• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 6 : RÉSULTATS

6.1. Représentations mentales des consommateurs du magasin traditionnel

6.1.2. Par familiarité

« … un lieu petit, très propre – aseadito – où on se sent bien » (Informateur Cali, strate moyenne)

Où :

« … il n’y a pas de mouches ni de bestioles rares » (Informateur Barranquilla, strate haute)

6.1.2. Par familiarité

Un ensemble de consommateurs de magasins le visualise comme quelque chose de très près de son monde propre, dans une sorte de « milieu-complice » (Bergadaà et Del Bucchia, 2007). Un espace dans lequel les consommateurs se sentent comme dans leur propre maison, même avec un certain degré d’intimité. Tout cela est traduit dans une proximité sociale de grande signification, non seulement dans la quotidienneté de leur vie mais quand une urgence apparaît. L’épicier est prêt à aider, à supporter toute cause qui peut exiger sa participation, y compris le financement d’événements de grande importance pour toute la communauté.

La profondeur de ces contacts est d’une telle envergure que pour beaucoup de personnes le magasin est le club social auquel ils ont accès gratuitement et où ni des conditions ni des lettres de créance spéciales ne leur sont exigées. Il suffit de faire partie de la communauté et d’entretenir une certaine confiance avec l’épicier pour pouvoir s’amuser, boire des boissons alcoolisées, pratiquer des jeux de table – domino, cartes – écouter sa musique préférée, danser et obtenir crédit sans remplir des formulaires spéciaux ni présenter des approbations de garantie de paiement (Acevedo et al, 2008).

Cette familiarité, qui devient évidemment des liens forts (Granovetter, 1973) tissés dans la communauté autour de l’omniprésence des épiciers et de la fonction sociale qu’ils remplissent, explique les importants degrés de confiance mutuelle construits dans la vie quotidienne. Il fait confiance sans références de crédit d’institutions spécialisées dans

107

une modalité connue sous le nom de « crédit-marlboro » puisque les comptes sont enregistrés au dos d’un morceau de carton de l’emballage de la célèbre marque de cigarettes. On a besoin seulement de l’instinct de l’épicier pour avoir confiance en son

« voisin », en son ami.

De cette façon nous trouvons des magasins familiers, populaires, joyeux, serviables, et qui tirent de situations pénibles, contribuant au renforcement culturel du consommateur.

Dans leur intérieur on tisse des réseaux d’appui, de solidarité, de confiance en fortifiant la proximité relationnelle (Guedon, 2005) qui contribue à sa propre autoreproduction.

6.1.2.1. Magasin « familial »

Le magasin familial a un double caractère : d’un côté, c’est un espace que n’importe quel membre d’une famille consommatrice visite sans la crainte ni l’angoisse que pourrait causer l’insécurité vécue en Colombie. Depuis la maîtresse de maison qui va s’approvisionner des produits dont elle a besoin pour sa famille, jusqu’au plus petit de ses enfants qui visite le magasin pour « faire des remises » ou pour chercher ce que l’épicier lui offre: une gourmandise ou une friandise, traditionnellement connue comme la « ñapa ».

D’un autre côté, le magasin est vu par les consommateurs comme une affaire familiale.

Lui donner cette dimension signifie le voir comme un type d’organisation à laquelle prennent part plusieurs membres d’une même famille et où son maintenues des relations de subordination. Le magasin étant considéré comme une affaire familiale, cela implique que dans son intérieur se reproduit, presque toujours, la structure du groupe familial avec toutes les complexités que cela engendre. Tous dépendent du même revenu qui est administrée par le chef de famille – homme ou femme. Les décisions sont prises par lui-même, non dans sa condition de propriétaire de l’affaire mais dans celui de chef de famille. Cela se traduit par des injustices dans le travail dans la mesure où l’épicier ne paye presque jamais un salaire à ses « travailleurs ». Il leur garantit seulement leur prise en charge en accord avec la phase du cycle de vie dans laquelle se trouve chacun d’eux (Londoðo et Navas, 2005).

Dans la perspective du consommateur, le fait d’être une affaire familiale lui est très favorable, surtout quand le « bon épicier » peut transmettre à tout son groupe sa propre expertise, une partie de ses habilités, mais surtout, l’essence de son affaire : les relations avec ses consommateurs.

6.1.2.2. Magasin « populaire »

Penser le magasin comme quelque chose de « populaire » signifie non seulement qu’il se trouve dans n’importe quel quartier, mais aussi qu’il fait partie intégrante de la culture du voisinage. C’est l’associer au local d’« à côté » qui permet de ratifier le concept de voisinage, puisqu’il suffit seulement de traverser la porte du domicile du consommateur pour se trouver dans la proximité du magasin, à quelques mètres du lieu de résidence. Cette connotation de distance physique réduite dénote l’existence d’une

108

atmosphère de grande proximité, propre aux voisinages les plus connus. Il se trouve partout, il est populaire :

« ... Avez-vous vu un quartier où il n’existe pas un magasin ainsi… Qui est-ce qui a vu un quartier où n’existe pas un magasin ainsi … ainsi de très petit? »

(Informateur Medellín, strate haute)

Quelques consommateurs voient la popularité du magasin colombien en l’associant avec « ce qui est courant », comme une façon ouverte de réitérer une fois de plus l’importance qu’il a dans la vie des consommateurs de chaque ville. Le magasin fait partie de l’inventaire de son propre monde où la conception, le schéma et la façon de travailler l’ont maçonné dans la quotidienneté de sa propre existence.

Faire référence à « ce qui est populaire » quand on pense à un magasin signifie qu’il se trouve partout, dans chaque coin, dans chaque rue, dans chaque quartier, dans chaque commune. L’étrange serait de ne pas voir ces locaux, parce que pour tous les consommateurs sa présence est un fait, il est une partie inhérente au concept de vie en société. Les magasins ont été ancrés dans la conscience, dans la pensée et dans ce qui est courant.

« … je ne pourrais pas vivre s’ils m’enlèvent le magasin de madame Rosa » (Informateur Cali, strate moyenne)

6.1.2.3. Magasin « joyeux »

En contraste avec des aspects logistiques et commerciaux associés au magasin, une partie des consommateurs perçoivent cet espace plutôt comme un « emplacement social », comme un point de rencontre d’amis, de parents et de connaissances. Un lieu où on partage la vie, l’existence humaine de ses membres, auquel on va plus pour des raisons de nature sociale et culturelle que pour celles proprement économiques.

Admettre que le magasin est synonyme de « bénéfice et joie », c’est lui reconnaître une fonction différente de celle de fournisseur d’aliments et de produits essentiels ; c’est ratifier le caractère social que ces espaces ont dans leur rôle de renforcements culturels du comportement du consommateur. Accepter leur caractère de lieu de conversation et de bohème, c’est reprendre l’histoire commencée dans les « chicherías » traditionnelles de la Bogotá de la Conquête et de la Colonie, dont on a affirmé qu’ils se trouvaient au premier étage des constructions de l’époque (Cordovez, 1978). Quelques consommateurs voient dans le magasin le lieu où ils peuvent savourer la chaleur d’une boisson d’aguardiente ou d’une bière, avec quelques amis mais sans être vus par leurs parents. Certains de ces magasins ont adapté un espace pour ces activités dans ce qui est connu populairement comme la « trastienda » (arrière du magasin), occulte, intime, complice.

Vu par d’autres consommateurs comme un « mecateadero », le magasin contribue au bien-être de la population en prenant en compte l’incorrigible coutume qu’on a de déguster de petits « antojos – caprices, envies » ce qui satisfait les angoisses accumulées pendant de courtes périodes de temps. Au rythme du « mecato », plusieurs

109

épiciers ont obtenu un certain degré de fidélité de la part de quelques habitants par la connaissance qu’ils ont tant de leurs consommateurs que des heures où ils préfèrent aller à leur magasin préféré (Páramo et al, 2007).

Voir le magasin comme un espace pour satisfaire l’« antojo » démontre une fois de plus le plaisir qui y est attaché. Les consommateurs peuvent y acquérir une vaste variété de produits frugaux, exprimer leur « désir vif et passager pour quelque chose » (RAE, 2007). L’« antojo » s’est transformé en une espèce d’aimant qui amène des personnes déterminées à consommer des produits selon leurs coutumes gastronomiques typiques, naturellement associé selon les différentes habitudes du pays au « mecato », à l’« algo ».

6.1.2.4. Magasin « serviable »

Une des principales caractéristiques qui distingue les épiciers des employés des grandes surfaces est leur vocation de service. L’épicier et tous ses travailleurs, généralement familiaux, ont montré qu’ils ont une claire inclination à servir leur communauté dans tout ce qui est à leur portée. Depuis octroyer crédit à leur consommateurs sans aucune garantie financière, jusqu’à leur prêter de l’argent quand leurs conditions économiques se détériorent ou quand une calamité familiale ou une urgence apparaît. Ces situations, surtout celles qui se présentent de manière inattendue, peuvent être résolues en partie aussi parce que l’épicier vit dans son affaire. Le magasin fait partie de la maison.

Accepter que le magasin est « une partie de la maison » implique, d’autre part, d’admettre que l’espace destiné à la concrétisation des transactions commerciales est une extension physique de la maison, même si en termes réels l’espace destiné à la famille a été réduit. Généralement le magasin a été placé dans ce qui autrefois était la salle de séjour de la famille ou une partie du garage. Ce mélange particulier entre ce qui est familial et ce qui est commercial a contribué de manière sensible, non seulement à améliorer les niveaux de service, mais à resserrer les liens entre les épiciers et les consommateurs puisque l’attention au client peut pratiquement être faite à toute heure du jour ou de la nuit. Il suffit d’appeler à la fenêtre ou à la porte de l’épicier pour que celui-ci interrompe son rêve et satisfasse les demandes de son « voisin ».

« C’est son magasin à lui, il y a deux étages, alors il vit en haut » (Informateur Barranquilla, strate basse)

6.1.2.5. Magasin « qui tire d’embarras »

En tenant compte du fait que les magasins sont partout, qu’ils sont bien assortis et qu’on peut y acquérir tout ce dont le consommateur a besoin, quelques consommateurs l’imaginent comme un local où tous les problèmes peuvent être résolus :

« Un petit emplacement… où l’on obtient… de tout, de chaque chose un peu » (Informateur Neiva, strate haute)

110

Ainsi l’épicier aide à résoudre des problèmes inouïs associés à la quotidienneté de ses consommateurs :

« Une nuit je suis arrivé ivre et l’épicier m’a prêté pour payer le taxi » (Informateur Barranquilla, strate basse)

Ceci est possible non seulement parce que l’épicier maintient toujours une attitude positive d’aide à ses voisins, mais aussi parce qu’il habite dans le même espace physique où est installé son magasin, parfois au second étage du bâtiment, parfois dans la partie arrière de l’établissement.