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b) Conséquence : l’application de l’article 1561 du Code judiciaire

Dans le document La copropriété (Page 76-80)

32. L’article 1560 du Code judiciaire prévoit que : « Le créancier peut poursuivre l’expropriation : 1) des biens immobiliers et de leurs accessoires réputés immeubles, appartenant en propriété à son débiteur ; 2) des droits d’usufruit, d’emphytéose et de superficie appartenant au débiteur, sur les biens de même nature ».

136. Cf. notamment J.-L. LEDOUX, « La saisie immobilière », R.P.D.B., Complément VIII, Bruxelles, Bruylant, 1995, spéc., n° 48. L’indivision est contestée par cet auteur, au motif que « (...) ce n’est pas selon nous parce qu’un bien a plusieurs maîtres que ceux-ci sont copropriétaires indivis ». On opposera : mais quelle est alors la situation patrimoniale de ces biens ? Ce ne sont quand même pas des res nullius... Et Ledoux d’en déduire la conséquence suivante quant au sort des créanciers, qui ne s’impose donc pas non plus : « Théoriquement les créanciers ne sont en aucune manière empêchés de saisir le bien de leur débiteur mais ils ne peuvent saisir que ce dont ce der- nier est propriétaire. Ils ne pourront en aucune façon provoquer le partage, et la vente sur saisie portera sur les droits du débiteur tels qu’ils sont devenus par sa volonté : des droits conditionnels sur la totalité du bien. Pratiquement, leur valeur économique risque d’être réduite voire nulle. Le créancier doit subir les conséquences de la modification de la consistance du patrimoine de son débiteur et est lié à la façon dont celui-ci l’a constitué ». Je ne suis donc pas d’accord avec cette analyse, sur la base d’un raisonnement simple : 1) il y a indivision entre tontiniers avant le décès de l’un d’entre eux ; 2) il est possible dès lors d’appliquer l’article 1561 du Code civil qui protège les créanciers, tout en imposant à ceux-ci le respect des conventions d’indivision qui leur ont été rendues, régulièrement et sans fraude, opposables par les tontiniers.

137. J.-F. TAYMANS, « Le sort de l’immeuble acquis en commun dans le cadre d’une union libre », in

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L’article 1561 règle le sort des biens immeubles en indivision : « Néan- moins, la part indivise du débiteur ne peut être exécutée par ses créanciers personnels avant le partage ou la licitation, qu’ils peuvent provoquer ou dans lesquels ils ont le droit d’intervenir, sauf à respecter la convention d’indivi- sion conclue antérieurement à la demande en partage ou à l’acte constitutif d’hypothèque » 138.

Le Doyen G. de Leval a commenté comme suit l’application de cette disposition aux clauses de tontine : « La tontine ne peut créer une cause d’insaisissabilité opposable aux créanciers des acquéreurs » ; à leur égard, « il y aura tout simplement une indivision » régie par l’article 1561 du Code judi- ciaire. Cette solution est contestée par ceux qui objectent que « la tontine n’est pas une indivision ». Certes, les créanciers ne peuvent être empêchés de saisir le bien de leur débiteur mais ils appréhenderont, en cas de tontine, des droits conditionnels dont la valeur économique risque d’être réduite, voire nulle 139. En tout état de cause, on ne pourrait admettre qu’une insaisissabilité

de fait paralyse de manière illimitée l’exercice légitime des droits des créan- ciers. C’est pourquoi cette solution ne pourrait être retenue qu’en l’absence de fraude du débiteur pour autant que la clause d’accroissement entre tonti- niers soit, sous réserve de reconduction même tacite, limitée dans le temps de telle sorte que « le renouvellement même tacite sera inopposable aux créan- ciers qui se seraient manifestés par la transcription de leur saisie ou de leur commandement avant qu’il n’opère ». En tout état de cause, la tontine ne fait obstacle à la saisie lorsque la dette pèse sur les deux acquéreurs » 140.

Cette analyse semble conclure au droit des créanciers d’agir sur le pied de l’article 1561 du Code civil, mais à certaines conditions et en réservant le cas où il y aurait « absence de fraude du débiteur », la tontine ou la clause d’accroissement étant alors opposable aux créanciers. Je me permettrai de la compléter comme proposé dans un instant 141.

33. Je souscris à la thèse de l’application de l’article 1561 du Code judi- ciaire. Elle a été validée par deux décisions de fond intéressantes. D’abord, un

138. L’article se poursuit comme suit : « En cas de licitation, et quel que soit l’acquéreur, autre que le collicitant, dont la part indivise se trouvait grevée d’hypothèque, le droit du créancier hypo- thécaire est reporté sur la part du débiteur dans le prix. En cas de partage avec soulte, les sommes que le copartageant est tenu de payer sont affectées au paiement des créances privilégiées ou hypothécaires, qui perdraient ce caractère, et ce, d’après le rang que ces créances avaient au moment du partage ».

139. G. de Leval fait ici référence aux analyses de J.-L. Ledoux.

140. La saisie immobilière, Rép. not., t. XIII, Livre II, Larcier 2001, n° 65, pp. 127 et 128. 141. Cf. n° 34.

jugement du juge des saisies de Liège, du 27 janvier 1997, qui a conclu, de façon très argumentée, à l’existence d’une indivision, face à une clause de tontine en usufruit (« formule Raucent »), d’où le droit des créanciers de demander l’application de l’article 1561, la fraude paulienne des tontiniers ayant par ailleurs été constatée 142. Ensuite un jugement bien et longuement

motivé également, du tribunal civil de Verviers, rendu le 6 janvier 2003 143,

ayant décidé que l’article 1561 du Code civil était applicable et qu’une cause d’insaisissabilité illimitée dans le temps ne pouvait en droit commun être imposée aux créanciers d’un tontinier 144.

34. En synthèse, les principes gouvernant le droit d’exécution des créan-

ciers sont dès lors les suivants :

1. si le créancier détient une créance contre les deux tontiniers, il peut évi- demment faire vendre le bien, dans les conditions du droit commun de la saisie immobilière (art. 1560 du Code judiciaire) ;

2. s’il ne détient une créance que contre l’un d’entre eux, il doit d’abord agir en sortie forcée d’indivision et en partage, le plus souvent en vente publique, le bien n’étant pas commodément partageable (art. 826 et 827 du Code civil) 145 ; en soi, la clause de tontine ou d’accroissement ne l’en

empêche évidemment pas ; il est donc dans une situation différente des tontiniers tenus de respecter la clause, en copropriété volontaire (prin- cipe de la convention-loi) et ne pouvant agir en sortie forcée d’indivi- sion sur le pied de l’article 815, alinéa 1er du Code civil, sous réserve

bien sûr de la controverse non encore définitivement tranchée, que nous avons vue supra 146, et sauf le cas de l’abus de droit en cas de séparation

entre tontiniers 147 ;

3. en revanche, un pacte d’indivision adjoint à la tontine ou à la clause d’accroissement sera opposable aux créanciers en vertu de l’article 1561, alinéa 1er, in fine, dans les limites temporelles de ce pacte 148, et sous

réserve d’une fraude paulienne par les tontiniers quant aux droits des créanciers ; sur ce plan, la situation sera la même que celle des tontiniers ;

142. Rev. not. belge, 1997, pp. 337 et s. 143. Rev. not. belge, 2003, pp. 170 et s.

144. Contra, toutefois : Civ. Charleroi, 28 juin 2002, Rev. not. belge, 2002, p. 845. 145. Civ. Liège, juge des saisies, 27 janvier 1997, précité, Rev. not. belge, 1997, spéc. p. 345. 146. Cf. nos 26 à 29.

147. Cf. supra, n° 30.3.

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4. une clause de tontine ou d’accroissement conclue en elle-même en fraude des droits de créanciers, devrait aussi leur être déclarée inopposa- ble en application de l’article 1167 du Code civil 149 150.

35. N’y a-t-il pas une contradiction ou une incohérence à dire d’un côté que les tontiniers ne peuvent agir en sortie forcée d’indivision, étant liés par leur copropriété volontaire, et l’article 815 ne s’y appliquant pas – du moins dans la thèse qui soutient cette non-application –, et de l’autre, à admettre que les créanciers d’un tontinier puissent agir en partage forcé sur le pied de l’article 1561 du Code judiciaire ?

Je ne le pense pas.

D’abord, il faut tirer toutes les conséquences de l’article 1561, qui pro- tège les créanciers tout en apportant certaines garanties aux débiteurs en indi- vision immobilière.

Ensuite, les tontiniers ont accepté de se lier par convention-loi, dans le cadre d’une indivision volontaire qui devrait échapper normalement à l’appli- cation de l’article 815.

Enfin, d’une part, l’abus de droit permet de tempérer une application immodérée d’une clause de tontine en cas de séparation irrémédiable des tontiniers : la demande unilatérale de sortie d’indivision redevient alors possi- ble, ou plus précisément le droit de s’opposer à cette sortie peut être qualifié d’abusif dans le chef du tontinier défendeur récalcitrant, en fonction des cir- constances concrètes de la cause et des critères précis de l’abus de droit. D’autre part, les tontiniers se retrouvent sur le même plan que les créanciers s’ils ont ajouté à leur clause de tontine un pacte d’indivision, le cas échéant renouvelable. Ce pacte les liera dans les conditions de l’article 815 rendu con- ventionnellement applicable à leur clause de tontine, et sera opposable à leurs créanciers, dans les conditions de l’article 815, alinéa 2, du Code civil et l’article 1561 du Code judiciaire et sauf toujours la fraude des tontiniers (art. 1167 du Code civil).

149. Cf. à nouveau, Civ. Liège, juge des saisies, 27 janvier 1997, précité, Rev. not. belge, 1997, pp. 335 et s. 150. Pour un arrêt récent concernant le régime de l’article 1167 du Code civil, et notamment la ques- tion de la sanction de la fraude lorsque le bien a disparu dans les mains d’un tiers, n’étant plus identifiable, cf. Cass., 9 février 2006, R.G.E.N., 2007, n° 25.859, p. 356.

6. La clause de tontine ou d’accroissement engendre une nouvelle mutation de propriété

au prédécès de l’un des tontiniers mais les biens concernés échappent en principe à la succession du prémourant

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