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Cette question a toutefois indirectement resurgi en rapport avec une clause qui prévoyait, outre une tontine en usufruit, une faculté de résiliation

Dans le document La copropriété (Page 59-65)

a) Qualification : l’absence de pacte sur succession future

23. Cette question a toutefois indirectement resurgi en rapport avec une clause qui prévoyait, outre une tontine en usufruit, une faculté de résiliation

unilatérale de chacun des tontiniers, réintroduisant dans le jeu de la clause, et de l’accord des parties, l’équivalent de l’application de l’article 815, alinéa 1er,

du Code civil.

23.1. Cette affaire a donné lieu à un intéressant jugement du tribunal de première instance d’Anvers du 28 juin 2002 83.

81. L. BARNICH, étude citée (note 2), Rev. not. belge, 2003, pp. 592 et s., nos 6 à 8.

82. Anvers, 10 février 1988, Rev. not. belge, 1988, p. 436 ; T. Not., 1989, p. 320, qui exclut la qua- lification de pacte sur succession future à l’égard d’une clause d’accroissement.

La clause était une clause de tontine en usufruit prévoyant en outre un alinéa à l’origine d’une faculté de résiliation unilatérale dans le chef des tonti- niers, dont le texte néerlandais était le suivant :

“Deze tontine belet de kopers niet tot drie maanden voor het overlijden van een van beiden, eenzijdig of in overleg, uit onverdeeldheid te treden of hun deel te vervreemden, wat steeds als een wederzijdse afstand door elk van de kopers van de voormelde ontbindende en opschortende voorwaarden zal beschouwd worden”.

Je suggère la traduction libre suivante de cette clause : « Cette tontine n’interdit pas aux acheteurs, jusqu’à trois mois avant le décès de l’un d’entre eux, et ce unilatéralement ou après concertation, d’agir en sortie d’indivision pour aliéner leur part, ce qui sera toujours considéré comme une renonciation réciproque par chacun des acheteurs à la condition résolutoire et suspensive ci-dessus mentionnée ».

L’un des tontiniers agit effectivement en sortie forcée d’indivision sur la base de cette clause.

23.2. Était-elle valable ?

Le tribunal civil d’Anvers décida que tel n’était pas le cas dans la mesure où elle avait conféré à la tontine litigieuse, une révocabilité à tout moment, telle que la tontine, combinée avec la clause, pouvait être qualifiée de pacte sur succession future. La motivation sur ce point a été la suivante : « Overwegende dat partijen reeds bij het aangaan van het tontinebeding conventionneel kunnen bepalen in welke gevallen de overeenkomst een einde zal nemen zonder dat deze overeen- komst een overeenkomst over een niet opengevalen nalatenschap mag uitmaken (F. BLONTROK, « Tontine versus huwelijk » T. Not., 1994, n° 60).

Dat in casu het tontinebeding voorziet dat een van de kopers eenzijdig uit de onverdeeldheid kan treden tot drie maanden voor het overlijden van een van beiden.

Dat deze bepaling erop neerkomt dat iedere koper eigenmachtig zou kunnen uitmaken of het tontinebeding al dan niet uitwerking zal krijgen.

Dat deze bepaling betrekking heeft op loutere eventuele rechten en derhalve een verboden beding uitmaakt over een niet opengeval- len nalatenschap.

Dat deze bepaling om deze reden voor niet geschreven dient gehouden te worden (...) » 84.

84. Ibidem, C.A.B.G., 2006/6, spéc. pp. 37 et 38. Mis en évidence. Le tribunal ajouta : « Overwegende

dat voor het overige uit niets blijkt dat de aankoop met tontinebeding zonder orrzaak zou zijn aange- gaan of zonder oorzaak zou ziin geworden ». Cet attendu me paraît critiquable dans la mesure où la théorie de la caducité d’une convention par disparition de sa cause-mobile déterminant n’est pas reconnue en droit belge si ce n’est dans le domaine des libéralités (à ce sujet, cf. infra, n° 30.1.).

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En conséquence, le tribunal a rejeté la demande de sortie forcée d’indivi- sion introduite par l’un des tontiniers, la déclarant non fondée.

La décision est certainement astucieuse puisqu’elle combine une qualifi- cation de la tontine comme pacte sur succession future, en raison de l’alinéa 2 de la clause 85, avec une annulation de cette seule dernière clause, ce qui per-

met de sauver le reste de la tontine en l’espèce.

23.3. Cette clause de résiliation était-elle pour autant constitutive d’un pacte sur succession future, ou rendait-elle la tontine en l’espèce qualifiable comme tel ?

Je n’en suis pas convaincu pour deux raisons touchant à l’analyse res- treinte du pacte sur succession future que j’ai proposée supra (nos 19.1. et 2.,

et 20).

D’abord, la tontine ne portait pas à proprement parler sur un bien sus- ceptible de se retrouver dans la succession du tontinier prémourant 86.

Ensuite, la clause avait-elle engendré des droits « purement » éventuels en raison de l’alinéa 2 qui prévoyait une faculté de résiliation unilatérale. Je ne le pense pas non plus.

La clause de tontine avait en effet fait naître des droits existants, de nature conditionnelle.

Reste toutefois qu’il demeurait possible de soutenir que la faculté de résiliation et partant de révocation découlant de la clause, avait conféré un caractère essentiellement révocable aux droits, faisant de la clause en question un pacte sur succession future.

23.4. Il est vrai que ce type de raisonnement a quelques fois été suivi en doctrine et jurisprudence, en droit français puis en droit belge, en particulier ces dernières années 87.

Le jugement du tribunal civil d’Anvers du 28 juin 2002 est dont sympto- matique de l’émergence d’une conception assez extensive du pacte sur suc- cession future, appliquée en matière de tontine. Il sonne comme une mise en garde à laquelle on prêtera grande attention, même si la cour a décidé ensuite

85. S’il n’y avait pas eu la faculté de résiliation unilatérale prévue à l’alinéa 2, la question ne se serait pas posée à l’égard de la clause de tontine en usufruit elle-même, parfaitement valable. 86. Cf. ci-dessus, n° 20.

87. Sur le sujet, cf. mon étude précitée, spéc. pp. 244 et s. et réf. citée au n° 21 ci-dessus. Voy. aussi l’étude de L. BARNICH, op. cit., Rev. not. belge, 2003, spéc. nos 6 et 7, pp. 596 et s.

de ne pas annuler la totalité de la clause de tontine mais seulement la faculté de résiliation unilatérale, ce qui est évidemment une excellente chose.

Ce constat nous renvoie d’ailleurs à la discussion assez vive qui anime ces dernières années, et actuellement encore, la doctrine au sujet de la validité des clauses prévoyant que la tontine ou la clause d’accroissement pourra avoir ses effets limités à une certaine période, et adjoignant dès lors aux tontines des dispositions prévoyant que la clause sera prorogée, sauf dénonciation par l’une des parties – suivant le système proposé par le professeur Y.-H. Leleu, avec adjonction d’un pacte de préférence – option d’achat par celui qui doit subir la non-reconduction de la tontine 88 –, d’autres auteurs ayant exprimé

leur scepticisme, voire plus, à l’égard de ces clauses et de leur validité, étant à l’origine d’une forme de révocabilité ou de résiliation unilatérale 89.

23.5. J’aurais tendance à réagir comme suit à ce débat.

Me paraît nettement plus convaincant qu’une argumentation allant dans le sens de la qualification de pacte sur succession future, un raisonnement soutenant une possible annulation d’une clause de résiliation unilatérale dans une tontine – telle que l’alinéa 2 précité de la clause dans l’affaire avant l’arrêt de la cour d’appel d’Anvers –, en application de l’article 1174 du Code civil, la clause en question étant à l’origine d’une condition résolutoire purement potestative dans le chef des tontiniers 90.

Il faudra voir alors si le tontinier peut résilier la tontine, ou plus précisé- ment ne pas aller dans le sens de sa prorogation, sans conséquence aucune pour lui.

Si tel est le cas, la clause risque la qualification de condition résolutoire purement potestative et de pacte sur succession future dans la conception large de cette notion.

Si tel n’est pas le cas et si le tontinier doit payer le prix de la non- prorogation, par exemple en souffrant le risque d’exercice d’un droit de

88. Ou en cas de demande de sortie d’indivision. Cf. l’étude de cet auteur publiée à la Rev. not. belge, 2001, pp. 592 et s., et étude plus récente publiée en 2005, citée en note 2. Voy. aussi sur la ques- tion, P. DE PAGE et I. DE STEFANI, « Les opérations atypiques (...) », op. cit., ouvrage UB3, 2006, spéc. n° 68, pp. 64 et s.

89. Cf. L. BARNICH, op. cit, Rev. not. belge, 2003, p. 592 et s.

90. Au sujet des règles en la matière, notamment impliquant que non seulement des conditions sus- pensives mais aussi des conditions résolutoires, soient susceptibles d’être annulées en application de l’article 1174 du Code civil, si elles dénotent une réelle pure « potestativité », unilatéralement et sans conséquence pour la partie qui la soulève (sous la forme notamment de contrepartie pour l’autre), la libérant du lien obligationnel, cf. P. A. FORIERS, « Propos sur la conditions résolutoire

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préemption par son partenaire, dans le système proposé par Y.-H. Leleu, ou en payant une indemnité à l’autre tontinier, qui serait le prix de la non-pro- rogation de la clause, ou en devant toute autre contrepartie réelle à son par- tenaire 91, le risque de qualification de la clause comme condition purement

potestative et/ou pacte sur succession future ne devrait plus alors être encouru 92.

23.6. Le professeur L. Barnich oppose une autre objection à tout sys- tème de prorogation d’une tontine ou clause d’accroissement temporaire. Elle ne pourrait opérer car ces conventions sont des contrats à prestations ins- tantanées, même si les obligations des parties sont reportées dans le temps. Il écrit avec netteté : « En tout état de cause, il n’est pas permis, comme on le suggère parfois à tort, de prévoir que le contrat sera prorogé ou reconduit pour une nouvelle période. Ce genre de stipulation n’a de sens que pour un contrat à durée déterminée et à exécution successive. Elle est inconcevable pour les contrats à exécution instantanée, comme la vente ou la cession croi- sée de droits indivis. Rappelons-le, la stipulation d’une terme ou d’une con- dition ne modifie pas la nature des contrats à exécution instantanée. Elle ne transforme pas la convention d’accroissement en contrat à exécution succes- sive. Le contrat soi-disant prorogé est un contrat nouveau et l’aléa sera appré- cié au moment où celui-ci intervient » 93.

Je ne suis pas sûr de pouvoir suivre cette analyse et d’aller aussi loin, ou d’être aussi catégorique. Certes, les conventions de tontine sont des conventions à prestations instantanées, mais précisément elles sont d’un genre très particulier : les obligations des parties voient certains de leurs effets suspendus en fonction d’un aléa lié au prédécès possible d’un des tontiniers dans le futur. Les prestations instantanées sont donc d’un genre très spécifique, aléatoire et condi- tionnel. Pourquoi un contrat à prestations instantanées mais dont les obligations

91. Tel serait en effet le critère : non seulement une condition suspensive mais aussi une condition résolutoire pourrait être qualifiée de condition purement potestative si la partie qu’elle lie peut la déclencher par une décision unilatérale et purement potestative de sa part, sans contrepartie aucune pour la partie qui devrait la souffrir. En revanche, son caractère purement potestatif dis- paraîtrait si le fait de se prévaloir de la condition impliquait le déclenchement d’un mécanisme contractuel compensatoire au profit de l’autre partie. Cf. à ce sujet, l’étude de P. A. FORIERS, citée en note précédente, spéc. n° 12, p. 124.

92. Sur le parallélisme existant entre la condition purement potestative et le pacte sur succession future, qui ont pour essence l’une et l’autre de ne pas lier celui qui s’est obligé (d’où aussi une absence d’objet de l’obligation), cf. les analyses très claires de L. BARNICH, étude citée, Rev. not.

belge, 2003, spéc. n° 7, p. 598.

93. Cf. « Les clauses d’accroissement (...) », étude citée, Rev. not. belge, 2003, spéc. p. 609, n° 14, et plus haut, p. 607.

sont soumises au jeu de conditions suspensives, ne pourrait-il pas être prorogé dans le temps, en particulier lorsque, par définition, sa condition ne s’est pas encore réalisée ? L’inverse – à savoir l’impossibilité de prorogation – ne serait-il pas quelque peu absurde ?

La stipulation de la condition dans un tel contrat modifie la mécanique de ce dernier et il me semble que le contrat prorogé à la suite de la clause de prorogation sauf opposition d’un tontinier, ne sera pas un nouveau contrat, soumis à une appréciation nouvelle de l’aléa.

Je ne vois dès lors pas pourquoi les tontiniers ne pourraient pas prévoir que leur convention pourra être prorogée à défaut d’opposition, passé un certain délai de durée temporaire de la clause de tontine ou d’accroissement, dès lors que la condition ne s’est pas réalisée dans ce délai – aucun des deux n’étant prédécédé – et que l’aléa est toujours en cours.

J’aurais donc nettement tendance à défendre également le système ingé- nieux 94, proposé par le professeur Y.-H. Leleu.

Je me bornerai à ces brèves considérations au sujet d’une question qui est peut-être devenue la plus délicate du droit de la tontine et de la clause d’accroissement.

23.7. Ces considérations et analyses démontrent en tout cas qu’il faudra rester très prudent au moment de l’insertion, dans des clauses de tontine ou d’accroissement, de mécanismes limitant dans le temps la durée de la tontine. Les clauses allant dans le sens de prorogations, sauf notification dans un certain délai, par lettre recommandée, de la volonté de l’un des tontiniers de refuser la prorogation, contre-balancée toutefois par une contrepartie pour celui qui devra subir la non-prorogation, telles que proposées par Y.-H. Leleu, me paraissent les plus solides.

Encore une fois, il faudrait alors plutôt raisonner en termes de condition purement potestative, la « potestativité » n’étant pas pure – et le droit n’étant pas non plus « purement éventuel » –, lorsqu’elle se paie au prix d’une con- trepartie réelle reconnue à celui qui la subit.

On voit en tout cas que ce type de clause, à l’origine d’une durée tem- poraire de la tontine, doit être manié avec prudence 95.

Il ne faudra pas non plus perdre de vue qu’il faudra bannir tout mécanisme mettant fin à la clause de tontine initiale, avec apparition d’une

94. En tout cas le moins mauvais des systèmes.

95. Cf. aussi à ce sujet, V. GOLDSCHMIDT et I. DE SELYS LONGCHAMPS, « La clause d’accroissement »,

op. cit., spéc. n° 13, p. 44. Voy aussi P. DE PAGE et I. DE STEFANI, « Les opérations atypiques… »,

op. cit., spéc. n° 68, p. 65 et réf. à l’étude de Y.-H. LELEU, dans « Clauses de tontine ou d’accrois-

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nouvelle clause, car l’aléa devrait alors être à nouveau présent lors de la con- clusion nouvelle de cette clause – comme ce serait pas exemple le cas d’une résiliation unilatérale ou d’une tacite reconduction de la clause 96.

Le tribunal civil d’Anvers a pour le reste, je le répète, eu parfaitement raison, dans l’affaire analysée ci-dessus (n° 23.1. et 2.), de limiter l’effet de la nullité pour pacte sur succession future à la seule clause de résiliation et non à l’ensemble de la tontine 97.

On notera, pour en finir avec l’examen de cette affaire et cette question, qu’étrangement, le tontinier agissant en sortie d’indivision, ne s’est pas rabattu, après la référence à la clause de résiliation, sur une demande simple d’applica- tion de l’article 815, alinéa 1er, du Code civil en raison de la situation d’indivi-

sion et de copropriété existant entre tontiniers pendente conditione.

Abordons maintenant ce sujet également sensible dans d’autres affaires. 3. La clause de tontine engendre une copropriété volontaire

pendente conditione

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