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CHAPITRE 6 : RÉSULTATS

6.3. Structure de la relation entre le consommateur et son magasin

6.3.3. Proximité relationnelle

Comme conséquence du processus d’approfondissement des relations entre les consommateurs et les acheteurs, on a établi une proximité relationnelle (Grossetti, 1998). À travers celle-ci on a développé des réseaux et des chaînes sociales d’appui mutuel qui, constitués par des individus, servent pour leur définition comme une entité collective (Granovetter, 1983). Ces relations, qu’ils maintiennent entre eux et avec d’autres réseaux sociaux, sont chaque fois plus fortes. Les consommateurs et les

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épiciers font preuve de confiance, de familiarité et de tradition dans leurs rencontres quotidiennes. La proximité affective et l’intérêt pour la collaboration et le respect mutuel priment dans cette relation.

6.3.3.1. Confiance

La confiance, exprimée comme un sous-produit de la participation au réseau social auquel on appartient, se manifeste comme un « acte de foi » entre ceux qui ne se connaissent pas. Cette confiance, qui est reflétée dans des bénéfices et des croyances qui influencent la décision de faire confiance (Herreros, 2004), est sans doute un des piliers de la relation du consommateur avec son magasin.

La confiance, entendue comme la conviction qui est atteinte sur des capacités et des qualités individuelles, est affirmée au fur et à mesure que « nous constatons notre aptitude en tâches que nous effectuons et alors que nous obtenons l’habilité pour maintenir des relations de qualité avec des autres » (Consumer, 2004).

Ce sentiment qui est produit dans chaque personne l’amène à assumer des attitudes qui sont traduites dans des comportements qui reflètent sécurité et tranquillité individuelle.

Grâce à cela, les contacts quotidiens qui sont établis permettent de pronostiquer, avec régularité et précision, des actions entreprises par des consommateurs et des épiciers, traduites dans un fonctionnement plus simple que la même relation, comme le déclarent des consommateurs de différentes strates et de villes :

« Je lui dois pour des petites choses… mais je le paye le jour suivant » (Informateur Barranquilla, strate haute)

« Quand on n’a pas d’argent, ils vous font crédit… chose que ne font pas les magasins de grande chaîne si vous n’avez pas une carte de crédit » (Informateur Cali, strate basse)

Des mécanismes de contrôle de type informel tendent à réduire l’incertitude en ce qui concerne des actions de consommateurs et de leur épicier, et ils sont présents dans toutes les strates :

« Je l’écris d’une manière organisée » (Informateur Barranquilla, strate haute)

« Il nous fait une liste des produits pour lesquels il nous donne un crédit, pour le jour de la quinzaine ou pour le jour qu’on a de l’argent » (Informateur Cali, strate moyenne)

Sur cette confiance construite, soit tout au long des années de relation mutuelle, soit par l’expérience accumulée de l’épicier avec laquelle il peut détecter avec une facilité relative l’essence humaine et commerciale de ses clients, des pratiques commerciales ont été développées qui, à leur tour, solidifient encore plus cette relation. Des pratiques comme la référence d’un voisin ou la flexibilité dans des délais de paiement renforcent la relation du consommateur avec son magasin et consolident le tissu social dont des liens presque invisibles permettent une relation solide et ferme:

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« Parfois quand on n’a rien avec quoi acheter, il peut nous fournir, il nous fait crédit » (Informateur Cali, strate moyenne)

« Parfois à crédit, parfois ils me font crédit » (Informateur Neiva, strate haute)

Cette confiance est fortifiée encore plus au fur et à mesure que le « respect » fait partie de la même structure de la relation.

6.3.3.2. Familiarité

Du latin familiarĭtas, -tātis, la familiarité se réfère à « la simplicité et à la confiance du traitement » et au « contact habituel ou à la connaissance profonde » (RAE, 2007) de quelqu’un, de quelque chose, ou d’une certaine situation en particulier.

Dans le cas de la relation entre le consommateur et son magasin, la familiarité parvient à réduire l’incertitude et à simplifier les relations avec les autres à travers la formation d’une structure de connaissance qui favorise le niveau d’autoconfiance dans les décisions relatives au magasin. Cela se répercute de manière claire sur la fréquence avec laquelle on va vers celui-ci et se traduit dans une fidélité durable qui est perçue de la façon suivante:

« Moi, j’ai toujours aimé fréquenter des magasins, parce qu’on se sent comme en famille… avec les personnes qui vous entourent » (Informateur Manizales, strate basse)

« … parce que nous sommes déjà comme des voisins : l’épicier, nous et ma famille » (Informateur Valledupar, strate haute)

Comme partie de cette familiarité entre consommateurs et épiciers apparaît l’« amitié »:

« … nous sommes amis, par commodité, proximité et par l’habitude d’acheter dans le même magasin » (Informateur Barranquilla, strate haute)

Ils sont tellement élevés et profonds les degrés de familiarité entre consommateurs et épiciers qu’on dirait qu’entre eux existeraient des liens de consanguinité, bien qu’en beaucoup d’occasions l’épicier ne connaisse pas le véritable nom de baptême de son consommateur. Pour son identification il utilise des alias et des manières familières.

Avec cela il parvient, par le biais d’associations mentales, à connaître les goûts, les désirs, les nécessités et les préférences de tous ceux dont il s’occupe de manière permanente. Apparaissent ainsi des expressions comme « la madame de la voiture rouge », « le monsieur qui travaille à la banque… », « le garçon qui étudie l’ingénierie », « le cachaco », « le corroncho », « le singe », « le cabellón »…

Et c’est en recourant à cette forme particulière d’interaction sociale et humaine que l’épicier conçoit et met en œuvre son propre marketing de relations, similaire à ce qu’a

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proposé Vavra (1995,) par lequel il réussi à conserver des clients éternels, pour toute la vie.

6.3.3.3. Tradition

Dans le cadre de tout ce qu’une génération hérite de ce qui la précède et qu’elle, le considérant comme précieux, le prend pour elle-même en le reproduisant de la manière la plus digne de confiance possible, la présence historique et ancestrale des magasins dans la vie d’une communauté a contribué à forger et à donner du sens aux relations entre consommateurs et épiciers. La tradition, du point de vue « de la coutume…

conservée dans un peuple par transmission des pères à des fils » (RAE, 2007), a été une autre caractéristique des relations qui s’éternisent dans le cadre d’un voisinage.

Des preuves montrent la manière dont les personnes prennent l’habitude d’aller au magasin depuis leurs premières années de vie, transmise par leurs propres pères ou par des adultes responsables de leur allaitement :

« Bon… aux magasins depuis que j’ai l’usage de raison » (Informateur Barranquilla, strate haute)

Cette tradition – du latin traditio – de contact permanent avec des magasins insérés dans le tissu social de toute la communauté est si longue que ceux-ci apparaissent partout. On peut trouver plusieurs magasins non seulement dans un même quartier mais sur un même trottoir, dans une même rue. Toutes partagent le voisinage, prennent part à la vie sociale de la communauté, construisent le tissu social et contribuent à la consolidation de la société. Des consommateurs de toutes les couches sociales le reconnaissent ainsi, non seulement par ce qu’ils disent mais par ce qu’ils font dans leur vie quotidienne.

La « coutume » de rendre visite à l’épicier auquel on accorde sa confiance s’est transformée en une tradition des consommateurs:

« Je vais à ce magasin à cause de la plus grande confiance que j’ai avec l’épicier, puisque toute ma vie j’ai acheté là-bas » (Informateur Barranquilla, strate moyenne)

Cette habitude invétérée non seulement d’« aller au magasin » mais de savoir que le magasin se trouve dans le coin, sur le même trottoir, dans le quartier, dans la communauté, a fait que des générations complètes de Colombiens ont été élevés avec l’image de leur magasin comme partie de l’inventaire social d’institutions sans lesquelles la vie en communauté ne serait pas la même. Le magasin a été là, il est là, et continuera sûrement à être là, à en juger par ce qui est démontré par tous les informateurs consultés, observés et analysés.

6.4. Le rôle de la culture dans la structuration de la relation entre le