affirme qu’à partir du moment où des forces des Nations Unies participent à des affrontements armés, du point de vue du jus ad

bellum l’Organisation se présente « comme une entité belligérante autonome »471. Il est alors évident que l’Organisation recourt à la force, soit en vertu du droit de légitime défense, soit en violation des règles pertinentes du droit international en la matière. De même Seyersted : « … it [l’Organisation des Nations Unies] has a right to engage in hostilities only

in the cases provided by the Charter or permitted by general international law. Under the latter, armed force can be used in individual and collective self-defence against aggression, and only then. The United Nations, like the States, partakes of this inherent right of individual and collective self-defence. This means that the Organization has, not merely the capacity, but also the right to resist aggression against itself or any Member or non-member State by a Force under its own command or under national command, even if no provision of the Charter authorizes it to do so »472.

On est alors en mesure de constater que les auteurs qui refusent de reconnaître le droit de légitime défense des composantes des opérations de maintien de la paix préfèrent en tant que droit relevant de l’ordre juridique international, l’inscrire, au pire dans un « no man’s land » juridique, et au mieux, dans l’ordre juridique étatique. « No man’s land » juridique, parce que le droit de légitime défense qui est reconnu aux opérations ne relève que du droit naturel et non du droit positif, interne ou international ; il est alors évident qu’un tel droit n’a pas de place dans notre étude relevant exclusivement du droit international tel qui est conçu, au moins, depuis l’adoption de la Charte et la mise de la guerre hors la loi. S’agissant de son « intégration » à l’ordre juridique étatique et en particulier au droit pénal interne, une analyse de la pratique onusienne en la matière depuis les années cinquante ne permettrait pas de telles conclusions. D’innombrables documents de l’ONU se réfèrent audit

469 United States Army, Judge Advocate General’s School, Operational Law Handbook §8-3 (2000), cité in Y. DINSTEIN, op. cit., p.192 et s.

470 Y. DINSTEIN, op. cit., p.193.

471 « En conséquence, les rapports conflictuels entre les forces des Nations Unies et celles d’un Etat (y compris un Etat membre) peuvent être assimilés à ceux qui opposent les parties à un conflit international » : C. EMANUELLI, « Les forces des Nations Unies et le droit international humanitaire », in L. CONDORELLI, A.- M. LA ROSA et S. SCHERRER (dir.), Les Nations Unies et le droit international humanitaire, p. 357.

472 Finn SEYERSTED, United Nations forces in the law of peace and war, Sijthoff, Leyden, 1966, p.406. Italiques dans l’original.

droit, à savoir des résolutions du Conseil de sécurité et des documents du Secrétariat relatifs à la mise en place des opérations de maintien de la paix ; il en découle qu’une réglementation du droit de légitime défense de la part de l’organisation internationale universelle ne pourrait que constituer la preuve patente que ledit droit relève de l’ordre juridique international plutôt que de l’ordre juridique étatique.

Contrairement à ce qu’une partie de la doctrine met en avant, le droit de légitime défense des organisations internationales dans le domaine des opérations de paix n’a pas un caractère exclusivement personnel. Selon divers rapports du Secrétariat de l’ONU, analysés par la suite, les personnels militaires de l’opération peuvent invoquer le droit de légitime défense en vue de défendre non seulement eux-mêmes, mais aussi le personnel civil de l’opération que les locaux, des biens mis à sa disposition. En plus, la défense de la mission dans son ensemble et celle de la liberté de mouvement constituent des parties intégrantes du droit de légitime défense des opérations de paix. Il convient donc de se pencher sur la pratique afin de répondre à la question de savoir si la légitime défense des OI relève ou non du droit international et, le cas échéant, du jus ad bellum.

b) La pratique

Il a déjà été précisé que les opérations de maintien de la paix ne sont pas prévues par la Charte des Nations Unies. Leur mise en place relève de la compétence du Conseil de sécurité en vertu de l’article 24 et de l’Assemblée générale en vertu des articles 12 et 14 ; quant aux Etats, l’article 25 stipule qu’ils « conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité ». Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont toujours fait appel au Secrétaire général lors de la mise en œuvre des opérations de maintien de la paix en vertu de l’article 98 de la Charte473. Le Département des opérations de maintien de la paix au siège des Nations Unies à New York en est la traduction au niveau administratif. Par conséquent, le rôle du Secrétaire général dans la détermination de la portée de la légitime défense de l’Organisation dans le cadre des opérations de maintien de la paix est déterminant. Pour chaque opération le Secrétaire général désigne un représentant spécial, appelé Représentant spécial du Secrétaire général, et un commandant des forces sur le terrain dont le rôle est également crucial en la matière.

473 Le fameux principe « Leave it to Dag [Hammarskjöld] », in R. HIGGINS, United Nations Peacekeeping

Dès la mise en œuvre de la première opération de maintien de la paix par les Nations Unies, la FUNU-I, en novembre 1956, le droit de légitime défense a été reconnu aux composantes militaires de l’opération474. Dans une étude de codification de la pratique à propos de la FUNU, le Secrétaire général de l’époque, le diplomate suédois Dag Hammarskjöld, tout en affirmant le droit de légitime défense des opérations de maintien de la paix, en dégage une première définition : « men engaged in the operation may never take the

initiative in the use of armed force, but are entitled to respond with force to an attack with arms, including attempts to use force to make them withdraw from positions which they occupy under orders from the Commander, acting under the authority of the Assembly and within the scope of its resolutions. The basic element involved is clearly the prohibition against any initiative in the use of armed force. This definition of the limit between self- defense, as permissible for United Nations elements of the kind discussed, and offensive action, which is beyond the competence of such elements, should be approved for future guidance »475. Le Secrétaire général reconnaît aussi que le concept de légitime défense est

ouvert à diverses interprétations lors de la mise en place d’une opération de maintien de la paix476. Nous constatons donc que, dès la première opération de maintien de la paix, l’agression armée contre les composantes militaires d’une opération ne se limite pas aux attaques contre les personnes, mais elle s’étend aux tentatives de les faire retirer des postes qu’elles occupent conformément à leur mandat. Une interprétation extensive du droit de légitime défense des opérations de maintien de la paix est alors en chantier depuis les années cinquante.

L’Opération des Nations Unies pour le Congo (ONUC) a été mise en place par la résolution 143 du 14 juillet 1960 du Conseil de sécurité sur recommandation du Secrétaire général, Dag Hammerskjöld. Concernant les conditions préalables à toute invocation du droit de légitime défense, le Secrétaire général a réitéré le paragraphe de son « summary study » de

474 Pour ce qui est de l’historique de la mise en œuvre de la FUNU, voir T. FINDLAY, The use of force in peace

operations, Oxford University Press, 2002, 486p. : p. 20 et s.

475 L’auteur souligne dans le texte original. « Etude sommaire sur l’expérience tirée de la création et du fonctionnement de la Force », « Summary study of the experience derived from the establishment and operation of the Force : report of the Secretary-General », UN Doc. A/3943, AGDO, 13ème année, doc. A/3943 du 9 octobre 1958, par. 179.

1958477. Le mandat de l’opération a été progressivement élargi par le Conseil de sécurité qui a adopté trois résolutions supplémentaires478. Le Conseil n’ayant cité ni le chapitre ni l’article de la Charte en vertu desquels il avait agi en l’espèce, le Secrétaire général l’a située entre les chapitres VI et VII479. La CIJ a déclaré pour sa part qu’en tout cas il ne s’agissait pas d’une opération relevant du Chapitre VII de la Charte480. Toute action militaire constituant un obstacle à l’accomplissement du mandat était considérée comme une agression contre l’opération elle-même. En répondant aux critiques faites par le Représentant permanent de la Belgique auprès des Nations Unies à propos des opérations militaires menées par des troupes de l’ONU à Katanga en décembre 1961, le Secrétaire général, U Thant, a défini le mandat de l’opération et, implicitement, toute action qui pourrait être considérée comme agression contre celle-ci. Il évoque le droit de légitime défense des opérations de maintien de la paix comme base juridique d’une série d’actions militaires visant à retrouver leur liberté de mouvement, rétablir l’ordre et assurer que dans l’avenir les forces et d’autres personnels des Nations Unies à Katanga ne feront pas l’objet d’attaques481. Le concept de légitime défense

des opérations de maintien de la paix s’élargit donc considérablement. Cela se confirme aussi par le rapport du Secrétaire général sur la mise en œuvre de la Force des Nations Unies à Chypre (UNIFCYP)482. Cette force est autorisée à riposter au titre de la légitime défense en cas d’attaques contre les postes, les locaux et les véhicules des Nations Unies ainsi que contre le personnel non militaire483.

Une pratique constante conforme à une conception large de la légitime défense des opérations de paix pose la question de la formation d’une règle coutumière en la matière. Les deux éléments nécessaires étant réunis, la pratique et l’opinio juris, il serait possible de parler d’un droit coutumier de légitime défense propre aux organisations internationales. Cela se confirme par le fait que la légitime défense figure dans le dernier rapport du Rapporteur spécial de la CDI sur la responsabilité des organisations internationales en tant que

477 Premier rapport du Secrétaire général sur la mise œuvre de la résolution du Conseil de sécurité S/4387 du 14 juillet 1960, UN Doc. S/4389, 18 juillet 1960 (SCOR, Supplement for July-Sep. 1960, pp. 16-24); il fut adopté par la résolution 145 du 22 juillet 1960.

478 Résolution 146 du 9 août 1960 ; résolution 161 du 21 février 1961 ; résolution 169 du 24 novembre 1961. 479 T. FINDLAY, The use of force in peace operations, p.54.

480 Certaines dépenses des Nations Unies, avis consultatif du 20 juillet 1962, C.I.J. Rec.1962, par.177.

481 UN Doc. S/5078, part II. Le Secrétaire général a fait une déclaration similaire le 10 décembre 1961 : UN Doc. S/5035, section II.

482 Résolution 186 (1964) du Conseil de sécurité, 4 mars 1964.

483 Aide-memoire du Secrétaire général S/5653, 11 avril 1964, cité in T. FINDLAY, The use of force in peace

operations, p. 92. Voir aussi le Rapport du Secrétaire général sur la UNIFCYP, S/5950, 10 septembre 1964, p.

circonstance excluant la responsabilité484. Le Rapporteur spécial a même pris en son compte l’interprétation large du droit de légitime défense telle qu’elle découle de la pratique : « Les mandats confiés aux forces de maintien et de rétablissement de la paix sont différents, mais toutes les mentions du droit de légitime défense qui y sont faites confirment que l’état de légitime défense est une circonstance qui exclut l’illicéité »485.

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