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Examen de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 avril

Dans le document La copropriété (Page 38-40)

8. Glissons ainsi, davantage encore, de la théorie à la pratique, par l’examen de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 avril 2009, encore inédit, sauf erreur 23.

Deux personnes vivant ensemble ont acquis un immeuble. Leur acte d’acquisition contenait la clause d’accroissement suivante :

« Les parties déclarent faire la présente acquisition chacun individuelle- ment à concurrence d’une moitié indivise mais avec convention expresse entre eux qu’en cas de prédécès de l’un d’eux, le prémourant et, avec lui, ses héritiers et autres ayants droit éventuels perdront tous droits d’usu- fruit de la quotité indivise acquise par lui et que cet usufruit accroîtra

la part indivise du survivant. Il en résultera que ce dernier bénéficiera de plein droit et par le seul fait du décès du prémourant de l’usufruit de la totalité du bien immobilier, objet des présentes, et des constructions qui pourraient y avoir été érigées.

Les acquéreurs déclarent qu’ils entendent ainsi échanger, à titre de con- vention aléatoire, le droit d’usufruit qu’ils exercent chacun sur la part indivise acquise par lui contre l’avantage de survie résultant de la pré- sente convention.

Pour que cette convention puisse sortir ses effets, il est dès lors également convenu qu’aussi longtemps que les acquéreurs sont en vie, aucun d’eux ne pourra, sans le consentement de l’autre, accomplir aucun acte de dis- position ni concéder aucun droit réel sur le bien immeuble acquis par lui et ce, sous peine de nullité » 24.

Quelques commentaires s’imposent au sujet de cette clause. Il s’agit d’une clause d’accroissement en usufruit. Au décès du premier tontinier, un usufruit naît dans le chef du survivant, « accroissant sa part indivise », c’est-à- dire sa moitié indivise initiale en pleine propriété sur le bien. Il est dès lors inutile et trompeur de prévoir, comme le faisait la clause, qu’« Il en résultera que ce dernier bénéficiera de plein droit et par le seul fait du décès du pré- mourant de l’usufruit de la totalité du bien immobilier, objet des présentes, et des constructions qui pourraient y avoir été érigées ». C’est inutile parce que le tontinier survivant a de toute façon déjà sa moitié en pleine propriété ; il va

23. R.G. C.07.0112.F/1, en cause Platiau, A. c./ Ange, M. Au sujet de cet arrêt, cf. aussi l’étude de S. BOUFFLETTE dans le présent ouvrage, spéc. n° 4, p. 13.

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de soi qu’il a une forme d’usufruit sur le tout, mais une telle qualification occulte son droit de base : une pleine propriété, c’est-à-dire, si on démembre le droit, un usufruit et une nue-propriété sur la part en question, auxquels il faudrait ajouter un droit de disposition. Il est toutefois inutile de scinder cette pleine propriété en une nue-propriété et un usufruit, fictifs en quelque sorte. Il ne faut pas les démembrer car un droit de propriété est plus fort que ses parties prise séparément, par l’unité même de ces trois éléments (usus, fructus et abusus). C’est donc quelque peu trompeur aussi car une pleine propriété n’est pas égale à un usufruit plus une nue-propriété ; elle est une pleine pro- priété non démembrée, un point c’est tout.

Et surtout cette formulation ne fait pas apparaître la nue-propriété déte- nue sur la part initiale, plus précisément, pour dépasser à nouveau la logique du démembrement, la pleine propriété sur cette part, qui combinée avec la part de l’autre, sur le même bien, ne pourra être qualifiée, pendente conditione, qu’en termes d’indivision. Il faudra donc aussi raisonner, pour plus de clarté 25, non en termes de pleine propriété sur une part, mais en termes de

copropriété par part égales – indivision – sur un même bien entre les tontiniers.

Par ailleurs, la clause suivant laquelle : « Les acquéreurs déclarent qu’ils entendent ainsi échanger, à titre de convention aléatoire, le droit d’usufruit qu’ils exercent chacun sur la part indivise acquise par lui contre l’avantage de survie résultant de la présente convention », n’est pas des plus claires non plus, quant au caractère aléatoire de la convention qui est plus simple et résulte de la chance de gain ou le risque de perte que chacun des tontiniers possède dans l’opération, suite à la conclusion de la clause, en fonction de sa chance de sur- vie ou sa malchance de prédécès. D’autre part, les tontiniers n’« échang(ent) » pas véritablement un droit d’usufruit qui ne vaudra que dans le futur.

Enfin, prévoir qu’« il est (...) également convenu qu’aussi longtemps que les acquéreurs sont en vie, aucun d’eux ne pourra, sans le consentement de l’autre, accomplir aucun acte de disposition ni concéder aucun droit réel sur le bien immeuble acquis par lui et ce, sous peine de nullité », est également inutile, puisque, en vertu de la règle de l’unanimité applicable à la copro- priété (art. 577-2, §§ 5 et 6 du Code civil), les tontiniers en copropriété ne pouvaient en toute hypothèse poser des actes de disposition ou d’administra- tion sur le bien, que de façon collégiale et unanime.

Mais précisément, les tontiniers étaient-ils en copropriété avant que se pro- duise le décès de l’un d’entre eux et que se déclenche l’accroissement en usufruit ?

Cette question en posait une autre dans cette affaire, qui lui était liée et était la question centrale du litige : s’il y avait copropriété pendant cette période antérieure à l’accroissement, l’un des tontiniers pouvait-il, en cas de mésentente avec l’autre, demander la sortie d’indivision forcée en vertu de

l’article 815, alinéa 1er, du Code civil, qui prévoit que « Nul ne peut être

contraint à demeurer dans l’indivision, et le partage peut être toujours provo- qué, nonobstant prohibition et conventions contraires » ?

En principe, il eût fallu répondre, comme nous le verrons encore plus loin : oui, d’évidence, à la première question, mais non à la seconde, l’article 815 du Code civil n’étant pas applicable – selon moi du moins 26 – à

une copropriété volontaire, comme celle qui résulte d’une clause de tontine ou d’accroissement, pendente conditione et avant l’accroissement, pendant donc la vie des partenaires tontiniers.

Le juge du fond – la cour d’appel de Bruxelles –, confronté à une demande de sortie forcée d’indivision de l’un des deux tontiniers 27, répondit

non d’abord, à la première question, pour répondre également non à la

seconde, l’article 815 ne pouvant s’appliquer s’il n’y avait pas « indivision ». Il était clair que le juge se trompait dans sa réponse négative à la première ques- tion, mais, sans doute avait-il été quelque peu induit en erreur par la clause litigieuse qui faisait la part trop belle à des références perturbatrices au droit d’usufruit résultant de l’accroissement, et qui ne faisait pas apparaître claire- ment la temporalité en deux temps de la clause.

La motivation de l’arrêt de fond du 18 octobre 2006 fut plus précisément la suivante. Je suis l’ordre de l’argumentation de l’arrêt telle qu’elle a été reprise par le pourvoi en cassation qui l’attaquera, en me permettant de la structurer et de faire déjà l’un ou l’autre commentaire, comme suit :

a)

Rejet de la qualification d’indivision dans le cadre de la clause

Dans le document La copropriété (Page 38-40)

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