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CHAPITRE 6 : RÉSULTATS

6.1. Représentations mentales des consommateurs du magasin traditionnel

6.1.3. Par intermédiation

« Une nuit je suis arrivé ivre et l’épicier m’a prêté pour payer le taxi » (Informateur Barranquilla, strate basse)

Ceci est possible non seulement parce que l’épicier maintient toujours une attitude positive d’aide à ses voisins, mais aussi parce qu’il habite dans le même espace physique où est installé son magasin, parfois au second étage du bâtiment, parfois dans la partie arrière de l’établissement.

6.1.3. Par intermédiation

En leur assignant le rôle de lien logistique entre les fabricants ou les grossistes d’une part et les consommateurs d’autre part, ce que, dans la perspective commerciale, les magasins ont accompli, un groupe de consommateurs les visualisent comme intermédiaires. Les représentations mentales qu’on a de ce type de magasins ont permis de les voir comme le dernière chaînon – ventes au détail – de la chaîne de distribution qui part de l’entreprise-fabricant et arrive au consommateur final (Pinilla et González, 2004).

Toutefois, les caractéristiques de cette fonction de médiation, que les magasins accomplissent journellement selon les consommateurs, sont perçues au travers des patrons culturels prédominants. L’imaginaire collectif dans lequel s’ancrent les magasins marchands est tellement propre aux manifestations culturelles colombiennes que des classifications comme celle de « place-habitude » (Bergadaà et Del Bucchia, 2009b), qui explique l’habitude que des personnes acquièrent pour visiter un magasin, ne parviennent pas à expliquer la complexité des phénomènes vécus dans le magasin de quartier colombien.

6.1.3.1. Magasin « marchand » – mercadera

Accepter que le magasin soit synonyme de « mercadero », c’est le voir comme un espace commercial et social dans lequel des consommateurs s’approvisionnent quotidiennement. C’est le considérer comme l’emplacement pour « faire le marché » que demande une famille pour vivre. C’est là où, de manière quotidienne, hebdomadairement ou bimensuellement, on fait tous les achats qui sont exigés quel que soit le type de produit. Ainsi, le magasin est le fournisseur de produits périssables et non périssables ; celui qui évite aux habitants de la zone de se déplacer dans d’autres lieux de la ville à la recherche de vivres et d’emballages. Cela évidemment renforce l’idée de

« voisinage » qui transforme le magasin en un facteur social d’agglutinement et de cohésion spécial.

Étant une « mercerie », on établit des connexions mentales entre le magasin et

« l’attention » qui reflète, de la part des épiciers, une connaissance claire de la nature humaine. Nous cherchons tous le bon traitement, le respect, les relations agréables, et c’est un lieu où il est possible d’obtenir tout cela.

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La bonne attention portée au consommateur conduit à l’habitude d’acheter régulièrement dans son magasin préféré :

« … chaque quinze jours j’achète dans ce qui est la "tiendecita" – très petit magasin – de Don [monsieur] José »… « Il s’occupe tellement bien de moi… que » (Informateur Medellín, strate moyenne)

Ce magasin dans les strates plus basses est inséré dans la quotidienneté de l’existence collective et son rôle est plus significatif pour le déroulement de la vie sociale en communauté, en se transformant en un lieu particulier qui permet de comprendre la vie urbaine en société (Ramirez et Pachón, 2004). Ceci est en accord avec les relations établies entre les agents commerciaux qui prennent part à l’échange (AMA, 1985), ce que Spillman (1999) a visualisé à partir de connotations culturelles.

Pour les consommateurs des strates hautes, cette fonction d’approvisionnement ne se présente pas comme une activité quotidienne dans laquelle ils acquièrent tous les produits nécessaires. Le magasin remplit un rôle complémentaire aux achats hebdomadaires, mensuels ou bimensuels (Acevedo et al, 2008). Dans ce magasin, on achète seulement ce qui est épuisé dans le garde-manger et presque toujours par voie téléphonique.

6.1.3.2. Magasin « fourni »

En pensant le magasin comme un « local fourni », le chaland ratifie la fonction la plus commerciale traditionnellement assignée par les différentes couches de la population. Il est simplement fournisseur circonstanciel ou permanent de ces produits qui sont épuisés dans le garde-manger familial (Pinilla et González, 2004). Sous cette perspective, on réitère le rôle de canal de distribution traditionnelle qui sert de pont entre des fournisseurs – en gros, fabricants, places de marché, distributeurs – et le consommateur final. Les consommateurs qui voient un magasin comme « fourni » ont dans leur esprit un lieu où l’assortiment est ce qui est primordial.

« Un petit lieu qui a là un peu de tout, bien assorti » (Informateur Manizales, strate haute) ou « Un emplacement bien assorti » (Informateur Medellín, strate haute)

Ainsi, ce magasin traditionnel colombien est vu comme une des expressions les plus typiques du marché colombien des ventes au détail (Londoño et Navas, 2005) : un espace commercial où on présente de multiples types et variétés de produits, même de différentes marques dans une même catégorie. Son assortiment est vaste en produits tant du panier familial de base – surtout périssables – que d’autre nature : d’hygiène personnelle, par exemple.

6.1.3.3. Magasin « de tout » – todera

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Le magasin est un espace où les consommateurs peuvent trouver « de tout », ainsi occupe-t-il un local petit et étroit :

« Qui vendent de tout » (Informateur Valledupar, strate basse), « Un petit local et avec tout là » (Informateur Cali, strate moyenne), « C’est un très petit local… où je trouve de tout » (Informateur Medellín, strate basse)

Envisager le magasin comme un « de tout, todera » c’est le mettre en relation avec des

« cositas – très petites choses » que les consommateurs exigent. On y renforce l’image qu’il est possible d’y trouver « de tout », surtout le petit, le minimum. La construction mentale répétée que font quelques consommateurs par rapport au monde réduit est une ratification additionnelle que paraît enfermer ce centre de rencontre entre les membres d’une même communauté.

6.1.3.4. Magasin « miniaturiste »

Les témoignages démontrent que dans ces magasins il est possible de se fournir en choses les plus diverses avec la particularité que beaucoup d’entre elles ont été soumises à un processus de miniaturisation de leur présentation :

« Un emplacement pequeñito – très petit – où on va trouver de tout un poquitico – très petite quantité » (Informateur Cali, strate moyenne)

Dans ces locaux convergent diverses catégories de produits depuis les périssables qui requièrent des chaînes de froid jusqu’à ceux présentés en boîtes dans des meubles à température ambiante. C’est la décision de disposer d’un assortiment le plus complet possible, et si un produit ne se trouve pas, l’épicier se charge de l’acquérir et de le mettre à la disposition du consommateur.

Cette pratique a été traditionnelle pour les épiciers qui ont toujours miniaturisé les présentations depuis que, par tradition, ils acquéraient des produits en vrac – riz, sucre, sel, par exemple – pour les vendre ensuite par kilo, par livre, demi-livre ou quart de livre. Ainsi, dans un magasin colombien il est possible d’acquérir des produits en grammes, onces, demi-livres, trois quarts de livre, en centimètres, en cuillerées, en quarts ou demi-litres, etc.

La pratique en a augmenté de manière significative ces dernières années suite à la décision des fabricants de le faire pour d’autres types de produits. Ceux-ci, après avoir compris la réalité du marché au détail, ont décidé de réduire la taille de la présentation de leurs produits leaders en donnant aux consommateurs la possibilité d’acquérir shampoing, savon, nids d’abeilles, mouchoirs jetables, café, « panela », etc., par unité ou par fraction d’unité.

6.1.3.5. Magasin « basique »

Admettre que la représentation du magasin soit égale à « ce qui est basique », c’est reconnaître qu’il s’est transformé en un facteur essentiel dans la vie des membres de la

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communauté dans laquelle il a été accepté. Puisque là on peut trouver seulement ce qui est vital, l’essentiel pour la survie, tout ce qui est superflu doit être cherché dans des emplacements différents. Cela implique que l’épicier qui continue à combler cette aspiration pourra survivre beaucoup plus que ce que certains peuvent imaginer. Il est très probable que ses consommateurs supportent la pression moderne qu’apporte la technologie des grandes surfaces imposée en Colombie depuis le début de la décennie des années 1990.