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Une enquête sociohistorique pour une meilleure compréhension du terrain et du

CHAPITRE III – Méthodologie de la recherche

2. Une enquête sociohistorique pour une meilleure compréhension du terrain et du

Ma thèse s‟inscrit dans le courant sociohistorique (voir chapitre II) selon lequel tout phénomène social est le fruit d‟une évolution qu‟il faut comprendre pour mieux appréhender le phénomène lui-même ; rien n‟est là par hasard. Ainsi, une description précise et rigoureuse du phénomène doit d‟abord et avant tout être menée (de quoi parle-t-on exactement ?), de même qu‟une présentation de ce phénomène en contexte. Toute analyse devant être située, l‟analyse des données de cette enquête sociohistorique constitue ainsi une opportunité à la fois d‟assembler des éléments pertinents pour comprendre la situation à l‟étude, et d‟expliquer en quoi ils le sont. Un tel procédé implique de circonscrire le contexte et pose ainsi une question majeure : jusqu‟où faut-il aller dans les explications avancées ? Autrement dit, quels éléments contextuels faut-il inclure dans l‟analyse ?

2.1 Deux projets contributeurs

Mon enquête sociohistorique est constituée de données secondaires collectées entre 2012 et 2014 pour le compte de l‟OIF ainsi que pour l‟Ambassade de France en Chine, à des fins de publication, dans le cadre de deux projets indépendants l‟un de l‟autre, mais complémentaires. Chacun de ces projets présentaient un défi de taille, non sans rapport avec la problématique de cette thèse.

Le projet pour l‟OIF nourrissait une ambition plus large que celui pour l‟Ambassade : dans le cadre de sa publication quadri-annuelle sur la situation de la langue française dans le monde, l‟OIF souhaitait disposer d‟une « photographie » la plus complète possible de la place du français en Chine dans l‟enseignement et la recherche (le volet enseignement a été brièvement présenté à la fin du chapitre I). Or une telle étude n‟existait pas, pour au moins deux raisons. La première est qu‟une vision globale de la place du français dans l‟enseignement en Chine n‟avait jamais été tentée ; certes certains auteurs s‟étaient intéressés à la question, de même que l‟Ambassade de France en Chine, mais sans véritablement se donner les moyens d‟une telle enquête et sans nécessairement témoigner d‟une volonté systématique d‟exhaustivité dans la description de l‟offre. La deuxième raison est partiellement liée à la première : un éparpillement des acteurs institutionnels et une absence subséquente de coordination entre eux. Par exemple, l‟ACPF87 ne s‟intéresse qu‟aux programmes universitaires de français (spécialité, 法语专业), dont elle a une vision globale, mais non aux programmes universitaires

de français-deuxième langue étrangère (第二外国语), au contraire de l‟Association chinoise des

professeurs enseignant le français comme deuxième langue étrangère qui, elle, ne s‟intéresse qu‟à ces derniers et non aux premiers. Le défi de cette première étude consistait ainsi à dresser une typologie – inédite – des différents types de structures et de programmes proposant le

87 Selon Cao Deming, son président, l‟Association chinoise des professeurs de français « est à la fois une organisation d‟échanges scientifiques et une institution d‟information pour les professeurs de français des universités chinoises […] Tous les établissements d‟enseignement supérieurs qui proposent le français comme première spécialité d‟enseignement peuvent demander à y adhérer […]. Le travail de l‟ACPF (est) de promouvoir l‟enseignement du français et d‟améliorer la qualité de l‟enseignement/ apprentissage (en mettant) l‟accent sur la supervision et l‟analyse de l‟enseignement du français, ainsi que sur la recherche pour la formation des professeurs, en didactique et sur la rédaction des manuels » (Cao, 2005, p. 25).

français comme langue enseignée et / ou langue d‟enseignement88. De portée plus restreinte puisque ne concernant que les programmes universitaires de français (spécialité, 法语专业), le

projet pour l‟Ambassade de France en Chine était complémentaire du premier : il s‟agissait en effet de dresser la liste exacte des universités disposant d‟un programme de français (benke et zhuanke), ce qui constituait également un défi de taille.

Ces deux projets m‟ont non seulement permis d‟établir la liste complète des universités chinoises proposant un programme de français (spécialité, 法语专业), mais également de

disposer d‟un panorama relativement fidèle de la réalité de l‟évolution de l‟offre universitaire de français, année par année, de 1949 à nos jours.

2.2 Enquête de terrain, croisement des sources et recherche documentaire

fouillée

Dans cette section, je vais détailler la manière dont l‟enquête a été menée, mais uniquement pour la partie qui concerne cette thèse89, à savoir les programmes universitaires de français (spécialité, 法语专业). L‟objectif de cette enquête, qui était de dresser une liste exhaustive de

ces programmes en Chine, s‟est heurtée à des informations – lorsqu‟elles existaient – parcellaires, incomplètes, parfois erronées et pas toujours disponibles : la liste de l‟ACPF, bien que proche de la réalité, est par nature incomplète, car elle ne recense que ses membres ; celle du Ministère de l‟Éducation n‟est pas facilement accessible et, paradoxalement, pas nécessairement à jour ; enfin l‟Ambassade et les différents Consulats de France réalisent, depuis plusieurs années, un important travail de collecte de données sur l‟enseignement du français en Chine, ce qui leur permet certes d‟avoir une vision globale, mais dont le défaut est d‟être franco-centrée.

88 Dans certaines structures, le français est langue d‟enseignement. C‟est par exemple le cas des lycées français (qui dépendent du Ministère français de l‟Éducation nationale), des filières francophones …

Les données existantes90 – essentiellement issues de deux listes : celle de l‟ACPF91 et celle de l‟Ambassade de France en Chine – ont été, une fois obtenues, vérifiées de manière systématique par un travail rigoureux de croisement des sources. Quasiment toutes les universités ayant un programme de français (spécialité, 法语专业) ont été contactées par le biais

d‟un questionnaire de récolte d‟informations envoyé soit au / à la responsable soit à l‟un-e des enseignant-e-s du programme, comprenant des questions fermées et ouvertes, portant sur le programme lui-même, mais aussi sur la situation de l‟enseignement du français dans la province. Lorsque cela était possible, l‟entretien individuel par téléphone ou en face à face (pour répondre aux questions du questionnaire) a été privilégié au simple envoi du questionnaire par courriel, et un échange, même limité (par courriel ou par téléphone), a eu lieu dans le cas de données communiquées par écrit. En parallèle, les différents Consulats de France en Chine ont été contactés, toujours dans un souci de croisement et vérification des informations. Enfin, un accès, bien que tardif, à la liste des programmes déclarés auprès du Ministère chinois de l‟Éducation a permis de compléter ce travail de recoupement d‟informations.

Cette rigueur est justifiée autant par la taille92 et la complexité du système éducatif chinois que par la rapide évolution de la situation, en particulier en ce qui concerne l‟offre de formation ou le cadre législatif. Elle se justifie également par ma volonté de disposer d‟une photographie la plus nette possible de la situation présente et passée. Autrement dit, cela répond au souhait de ne pas baser l‟analyse sur de l‟à peu près.

Afin de compléter les informations parcellaires, d‟en vérifier d‟autres et plus généralement de combler les manques (quand cela était possible), une recherche documentaire a été menée, et s‟est avérée particulièrement fructueuse concernant certains éléments historiques. Les documents consultés ont été ceux produits par l‟ACPF, notamment l‟Enquête générale menée en 2009 ainsi que les enquêtes régionales commandées par la suite, de même que les documents produits par l‟Ambassade et les Consulats de France en Chine, qui peuvent être

90 L‟assemblage de ces informations s‟est étalé sur plus de deux ans et a bénéficié de l‟aide de plusieurs assistants de recherche.

91 Document remis chaque année aux participants du séminaire annuel organisé par l‟ACPF.

déclinés en deux catégories : ceux rendus publics (sur le site de l‟Ambassade) et ceux auxquels j‟ai eu accès dans le cadre de la réalisation de ces deux projets (notamment les résultats des enquêtes annuelles sur la situation de l‟enseignement du français en Chine). Parallèlement, afin de mieux cerner l‟histoire mouvementée de nombreuses universités chinoises depuis 1949 et des programmes de français qu‟elles abritaient93, des recherches sur leur site internet ont été menées et des enseignants de ces universités ont été contactés directement, au besoin, pour éclaircir certains points, au cas par cas. Enfin, la consultation d‟ouvrages spécialisés, notamment ceux de l‟équipe de Ruth Hayhoe sur les universités chinoises, ainsi que de nombreux travaux académiques, rédigés surtout en français, mais aussi en chinois, sur l‟enseignement du français en Chine (thèses de doctorat, mémoires de maîtrise, articles scientifiques) a autant permis d‟élargir cette collecte d‟informations que de cerner et circonscrire le contexte. J‟ai bien conscience que pour certains lecteurs les écrits évoqués dans cette sous-section devraient être placés dans la partie « Références » et non dans la partie « Méthodologie ». Il s‟agit pourtant ici d‟un choix épistémologique fort : ces discours académiques posent un cadre historiographique que je tiens précisément à interroger, comme j‟ai commencé à le faire dans le chapitre I. Autrement dit, je souhaite confronter la vision du contexte et des enjeux présente dans ces écrits à celle qui ressort de mes propres analyses, conformément à la définition du contexte esquissée dans les chapitres I et II : le contexte n‟est pas un cadre « tombé du ciel » qui s‟imposerait au chercheur et au lecteur sans engagement ni de l‟un ni de l‟autre. Le contexte traduit en effet une vision proposée par un chercheur lorsque celui-ci définit les limites de son territoire-problématique. Les éléments contextuels (ndlr : les éléments qui comptent dans une situation donnée, les grandes tendances, les raisons des évolutions constatées…) mis en avant par différents auteurs sont discutables, dans le sens où la vision qu‟ils proposent peut être objet de débat.

93 Les aléas historiques nombreux (voir chapitre IV) ont parfois rendu difficile la traçabilité de ces programmes de français sur un temps long.

3. Des entrevues avec des acteurs de terrain pour une co-