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L’accès au terrain et construction itérative de la question de recherche Le point de départ de cette recherche est une convention CIFRE signée en Septembre Le point de départ de cette recherche est une convention CIFRE signée en Septembre

La démarche de recherche : Épistémologie et méthodologie

1. L’accès au terrain et construction itérative de la question de recherche Le point de départ de cette recherche est une convention CIFRE signée en Septembre Le point de départ de cette recherche est une convention CIFRE signée en Septembre

2005 avec la direction technique de la Branche Ciment du groupe Lafarge, la Direction des Performances Cimentières (DPC) basée en région lyonnaise. Je connaissais déjà le site pour avoir effectué mon mémoire de DEA sur ce même terrain. Dans ce premier travail de recherche, j’avais cherché à identifier les effets de l’internationalisation du groupe sur son mode de management17 et, parmi les pistes de recherches futures esquissées dans la

conclusion, je mentionnais l’enjeu du transfert des bonnes pratiques. Cet enjeu est essentiel pour le groupe, qui voit dans le partage des connaissances le moyen d’améliorer les

performances de ses unités à travers le monde. Quelque temps plus tard, c’est la mise en place d’un nouveau programme de gestion des connaissances qui me donne l’occasion de rejoindre la DPC en tant que doctorante CIFRE. Intégrée à l’équipe gestion des connaissances

cimentières de la DPC (Cement Know-How Centre ou CKHC), j’ai pour mission opérationnelle de proposer une structure plus claire des connaissances techniques déjà codifiées sous la forme de Best Practices et d’améliorer la qualité rédactionnelle de ces documents. Ces missions s’inscrivent dans le cadre de la migration des bases de

connaissances techniques existantes vers un portail web (projet « webisation »). Quant à ma question de recherche, elle est alors définie comme : « comprendre comment s’opère la transformation culturelle du rapport à la codification dans la mise en œuvre d’un programme de gestion des savoirs » (source : Rapport de thèse CIFRE, 2005). Une formulation du directeur de thèse qui a pour objectif de signifier à l’entreprise l’autonomie du projet de recherche par rapport aux besoins de l’entreprise.

17 Isabelle Corbett (2004), « Les défis de l’internationalisation : Continuité et changements dans le management du groupe Lafarge », Mémoire de DEA Management des Activités Internationales, Université Lyon III.

Isabelle Corbett - Thèse de doctorat 108

Encadré n°2 : La DPC, le CKHC

La Direction des Performances Cimentières a pour objectif de « guider la communauté technique vers l’optimisation des performances des usines et le développement des

connaissances techniques » (intranet Lafarge). La DPC regroupe les différentes expertises de la Branche Ciment sur lesquelles elle fonde son excellence technique : Procédés,

Maintenance, Produits et Qualité, environnement, investissements,…,

Au sein de la DPC, le CKHC est responsable de la gestion des connaissances cimentières. En 2005, le CKHC compte huit personnes. Ses missions principales sont :

- Analyser les performances industrielles de la branche Ciments et publier un reporting annuel. (2 personnes)

- Développer, mettre à jour et diffuser les savoirs et savoir-faire sous forme de documents et bases de connaissances. (2 personnes)

- Veille technologique (2 personnes)

- Communication technique et traduction (2 personnes)

1.1. Co-construction terrain-recherche

La première année du doctorat est consacrée essentiellement à mon intégration sur le terrain de recherche. Je consacre trois à quatre journées par semaine à mes missions

opérationnelles à la DPC. Là, je rencontre les directeurs d’expertise DPC afin de comprendre quels sont leurs attentes et leurs besoins concernant le nouveau Portail Ciment qui présentera l’ensemble des connaissances codifiées que chaque directeur d’expertise à développé avec son réseau d’experts. Je travaille aussi avec les auteurs des Best Practices afin d’améliorer la qualité rédactionnelle de ces documents, et ainsi leur compréhension. Enfin, je me familiarise avec les bases de connaissances existantes, disponibles sur une infrastructure Lotus Notes et regroupées en un Portail Technique. J’assiste à de nombreuses réunions entre les membres de l’équipe CKHC et les directeurs d’expertise. Il s’agit de définir quelle sera l’architecture des différents domaines d’expertise technique (Procédés, Maintenance, Qualité) et au sein de cette arborescence, comment seront structurés les contenus des différents documents.

Cette structuration des connaissances et des contenus constitue mon objectif

opérationnel. Je m’appuie sur mes lectures en knowledge management et les préconisations d’une consultante en gestion des connaissances appelée à participer à la définition du Portail Ciment, afin de proposer différents modèles de structuration. Ces propositions sont ensuite débattues, négociées, modifiées avec les directeurs d’expertise. Les difficultés observées dans la négociation collective d’un modèle de codification, comme le recours fréquent de mes interlocuteurs à la notion d’obligation, m’amènent à orienter mes lectures vers les rapports de

Isabelle Corbett - Thèse de doctorat 109 prescription (Hatchuel, 1994) et les jeux autour de la régulation (Reynaud, 1989). Je consigne mon vécu quotidien au CKHC et mes observations dans un journal de bord.

1.2. Le terrain comme déclencheur de la démarche de recherche

Si pour l’heure, ma question de recherche reste encore confuse, je pallie mon manque de théorisation par l’immersion dans l’action. Les défauts du système actuel de codification des connaissances me paraissent évidents, mais je partage l’opinion du directeur du CKHC pour qui le projet de migration technologique est une opportunité pour faire table rase du passé et relancer une initiative de gestion des connaissances sur de bonnes bases.

« On efface toute l’histoire [avec le projet webisation]… c’est une révolution ! On repart de zéro » (journal de bord)

Avec enthousiasme, je rédige des recommandations pour la rédaction des documents et la structuration des connaissances. Je cherche à prendre en compte les besoins des

utilisateurs : convivialité, simplicité. Mais bientôt, le doute s’installe. En consultant les archives internes de la DPC, je découvre des documents publiés à la fin des années 1990 qui font déjà le même diagnostic sur les faiblesses du partage des connaissances dans la Branche Ciment et qui font des préconisations en tout point semblables aux miennes.

A la lumière de ces documents, je comprends mieux l’attitude souvent désabusée de certains de mes interlocuteurs : ils ont déjà entendu tout cela avant, et savent que « ça ne marchera pas ». De ma posture de Candide, je bascule vers celle d’un Zarathoustra : «Toutes les choses reviennent éternellement, et nous-mêmes avec elles. Tout s'en va, tout revient ; éternellement roule la roue de l'être. Tout meurt et tout refleurit, éternellement se déroule l'année de l'être.» (Nietzche, Ainsi parlait Zarathoustra)

La gestion des connaissances dans la branche Ciment ne serait-elle qu’un éternel recommencement ?

Je me pose alors deux questions :

1. Comment expliquer la dérive entre les principes de gestion des connaissances affichés et la réalité du projet de gestion des connaissances ?

2. Comment faire en sorte que la même dérive ne se reproduise pas cette fois-ci ?

Ces questions m’incitent à plonger dans l’histoire de la gestion des connaissances dans la Branche Ciment, en remontant le temps jusqu’à l’apparition du besoin de gérer les

connaissances, formalisée par la création du CKHC en 1983, puis à la première véritable initiative de gestion des connaissances en 1997.

Isabelle Corbett - Thèse de doctorat 110 Mon questionnement et ma démarche « collent » au processus de gestion des

connaissances observé sur le terrain. Il s’agit d’un processus linéaire et hiérarchique, basé sur un modèle de communication émission => transfert => réception. Ainsi, l’initiative de

codification des connaissances émane du centre (la DPC), une fois les connaissances codifiées, la seconde étape fait intervenir les acteurs du transfert des connaissances - les experts

régionaux appelés à diffuser ces connaissances auprès des usines, puis, il revient aux usines à mettre en œuvre ces connaissances.

Mes zones d’observation vont évoluer au rythme du processus de gestion des connaissances. De façon schématique, la première année d’observation-participante se focalise sur le centre avec la co-construction d’un modèle de codification des connaissances par les directeurs d’expertise et le CKHC. La seconde année, mon regard se tourne vers les acteurs régionaux du transfert des connaissances. Je m’intéresse au rôle de médiateur entre le centre et la périphérie que jouent les experts des directions techniques régionales18. Enfin, avec la troisième année vient le temps de s’intéresser aux pratiques des utilisateurs du modèle de codification: le personnel opérationnel en usine.

Ainsi, ma démarche d’investigation se construit de manière itérative, avec de

nombreux allers-retours entre le terrain et la théorie, chaque unité d’observation amenant de nouvelles réflexions et considérations théoriques. Au-delà, cette recherche se caractérise par sa nature dynamique : il y a un glissement du regard qui d’abord focalisé sur le centre se déplace progressivement pour englober une perspective régionale, puis locale.

18 Afin d’être au plus proche des besoins des usines, des Centres Techniques sont implantés dans chaque grande région géographique du monde : Asie, Amériques, Europe Centrale et Orientale, Europe-Afrique.

Isabelle Corbett - Thèse de doctorat 111 FIGURE 12 :RÉSUMÉ DE MES QUESTIONNEMENTS ISSUS DU TERRAIN ET DÉPLACEMENT DES ZONES DOBSERVATION DANS LE TEMPS.

1 9 9 7 2 0 0 5 - 2 0 0 6 C e n tr e D P C /C K H C 2 0 0 8 2 0 0 7 R é g ion s C T /u s in e s L o c a l C T /u s in e s 1 9 8 3 C o m m e n t s ’é la bo r e la c o n ce p tio n du m o d è le d e c o d ific a tion ? Q u e lle s s tr a té g ie s d e tra n s fe rt d e s c o n n a is sa n c e s ? C o m m e n t le s u s in e s r é a g is s e n t- e lle s à l’in jo n c tio n d e m is e e n œ u v re d e s c o n n a is sa n c e s ?