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CHAPITRE III – Méthodologie de la recherche

5. La construction d‟un récit, la production d‟un savoir

5.2 Quel statut pour les connaissances produites ?

La question des critères de validité scientifique de la recherche qualitative est un débat ancien, aussi ancien que la recherche qualitative elle-même comme le rappelle Anadón (2006), et particulièrement marquée par le poids des chercheurs positivistes et néo-positivistes qui ont eu tendance à poser les termes mêmes du débat106. Sans entrer dans une querelle de légitimité ni me lancer dans une surenchère (« je suis plus scientifique que X ou Y ») qui pourrait tourner à l‟autojustification (« la recherche qualitative, oui, c‟est scientifique », autrement dit « c‟est sérieux »), j‟estime qu‟un certain nombre de garde-fous peuvent être avancés.

Revenons cependant aux critères de validité scientifique généralement mis en avant dans le cadre de recherches qualitatives et évoquons, par la même occasion, des éléments du débat. « Guba et Lincoln (1982) et Lincoln et Guba (1985) ont énoncé un ensemble de critères de rigueur […] [en] prenant comme point de départ la recherche qualitative/positiviste. […] Nous les appelons critères méthodologiques. » (Savoie-Zajc, 2011, p. 140). Ainsi parlera-t-on de « crédibilité » pour « validité interne », de « transférabilité » pour « validité externe », de « fiabilité » pour « fidélité », enfin de « confirmation » pour « objectivité ». Le critère de crédibilité – « le sens attribué au phénomène est plausible et corroboré par diverses instances » (Savoie-Zajc, 2011, p. 141) – est souvent atteint par un processus de triangulation : il peut s‟agir de collecter des données auprès de diverses sources d‟informations, d‟utiliser différents outils de collecte ; la triangulation peut aussi prendre la forme d‟une « confrontation des points de vue de plusieurs chercheurs » ou encore d‟un « retour aux participants » (Savoie-Zajc,

106 On sent généralement un besoin de justification plus fort en recherche qualitative que dans d‟autres types de recherches. Combien d‟auteurs se sentent, par exemple, obligés, en fin d‟article, dans la partie « limites », de préciser que leurs résultats ne sont pas généralisables, presque de s‟en excuser, avant d‟ajouter que ce n‟était, de toute façon, pas leur but.

2011, p. 140). Le recours à la triangulation s‟avère cohérent avec l‟esprit de la recherche qualitative, où la compréhension la plus fine possible du phénomène à l‟étude est visée par intégration d‟un maximum de points de vue. La triangulation permet ainsi une meilleure connaissance du phénomène et des enjeux ainsi que la mise en évidence des idéologies et des stratégies. Un autre moyen d‟atteindre cette crédibilité est la saturation théorique, c‟est-à-dire le moment où « […] les périodes d‟observation deviennent de moins en moins fructueuses, les données répétitives, […] la cueillette de renseignements apporte un rendement décroissant » (Deslauriers, 1991, p. 84). Quant au critère de transférabilité – « les résultats de l‟étude peuvent être adaptés selon les contextes » (Savoie-Zajc, 2011, p. 141) – il renvoie, selon moi, à la double question de la généralisation et de la représentativité. Dans une recherche qualitative, l‟échantillon n‟est pas choisi en fonction de sa représentativité statistique (ce n‟est pas un échantillon probabiliste). Est-il, pour autant, moins représentatif du problème à l‟étude ? La question se pose.

Outre qu‟elle permet une description plus fine et exhaustive de la réalité sociale, la recherche qualitative vise à découvrir, derrière les catégories administratives et statistiques, des acteurs, c‟est-à-dire des sujets possédants des ressources, capables d‟initiatives, de projets, de stratégies. Ce nouveau regard oblige à modifier le questionnement sur la pauvreté. La priorité n‟est plus de déterminer qui sont les pauvres et quels sont les facteurs de la pauvreté, mais plutôt de s‟interroger sur la façon dont on devient pauvre, sur les processus qui provoquent cette situation, sur les ressources mises en œuvre pour lutter contre cette situation et sur le rôle des mécanismes institutionnels et professionnels dans l‟évolution de ce phénomène (Groulx, 1997, pp. 62-63).

Ce que souligne Groulx à travers l‟exemple de la pauvreté, c‟est que la manière de poser le problème de la recherche qualitative permet une compréhension aussi (voire plus) riche du problème à l‟étude, qu‟une approche quantitative, sans pour autant que l‟échantillon en question soit représentatif (dans l‟exemple cité : des personnes en situation de pauvreté). Nous pourrions presque parler de généralisation thématique (à ne pas confondre avec la généralisation statistique, propre aux démarches quantitatives) : la manière d‟aborder la question et la compréhension qui s‟en dégage contribuent indubitablement à mieux comprendre des situations semblables de pauvreté. L‟inconvénient est que le terme généralisation « présuppose un contexte stable et une sorte de déterminisme qui ne se retrouve jamais dans la vie sociale » (Deslauriers, 1991, p. 102) et, pourrait-on ajouter, qui ne correspond pas à l‟esprit de la recherche qualitative. Ainsi, la notion de transférabilité « renvoie à la préoccupation de savoir si les conclusions auxquelles le

chercheur aboutit peuvent s‟étendre à d‟autres contextes que celui étudié. […], la vraie question de la transférabilité [étant] la capacité d‟une recherche (ses conclusions) de faire sens ailleurs » (Mukamurera, Lacourse et Couturier, 2006, p. 129). Ici se situe la frontière entre critères de scientificité et perspectives de la recherche. Le critère de fiabilité, enfin, porte sur la « cohérence entre les résultats et le déroulement de l‟étude » (Savoie-Zajc, 2011, p. 141), ce que Van der Maren nomme la cohérence programmatique :

Cette cohérence se définit comme une réponse au problème de la logique de l‟argumentation ou de la démonstration, reliant entre elles les différentes composantes d‟une recherche, allant de la formulation de l‟intention et des buts de recherche, en passant par la constitution, l‟analyse et le traitement des données, jusqu‟à l‟interprétation et la vérification des résultats (Van der Maren, 1987, cité dans Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1996, p. 45).

Dans la mesure où la question de l‟objectivité a déjà été abordée, je ne reviendrai pas sur le dernier critère de la confirmation.

Les critères relationnels, proposés par plusieurs chercheurs (Lincoln, 1995 ; Manning 1997), ont constitué une réponse aux reproches majeurs adressés aux critères méthodologiques énoncés plus haut, ceux « de ne pas suffisamment tenir compte de la dynamique inhérente à la recherche qualitative/interprétative » (Savoie-Zajc, 2011, p. 142), de même que son « caractère […] collaboratif et socioconstructiviste » (Anadón, 2006, p. 12). Ces critères sont liés aux questions éthiques et d‟émancipation, puisqu‟il s‟agit à la fois de s‟assurer que les « points de vue représentés dans la recherche correspondent bien aux différentes „voix exprimées‟ » (Savoie-Zajc, 2011, p. 142), et que l‟étude permet « aux participants d‟améliorer et d‟élargir leurs perceptions » du problème évoqué, voire de « passer à l‟action » (Savoie- Zajc, 2011, p. 142). Il faut s‟assurer du respect du milieu et des personnes.