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Les enjeux du dispositif KM au sein de la branche Ciment

3. Évolution du dispositif de gestion des connaissances (1983-1997)

4.1. Qu’est-ce qu’un expert ?

. Nous allons brièvement présenter les définitions les plus répandues du terme d’expert, avant de décrire le sens particulier que prend ce terme dans la Branche Ciment et la façon dont les carrières de l’expertise sont gérées.

4.1.1 Définition générale

Le dictionnaire Le Petit Robert (édition 1996) définit l’adjectif expert comme « qui a, par l’expérience, par la pratique, acquis une grande habileté ». Quand au nom d’expert, il est synonyme de spécialiste. Il s’agit d’une « personne choisie pour ses connaissances techniques et chargée de faire des constatations, des évaluations à propos d’un fait, d’un sujet précis. »

L’expérience, la pratique dont découle la connaissance sont au cœur de la définition de l’expert. Pomian et Roche (2002 : 322-323), citant Trepos (1996), soulignent la proximité étymologique des termes « épreuve » et « expérience »

« En effet, l’origine latine du terme « expert » renvoie à « expérience », c'est-à-dire à « épreuve ». L’expert c’est celui qui a éprouve (expertis), qui a affronté des dangers (experitii) et qui est capable de surmonter passions et idéologies. »

Ce détour étymologique permet aux auteurs de considérer que la connaissance dans l’organisation se crée au cours des épreuves, c'est-à-dire, une situation au cours de laquelle on ne peut pas reconduire à l’identique une solution existante.

Plus généralement, dans les organisations, la notion d’expert renvoie à « un degré de maîtrise particulièrement élevé d’un domaine de compétences ». (Gastaldi et Gilbert, 2008 :3). On peut donc rencontrer des experts dans tous les domaines d’activités et dans toutes les fonctions d’une organisation. La population des experts peut selon les organisations présenter une diversité importante quant à la qualification des individus (des ingénieurs et des docteurs, mais aussi des techniciens et des ouvriers hautement qualifiés), au contenu de l’activité de ces

160 experts, au contexte organisationnel et à l’identité professionnelle des individus. (Gastaldi et Gilbert, 2008 : 4).

Gastaldi et Gilbert distinguent deux grandes acceptations du terme expert, les deux pouvant parfois être mêlées:

- Un niveau de compétences: l’expert comme professionnel d’une activité scientifique et technique ayant atteint un haut degré de maîtrise de son domaine de compétences. C’est la situation emblématique de la catégorie

- Une activité : l’expert comme professionnel d’une activité d’expertise.

Hatchuel et Weil (1992 :85) notent également « l’ubiquité sans limites du concept d’expert : tout le monde serait expert ou personne ».

« Il faut donc nécessairement en revenir, à chaque cas, aux contenus des savoirs des acteurs, à l’histoire de leur formation, à leur valorisation et à la manière dont ces mécanismes délimitent des perceptions, des rôles ou des positions, en bref prennent un sens dans un réseau de relations.

Après tout, l’histoire des entreprises est aussi l’histoire de métiers qui naissent et

disparaissent, de formes de savoirs hier inacceptables et aujourd’hui reconnues.[…] Dans l’identification d’un expert, il y a d’abord un jeu qui s’organise entre la validité d’un savoir et son acceptabilité dans l’action collective. Il y a aussi la manière dont ce savoir peut être partagé, donc transmis et diffusé. » (Hatchuel et Weil, 1992 : 85)

Les compétences et les savoirs requis par l’activité, le réseau de relations dans lequel s’insère l’expert, contribue à forger son identité professionnelle.

4.1.2 Dynamique identitaire

Sardas et Lefebvre (2004 : 275) soulignent l’importance des dynamiques identitaires aux côtés des dimensions stratégiques et cognitives afin de rendre compte de la dynamique des acteurs dans une organisation. Sur le plan des dynamiques identitaires, certains blocages organisationnels peuvent être lus comme un déplacement identitaire, c'est-à-dire un décalage entre une offre identiaire (le rôle proposé qui est une identité virtuelle) et une demande identitaire (identité pour soi visée par l’individu). Pour les auteurs, la dynamique globale d’un acteur repose sur le renforcement mutuel de trois dynamiques partielles (Sardas et Lefebvre, 2004 : 276-277) :

- Dynamique partielle de savoir (maîtrise cognitive de l’activité) : son activité de travail lui permet d’utiliser ses connaissances et lui offre l’occasion de les

développer de façon continue ;

- Dynamique partielle de pouvoir (statut et reconnaissance dans l’organisation) : la définition formelle des rôles comme les relations informelles avec les autres

161 acteurs lui apportent une réelle reconnaissance de sa valeur et de ses apports, en rapport avec la réalité de son travail.

- Dynamique partielle de plaisir (subjectivité de l’implication personnelle) : l’activité de travail et les relations associées conduisent à une forte résonnance symbolique pour l’individu ; le travail a du sens pour l’individu et s’inscrit dans une trajectoire identitaire satisfaisante.

Ces trois dynamiques fonctionnent sur le principe de renforcement mutuel : tout blocage de l’une et de l’autre de ces dynamiques partielles entraînera à plus ou moins brève échéance un blocage de la dynamique globale, et donc un blocage des deux autres dynamiques partielles.

Nous allons à présent nous tourner vers la définition de l’expertise dans la Branche Ciment. Nous verrons ensuite au travers des pratiques des experts des Centres Techniques comment ces derniers font sens de leur identité d’expert.

4.1.3 La définition des experts dans la Branche Ciment

Mon premier est un objectif de performance, Mon deuxième un parcours qui fait référence, Mon troisième un capital de compétences…

Et mon tout, l’expertise, doit être géré avec méthode et pertinence. (Guide de l’expertise technique cimentière, Lafarge, 2000 : 7)

Comme dans la plupart des organisations (Gastaldi et Gilbert, 2008), la notion d’expertise dans la Branche Ciment est étroitement liée à celle de compétences. Ainsi, la fonction Ressources Humaines de la Branche a développé diverses pratiques de gestion des compétences dans une optique de stimuler les compétences individuelles (Defélix, 2003) des experts. Ces pratiques sont une configuration hybride, à mi-chemin entre la gestion des ressources humaines traditionnelles et la gestion des compétences (tableau 18). Elles sont détaillées dans le « Guide de l’expertise technique cimentière », document interne publié en 2000.

TABLEAU 18:COMPARAISON DES PRATIQUES DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES TRADITIONNELLES ET DE GESTION DES COMPÉTENCES (DEFÉLIX,2003)

Gestion des ressources humaines traditionnelle Gestion des compétences

162

générique

Acquérir les ressources humaines

Définir les postes à

pourvoir. Décrire les tâches et les qualifications requises. Repérer le diplôme des candidats.

Acquérir les compétences

Spécifier les compétences requises aujourd’hui et demain, au-delà de l’organisation actuelle. Repérer les compétences effectivement détenues par les candidats, au travers d’essais professionnels ou de mises en situation.

Stimuler les ressources humaines

Classifier les emplois dans une logique de poste. Faire reposer la

rémunération sur le poste occupé.

Évaluer la tenue du poste et l’atteinte des objectifs. Proposer un parcours de carrière au sein d’une échelle préétablie.

Stimuler les compétences

Introduire le repérage des compétences détenues pour élaborer la classification. Faire reposer tout ou partie de la rémunération sur les compétences détenues et/ou mises en œuvre.

Évaluer les compétences détenues et développées, en lien avec un référentiel ad hoc.

Réguler les ressources humaines

Adapter les paramètres organisationnels (temps et organisation du travail) et faire évoluer les salariés en fonction de ceux-ci. Mener une politique de formation professionnelle continue.

Établir une gestion

prévisionnelle des emplois.

Réguler les compétences

Faire évoluer les paramètres organisationnels, et

notamment l’organisation du travail, en fonction d »des compétences détenues et de leur évolution (organisation qualifiante).

Mener une stratégie de développement des

compétences individuelles et collectives.

Passer d’une gestion

prévisionnelle des emplois à une gestion anticipée des compétences.

Dans la Branche Ciment, l’expertise technique s’articule autour de trois filières métiers : l’exploitation, le support technique et la recherche et développement. Chaque filière métier permet le développement des compétences. Le guide de l’expertise technique

cimentière insiste sur l’importance de construire un profil varié qui passe par des fonctions opérationnelles, la pratique du management transversal, l’affection à l’international et des temps de formation (p.44)

163 « Du développement des compétences par domaines au développement des compétences par filières de métiers, l’expertise de haut niveau se construit au fil d’un parcours diversifié et qualifiant qui offre de nombreuses ouvertures. » (p.9)

Ici, nous nous intéressons à la filière support technique. En effet, dans la vision commune, l’expertise est avant tout un statut, associé à la fonction de support technique. Ainsi, seuls sont appelés experts21, les ingénieurs des Centres Techniques et de la DPC. Si un expert rejoint une unité opérationnelle, il perdra son titre d’expert, même s’il possède toujours les mêmes connaissances et compétences.

La Branche Ciment a référencé 16 domaines d’expertise. Ils représentent l’ensemble des connaissances et des techniques nécessaires pour exploiter et optimiser les étapes du procédé de fabrication et la qualité du produit.

FIGURE 17 :LE PROCESSUS DE PRODUCTION DU CIMENT

Les domaines d’expertise peuvent être regroupés en trois grandes catégories qui correspondent aux trois départements principaux de l’usine : Production et Procédés, Maintenance, Qualité du produit.

La filière expertise technique cimentière propose cinq paliers de professionnalisation et de perfectionnement. Ils se distinguent en fonction de la complexité des sujets traités et de l’apport stratégique de l’expertise. Pour chacun d’entre eux, ont été définies les compétences

21 Ce titre est officieux. Il est utilisé oralement pour désigner les ingénieurs de Centres Techniques ou de la DPC, mais il ne figure pas sur les cartes de visite par exemple. Par contre, le réseau d’experts est l’appellation

164 techniques mais aussi comportementales, notamment la capacité à formaliser les savoir-faire et à les transférer. Le premier palier démarre à l’usine avec l’ingénieur spécialiste junior, le dernier palier est celui de directeur d’expertise DPC.

Encadré n°4 : Les cinq paliers de l’expertise technique

Source : Guide de l’expertise technique cimentière, 2000, p.43 1. Usine : Ingénieur spécialiste junior

2. Centre Technique : Ingénieur d’assistance confirmé

3. Centre Technique : Ingénieur d’assistance senior (expert confirmé) 4. Centre Technique : Directeur de département d’expertise

5. DPC : directeur d’expertise