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Appropriation : atteinte lorsque le récepteur utilise de façon autonome et satisfaisante la connaissance transférée

Domaine de la recherche, la gestion des connaissances : Origines, approches, tensions

5. Appropriation : atteinte lorsque le récepteur utilise de façon autonome et satisfaisante la connaissance transférée

FIGURE 3 :LES ÉTAPES DU PROCESSUS DE TRANSFERT, ADAPTÉ DE SZULANSKI,1996.

Dans cette logique, le transfert de connaissances est appréhendé comme un processus linéaire, balisé dans le temps. Le schéma emprunte aux modèles de communication en représentant le transfert comme un échange dyadique entre une source et un récepteur identifiés. L’hypothèse faite est que la connaissance peut être isolée de son contexte,

objectifiée et transférée au récepteur sans que celui-ci ait besoin d’interagir avec l’émetteur. Certes, les auteurs reconnaissent que dans la réalité le transfert des connaissances n’est pas

Source Initialisation Adaptation Application Acceptation Appropriation Récepteur(s)

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 30 aussi simple que ne semble le décrire le schéma. Mais pour Szulanski (1996) par exemple, les difficultés ne proviennent pas de résistances d’ordre socio-cognitif (faible motivation des acteurs), mais plutôt de la nature « collante » (sticky) de la connaissance, puisque la

circulation et l’usage des connaissances sont affectés par divers coûts d’accès, d’acquisition et d’intégration. Le concept de viscosité (stickiness) englobe ainsi toutes ces barrières au

transfert des connaissances intra-organisationnelles qui en ralentissent le processus. La capacité d’absorption par l’unité réceptrice est considérée comme le facteur majeur de viscosité des connaissances.

1.3.3 Stratégies de gestion des connaissances

Dans les organisations, la dualité tacite/explicite se traduit par des approches

différentes de gestion des connaissances. Ainsi, Hansen, Nohria et Kierney (1999) distinguent deux stratégies KM, l’une fondée sur une logique de codification, l’autre sur une logique de personnalisation.

L’approche codification relève d’une perspective objectiviste de la connaissance. Celle-ci peut être isolée en différents ‘objets’ de connaissance, explicitée et codifiée. Comme nous l’avons vu, elle peut être transmise selon un schéma simple de communication :

Émetteur → transmetteur (technologie) → récepteur.

La technologie joue un rôle clé dans cette approche. Historiquement, les premières initiatives de gestion des connaissances dans les organisations reposent sur la codification des

connaissances (Hislop, 2005). Earl (2001) qualifie cette approche de technocrate et distingue trois écoles : systèmes, cartographie, ingénierie. La philosophie de l’école systèmes repose sur « la codification d’une connaissance spécifique par domaine. Sans les technologies de

l’information, l’école systèmes n’est pas possible. Les systèmes informatiques qui captent, stockent, organisent et présentent la connaissance issue de l’expertise et de l’expérience, sont les moteurs» (Earl, 2001 : 220). Cette approche se base sur la codification de ce qui devient la connaissance officielle, la validation de cette connaissance joue donc un rôle essentiel. » (Earl, 2001, p.219).

A l’inverse, l’approche personnalisation reconnaît la nature tacite et sociale de la connaissance. C’est en favorisant les échanges de personne à personne que la connaissance peut être partagée et de nouvelles connaissances créées. Ici, les technologies jouent un rôle moindre. Les outils (annuaires, forum) doivent avant tout faciliter les interactions entre les individus.

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 31 2. La gestion des connaissances dans les organisations

Alvesson (1993) analyse l’émergence du KM comme étant la rencontre de deux mouvements : celui impulsé par la communauté académique et des consultants pour imposer de nouveaux concepts, et celui initié par des organisations en quête d’identité et confrontées à des problèmes d’image. C’est en situant l’essor du KM dans son contexte que cette remarque prend tout son sens.

2.1. Le contexte

Entrée dans la mondialisation et dans une société post-industrielle

Dans les années 1990, les organisations entrent dans l’ère de la mondialisation. Si l’internationalisation n’était n’est pas un phénomène nouveau, ce qui change c’est la rapidité et l’intensité des échanges rendus possibles grâce au développement des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), et l’interdépendance accrue entre des marchés désormais mondialisés. L’apparition des TICS concrétise aussi pour beaucoup l’avènement d’une société post-industrielle, annoncé par Bell dès 1973. Drucker (1993) salue ainsi l’entrée dans la société de la connaissance :

« The basic economic resource… is no longer capital, nor natural resources…, nor ‘labour’… It is and will be knowledge. » (Drucker 1993, 7).

Pomian et Roche (2002) notent l’évolution de la nature du travail, dont l’origine rappellent-ils vient du mot latin tripallium, un instrument pour esclaves. D’une représentation avant tout physique du travail, celui-ci a évolué vers une dimension essentiellement

intellectuelle : discussion, rédaction de documents, transmission d’informations. L’outil de travail est presque partout le même : un micro-ordinateur, un téléphone et quelques outils de documentation. Ainsi dans l’industrie, l’automatisation des tâches oriente le travail humain vers deux fonctions essentielles (Pomian et Roche, 2002, p. 14) :

- la gestion du système productif où l’ouvrier contrôle la bonne marche d’un process ou pilote l’activité d’une machine robotisée ;

- la conception des produits, dans la mesure où leur renouvellement devient un enjeu concurrentiel majeur.

Pour les auteurs, la mutation vers un travail centré sur la connaissance pose une question à l’entreprise : comment peut-elle, tout en gardant son efficacité, évoluer dans le cadre d’un travail dématérialisé ?

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 32 Des outils qui rendent possible l’essor du KM

Si les concepts de management et de connaissance sont anciens, leur association dans l’expression knowledge management est liée à l’émergence des technologies comme Internet, les intranets, le courrier électronique qui permettent d’interagir quasiment en temps réel quelque soit la distance physique (Alvesson et Karreman 2001 : 995-996). Cette mise à distance du temps et de l’espace est l’une des caractéristiques de la modernité selon le sociologue Anthony Giddens (1990). De même pour Tsoukas (1999 : 502),

«It is the ability for the systematic coordination of ‘absent’ others and, therefore, for action at a distance, that is the most enduring feature of modern organizations.7»

Ces nouvelles possibilités technologiques sont relayées par le développement d’une offre de prestations par les cabinets de conseil et les sociétés de services informatiques, comme le souligne Denis Segrestin (2004 : 273-274) :

« Les sociétés de conseil en stratégie et les grands opérateurs de l’ingénierie informatique ont bâti le marché du KM (le Knowledge Management). […] Avec l’irruption de l’Internet, tous les ingrédients du succès ont paru réunis : une cause puissante (la lutte pour l’intelligence des firmes face aux excès de la nouvelle hygiène industrielle) ; une théorie générale (celle de l’organisation « hypertexte ») ; un dispositif à la mesure de l’ambition (les ressources infinies de connexion offertes par les technologies de l’information). Il ne restait plus qu’à combiner ces forces et à les faire descendre du firmament des idées jusqu’au terrain. »

2.2. Le KM, une mode managériale

Ainsi le nouveau contexte stratégique et organisationnel, tout comme le développement des technologies de l’information et de la communication vont favoriser l’émergence d’un discours sur l’importance du « capital connaissance » de l’entreprise et le déploiement d’une offre commerciale d’outils permettant de gérer les connaissances.

Le KM apparaît alors à la fois comme une réponse managériale aux problèmes de globalisation et de restructuration des entreprises, et comme le reflet de la prise de conscience de l’importance des actifs immatériels de l’entreprise (Swan et Scarbrough, 2001). Son apogée vers la fin des années 1990, marquée par la publication de nombreux ouvrages et articles sur le sujet et par la mise en place d’initiatives KM dans de nombreuses entreprises8,

7La possibilité de coordination systématique entre des personnes absentes physiquement, et par conséquent, d’action à distance, est le trait le plus fort des organisations modernes (notre traduction).

8 En 1998, une étude KPMG auprès des 100 plus grandes firmes britanniques a montré que 43 % mettaient en place des initiatives de gestion des connaissances. En 2002, une enquête mondiale auprès de 8.504 participants a montré que 62 % des entreprises à travers le monde utilisaient des outils de Knowledge Management (Source : D. Rigby, B. Bilodeau, Management tools and trends 2007, Bain & company.)

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 33 semble confirmer la vision du KM comme mode managériale (Swan et Scarbrough, 2001). Le « boom » du KM est accompagné par un processus d’institutionnalisation du champ (Raub et Rüling, 2001 : 124) avec ses conférences spécialisées, ses journaux comme le Journal of knowledge management, ses règles (Best Practices, études de cas comparatives), ses instruments de régulations (outils d’évaluation du KM), et ses clivages (Systèmes d’Information versus Ressources Humaines).