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Domaine de la recherche, la gestion des connaissances : Origines, approches, tensions

5. Synthèse : les bonnes pratiques du KM

5.2. Évaluer la pertinence des démarches de gestion des connaissances

Afin d'identifier les déterminants de la performance des démarches de gestion des connaissances en relation avec les contextes organisationnels et d’autre part, de débusquer dans les pratiques des entreprises françaises les difficultés d’introduction des outils, les écueils des démarches de gestion des connaissances et les bonnes pratiques développées, Mounoud et al. (2003) ont établi un cadre conceptuel et heuristique permettant d’apprécier la pertinence et la qualité d’appropriation des projets KM. Inspirés par le modèle du learning mix développé par Métais et Moingeon (2001), ils associent quatre perspectives pour le déploiement des démarche KM et quatre figures d’acteurs de la gestion des

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 46 des ressources humaines, la direction de la communication et les directions opérationnelles (ou business units)- afin de construire huit indicateurs de pertinence.

Quatre modes de gestion

Inspiré du modèle du learning mix (Métais et Moingeon, 2002), Mounoud et al. (2003) retiennent quatre approches de la gestion des connaissances :

- La gestion des informations : il s'agit des systèmes d'information, de leur support informatique (architectures techniques et solutions logicielles) et des informations qui y sont stockées, traitées, diffusées. Ce mode de gestion s’inscrit dans une logique des facteurs (ou "techno-logique" selon l’expression de

Martinet, 1984), c'est-à-dire l'ensemble des moyens technico-économiques mobilisés par l'entreprise dans un objectif donné.

- La gestion des incitations repose sur une logique des acteurs ou socio-logique (Martinet, 1984). Les acteurs sont les individus ou les groupes d'individus qui, dans leur situation de travail, sont confrontés à l'impératif de transfert et de partage de leurs connaissances. Dans la perspective de l’analyse stratégique (Crozier et Friedberg, 1977) les situations de travail construisent des zones d'incertitude mobilisées par les acteurs dans leurs comportements de façon stratégique. La gestion des incitations conduit les acteurs à choisir

rationnellement des stratégies d'échange d'informations ou mieux de coopération. Ces deux premiers modes de gestion (information vs incitations) renvoient à la tension entre les logiques de codification et de personnalisation (Hansen, Nohria & Thierney, 1999).

- La gestion du capital de connaissances : il s’agit du portefeuille de connaissances nécessaire à la constitution de compétences clés (Hamel et Prahalad, 1990). Cette approche relève de la stratégie.

- La gestion des situations d’interaction : il s’agit de la structure apprenante, et de la façon dont celle-ci est organisée : Les modes d'organisation déterminent en grande partie, parfois de façon implicite, qui rencontre qui, à quelle occasion et avec quel agenda ; ils constituent une gestion de fait des situations d'interaction et sont donc déterminants dans la création et le partage des connaissances.

Dans la pratique, le déploiement effectif d’une démarche KM emprunte à ces quatre pôles, même si une logique dominante n’est pas exclue.

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 47 Quatre intervenants des démarches KM

Au sein d’une organisation, les porteurs d’un projet de gestion des connaissances peuvent être la direction des systèmes d’information (DSI), la direction des ressources humaines (DRH), la direction de la communication (Com’) et les directions opérationnelles (business units ou BU). Chacune de ces figures d’acteurs a une représentation différente de la connaissance.

Pour les opérationnels, elle est synonyme « d’expérience », voire d’expertise. Pour le responsable de ces opérationnels, il s’agit avant tout des « ressources » dont il a la charge : des hommes, mais aussi des procédures, des normes. Pour la DRH, la connaissance est avant tout lié à la « fonction », les connaissances sont avant tout individuelles et nécessaires (ou pas) à la retenue d’un emploi qualifié et encadré dans une structure. Enfin pour la DSI comme pour la communication, mais avec des inflexions très différentes, c’est avant tout une question d’ « information » et les solutions apportées sont du coté des « outils » : portail, système de gestion électronique de données (GED).

Huit indicateurs de pertinence

La combinaison des quatre modes de gestion et des quatre figures d’acteurs permet à Mounoud et al. de déduire huit critères de pertinence des démarches de gestion des

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 48 FIGURE 5: LES HUIT ZONES DE PERTINENCE DE LA DÉMARCHE DE GESTION DES CONNAISSANCES DÉFINIES PAR LES QUATRE ACTEURS ET LES QUATRE LOGIQUES (MOUNOUD ET AL.,2003)

DIR COM’

Vers une gestion du capital de connaissances

Compétences BU SOCIO-LOGIQUE ou logique des acteurs Zones d’incertitude stratégies d’acteur

Vers une gestion des incitations

ORGANISATION

Processus Structure

STRATEGIE

Vers une gestion des situations d’interaction TECHNO-LOGIQUE ou logique des facteurs Information Informatique DSI Vision

Vers une gestion des informations

1 2 3 4 5 6 7 8 DRH

Cette figure permet aux auteurs de formuler huit champs de questionnements : 1. Le lien entre les domaines de connaissances et les activités existe-t-il, par

exemple par le repérage des domaines de connaissances qui fondent les compétences clés, dans le cadre du processus de planification stratégique ? 2. Les modes de fonctionnement par exemple en terme de flexibilité

organisationnelle (gestion par projet) améliorent-ils le capital organisationnel, c'est à dire la capacité à coordonner, combiner les savoir-faire, capitaliser les apprentissages individuels en une compétence collective et renforce-t-il les difficultés d’imitation du capital humain de l’entreprise ?

3. Les dispositifs d’évaluation, de rémunération, de gestion des carrières et de communication interne sont-ils des incitations au partage et à la coopération, ou au minima ne créent-ils pas des freins pour les acteurs ?

4. La GRH contribue-t-elle à alimenter le capital humain en ressources rares, créatrices de valeur (recrutement), à prévenir les risques d’obsolescence de ces

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 49 mêmes ressources (formation), à garantir leur permanence via des stratégies de fidélisation (relations sociales, développement de l’employabilité) ?

5. Les choix d’organisation contribuent-ils à renforcer les occasions d’interaction entre les porteurs de connaissances, inter et intra domaines, par exemple par la promotion des communautés de pratique ou des groupes de travail ?

6. Existe t il des processus organisés de communication des informations voire des connaissances tacites avec une capitalisation sur les bonnes pratiques par exemple par le biais d’une entité dédiée à la gestion des connaissances ? 7. Architectures et solutions informatiques sont-elles suffisantes et appropriées ?

Alimentent-elles de façon pertinente la logique de codification des connaissances.

8. Y a t-il une vision des transformations des domaines critiques de connaissance dans l’organisation ?

Gardons en mémoire ces questionnements. Ils nous seront utiles, lorsqu’il s’agira d’évaluer la pertinence des initiatives de gestion des connaissances du cas que nous allons présenter.

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Conclusion

Ce tour d’horizon nous a permis de situer l’émergence de la gestion des connaissances dans un contexte stratégique et organisationnel, et de nous familiariser avec les différents débats qui animent théoriciens et praticiens autour des termes de « connaissance » et « gestion des connaissances ». Nous avons ainsi constaté combien ce domaine est vaste et complexe. Sous une appellation unique, la gestion des connaissances correspond en effet à des réalités multiples : elle regroupe un ensemble de procédures diverses soutenues par des applications et des infrastructures informatiques variées (portail, intranet, bases de données). Elle n'est pas dépourvue d'ambiguïté tant dans ses objectifs (améliorer la productivité par la capitalisation des apprentissages et la réutilisation des savoirs accumulés et favoriser l'innovation à travers le développement de la collaboration) que dans ses réalisations. Par ailleurs il faut souligner que la gestion des connaissances est aussi un marché de prestations intellectuelles. A la suite de Mounoud et al. (2003), nous avons tenté de bâtir un cadre permettant d’apprécier la pertinence des démarches KM.

La suite de ce travail va élaborer trois notions évoquées dans ce chapitre. Tout d’abord, les nombreuses tensions nous invitent « à reconsidérer la question de la gestion des connaissances non plus comme une problématique d'introduction d'outils mais de transformation des logiques de management. Il s'agit de comprendre comment les différents projets participent d'une volonté de transformation conjointe des logiques de création de valeur et des modes de management ». (Mounoud et al., 2003). Au-delà, ceci nous amène à étudier les différents mythes dont est porteur le KM.

Ensuite, dans le chapitre suivant, nous introduirons la notion de dispositif de gestion, plus à même selon nous de saisir la relation dynamique entre des initiatives KM et un contexte organisationnel marqué par « [les] types d’arrangements des hommes, des objets, des règles et des outils [qui] paraissent opportuns à un instant donné » (Moisdon, 1997).

Cette approche du KM comme dispositif de gestion des connaissances appelle une perspective située (Suchman, 1987). Il s’agira d’étudier les dynamiques d’un dispositif de gestion dans le contexte d’une organisation donnée et en tenant compte des pratiques d’acteurs en situation. A cet égard, nous mobiliserons les apports du courant strategy-as-practice. Nous nous intéresserons aux façons dont les individus utilisent les outils, techniques, normes, routines pour « faire du KM ». L’organisation multinationale de la Branche Ciment

Isabelle Corbett- Thèse de doctorat 51 nous amènera aussi à tenir compte des modes de coordination et de régulation entre le centre et la périphérie.

Nous garderons également en mémoire la face symbolique du KM comme « mythe rationnel » (Hatchuel, 1992). La déconstruction des figures mythiques du discours KM proposée par Grimand, tout comme la lecture institutionnaliste de l’adoption cérémoniale des discours et pratiques (Meyer et Rowan, 1977) que nous développerons plus tard, nous aiderons à mieux comprendre les contradictions déjà évoquées entre discours et réalité des pratiques.

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Chapitre 2 :

Construction de l’objet de recherche comme dispositif de gestion et