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Conclusion : Un milieu et des habitants en quête d’identité

Chapitre 5. Un milieu qui rassure… mais qui expose aussi

5.4. Se protéger...au risque de s’exposer

« C’est vrai que l’on voit un peu cette tendance, on voit les murs… Lui : [il me coupe] Ont tendance à monter ?

Oui…

Lui : Mais bon, dans un sens… tout le monde se renferme… et personne n’a la vue sur la maison d’en face !

Elle : Et oui, il y a le pour et il y a le contre ! Lui : Le voleur qui arrive à grimper le mur…

Elle : Plus le mur est haut… Les voisins ne voient rien !

Lui : Nous, justement, on est bien placés, on est dans l’angle, et on peut être vus par tout le monde et ce n’est pas plus mal. Ici, il se méfie, on le voit de la rue. Ils ne sont jamais rentrés encore [en comparaison avec sa voisine d’en face qui venait d’être cambriolée]. »

[Madame et Monsieur Paroissi, habitants depuis cinq ans.]

La question du risque d’insécurité urbaine circule beaucoup, l’insécurité urbaine continue de préoccuper encore et encore. Le développement actuel des quartiers résidentiels

179 fermés en est un autre indicateur. Si la commune de Lattes a été choisie comme terrain d’étude pour cette recherche sur l’habiter au risque de l’inondation, parallèlement, elle l’a également été dans les mêmes temporalités pour un travail de thèse en géographie sur les espaces résidentiels fermés210. La commune en présente en effet un nombre suffisamment important pour être représentative du développement de ce mode d’habiter.

Figure 35 : Photo d’un espace résidentiel fermé à Lattes [S. Durand © 2009.]

En permettant de reconstruire un sentiment d’appartenance communautaire ces espaces rassureraient. Par le bricolage de nouvelles formes de sociabilité, ces espaces permettraient une réminiscence des réseaux sociaux de proximité, faisant appel à des images de villageois, à l’image du havre de paix (Madoré, 2004). Cette image est en effet celle qui est régulièrement avancée par les habitants comme ayant motivé leur installation à Lattes. La recherche de ce havre de paix se fait ici au prix d’une sécurisation de l’espace social.

Dans la forme d'habitat si ce sont les quartiers résidentiels fermés qui ont tout d'abord attirés mon attention, bien d'autres formes de sécurisation de l'habitat individuel sont remarquables. Il est à noter par exemple le nombre de jardins particuliers gardé par des chiens de défense211

210

Travaux de thèse de Cassandre Dewintre au sein du Laboratoire Artdev de l’université de Montpellier 3. 211

Mon expérience habitante m’a confronté dans les deux logements que j’ai occupés à des conflits de voisinages en lien avec la détention de chiens classés comme dangereux (catégorie 1 et 2 de la législation française) et soumis à règlementation que leurs propriétaires ne respectaient pas. Automne 2009 un drame se produisit à Maurin où une personne âgée succombât dramatiquement aux blessures infligées par deux chiens de défense qui s’étaient échappés de leur enclos. À plusieurs reprises, j’ai été mis en présence de chiens de ce type qui avaient échappés à leurs maîtres.

, ou encore la fréquence du démarchage téléphonique d'agence de sécurité. Les annonces immobilières consultées précisent souvent que l'environnement y est « sécurisé ». Les entrées des résidences ou des maisons individuelles sont équipées de portes ou portails automatisés et sécurisés, et s’accompagne bien souvent de digicode avec caméra. Les messages dissuasifs à l’entrée des propriétés sont nombreux, comme nous pouvons le voir sur

180 la photo prises ci-dessous. Le propriétaire a apposé cet écriteau dissuasif après avoir terminer le rehaussement du mur d’enceinte de sa maison.

Figure 36 : Photo d’un exemple de sécurisation observée de l’espace privatif Rehaussement des murs, pose de digicode avec caméra et d’un message dissuasif.

[S. Durand © 2012.]

Dans la rue où j’habitais, depuis mon installation, de manière très régulière, je voyais des murs qui montaient. Avant mon départ, deux maisons de ma rue ont été rachetées. Les deux familles, toutes deux composées de couple avec des enfants en bas âge, ont eu la même première action en arrivant : faire arracher la haie qui masquait la maison au dessus du petit muret aux yeux du passant et faire monter un mur de deux mètres. D’autres voisins, nombreux, ont fait relever le leur d’une ou de deux rangées de cairons. Au cours des cinq années de vie dans ce quartier, les quelques maisons qui étaient encore au mur bas avec haie ont rejoint – à quelques rares exceptions près – le style dominant aujourd’hui : le mur haut qui sépare de manière franche l’espace privatif de la rue.

Figure 37 : Photo d’un chantier de rehaussement de mur, quartier des Filiès [S.Durand © 2011.]

181 Marcher dans les rues de la plupart des quartiers lattois s’apparente à longer des murs212

Si l’élévation des murs questionne, c’est notamment en ce qu’il se fait le révélateur d’une évolution vis-à-vis des risques. Comme si cet élément concret du paysage traduisaient dans la matière un oubli du risque inondation croissant, inversement proportionnel à la croissance d’un désir de sécurité et d’intimité. Un travail d’étude mené localement par des étudiants localement en 2012 sur la vulnérabilité du bâti aux inondations, sous la responsabilité du géographe Freddy Vinet

. La délimitation de la propriété privée par la clôture est un élément typique du modèle périurbain (Jaillet, 2004). Bien que Lattes ne fasse pas spécialement exception sur ce thème, il est intéressant d’observer le choix opéré localement dans les différentes configurations possibles en ce que les pratiques de clôture des espaces privatifs sont « révélatrices de posture de

repliement, d’exclusion ou d’ouverture » (Paris, 2012). Le mur, en opérant une frontière

complètement étanche, traduit ainsi une habitude locale de mise à distance.

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, appuie ce constat : la sécurisation de l’habitat aux intrusions pourrait se constituer en un obstacle majeur au bon déroulement de l’évacuation des lieux en cas d’inondations. Les éléments principaux sont le recours à des systèmes automatisés pour l’ouverture et la fermeture de la maison et du jardin ainsi que la mise en place de ferrure aux endroits des fenêtres qui peuvent empêcher l’évacuation des habitants en cas de montée rapide des eaux. L’absence de dispositifs de mise en sécurité des personnes (étage ou accès direct au toit) est également souvent observée. Enfin, la hauteur importante des murs de clôture peut empêcher la libre circulation de l’eau en cas d’inondation. La législation en matière de construction en zone à risque inondation comprend pourtant des limitations de la hauteur des murs de clôture. Le règlement du Plan de prévention du risque inondation (PPRI) qui était valide sur la commune pendant la réalisation du travail de terrain214 et qui doit s’opposer aux règles de constructibilité souligne pourtant que « les clôtures et plantations d’alignement

doivent être étudiées de façon à leur préserver une transparence maximum à

l’écoulement »215. Les détails figurant dans le document en termes de limitation de hauteur

des clôtures ou murs de clôture ne sont pas du tout mis en œuvre216

212

Voir les photos des figures 17 et 18 (p.117).

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Étude mené par 48 étudiants dans le cadre du Master gestion des catastrophes naturel du laboratoire Gester, Montpellier 3, année scolaire 2011-2012. Les résultats n’avaient pas vocations à être publiés, il s’agissait d’un travail à vocation pédagogique ; j’ai cependant pu bénéficier de leurs contenus lors d’un séminaire de travail avec ces étudiants.

214

La réglementation en matière d’inondation sur la commune sera détaillée dans la partie 3. 215

Extrait de la page 2 du règlement du PPRI commune de Lattes approuvé le 30 mai 2007 par anticipation. 216

« Sous réserve des dispositions du documents d’urbanisme en vigueur, la création ou modification de clôtures et de murs, dans les conditions énoncées ci-dessous : - pour les clôtures : qu’elles soient constituées de 3 fils ou grillagée à mailles larges (mailles dont le plus petit côté est supérieur à 5 cm) ; - pour les murs (de soubassement ou de clôture) : qu’ils aient une hauteur inférieure ou égale à 20 cm ou, si la hauteur est supérieure, que celle-ci n’excède pas la cote PHE* et que le mur soit construit de telle sorte qu’au moins 30% de la surface située entre le sol et la PHE* (… ) Soit laissée transparente aux écoulements (barbacanes, portails ajourés, grillages à mailles larges). » : Extrait des pages 13 et 17 du règlement du PPRI de la commune de Lattes approuvé le 30 mai 2007 par anticipation.

* La cote PHE est la cote des Plus hautes eaux, il s’agit d’une cote NGF atteinte par la crue de référence. Une cote NGF est le niveau altimétrique d’un terrain ou d’un niveau de submersion, ramené au Nivellement général de la France (IGN69), pour lequel le niveau de la mer équivaut à 0.

182 comment se protéger d’un risque (ici l’insécurité urbaine) peut paradoxalement exposer à un autre (ici le risque inondation).

D’une manière générale, les espaces extérieurs privatifs tendent à se cloisonner de plus en plus. Plus largement, la sécurisation de l’habitat individuel apparaît comme assez généralisée à Lattes, à défaut d’y être spécifique. Le jardin, espace privatif participant de l’entité « chez soi », est donc à protéger de l’intrusion d’autrui au même titre que son intérieur. La frontière physique qu’érigent les murs des jardins participe alors aussi d’une raréfaction des relations de voisinage. Au quotidien, l’entour de la maison devient alors le seul lieu privilégié où peuvent se faire les rencontres, lorsque l’on sort de chez soi ou lorsque l’on y rentre. Ainsi, si l’élévation des murs questionne encore, c’est en ce qu’elle devient limitatrice de ces relations sociales. Les maisons individuelles dont le jardin est entouré d’un grand mur permettent de sortir de chez soi en passant directement de son intérieur à son garage pour monter dans sa voiture et enfin sortir dans la rue en actionnant l’ouverture du portail automatique. Si apercevoir son voisin à travers la haie ou derrière un petit muret pouvait permettre un échange, ce dernier est compromis par le mur bétonné. Ainsi, la « montée des murs » vient encore limiter les possibilités de création de liens dans la proximité géographiques.

« Moi ce que j’ai entendu aussi en discutant avec certains Lattois, c’est des … c’est une difficulté à en créer des liens avec le voisinage, voilà… Un isolement, un petit peu, donc peut-être que cet investissement de l’espace personnel c’est aussi... lié à cet isolement ? »

[Une habitante lors d’un échange sur la tendance « aux murs qui montent » lors de l’entretien collectif n°2.]

La tendance au repli domestique et la logique sécuritaire qui l’accompagne souvent dans le mode d’habiter pavillonnaire est aujourd’hui bien documentée dans la littérature. Annabelle Morel-Brochet explique l’investissement de l’espace privatif notamment par le mal-être dans l’entour de celui-ci : « Une personne qui ne se sentira pas bien dans son quartier ou encore

dans la ville pourra trouver un refuge dans l’intérieur de son logement. » (Morel-Brochet,

2012: p.83) Les travaux de Yannick Sencébé (2007) sur la sociabilité en milieu périurbain dijonnais complète cette analyse en montrant la diversité des trajectoires habitantes que contiennent ces milieux. Ses recherches l’ont menées à conclure que la tendance au repli domestique s’observe principalement chez les personnes n’ayant pas suffisamment de ressources sociales et spatiales pour le vivre autrement. Au gré des vicissitudes de la vie, ces habitants se réfugieraient dans un « repli sur le seul lieu sécuritaire de leur existence, la

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Conclusion : Un milieu qui rassure… mais qui expose aussi

L’étude du mode d’habiter lattois donne à voir un milieu où les attentes des habitants sont fortes autant en termes de confort de vie que de sécurité. La question de la sécurité est omniprésente. Nous retrouvons ici l’idée d’espaces résidentiels construits en périphérie de villes dans des zones les exposant aux risques naturels mais permettant de se tenir à distance des nuisances de la ville ainsi que des problématiques sociales qui y sont associées (November, Penelas et Viot, 2008). Paradoxalement, ce milieu, risqué en termes d’inondabilité, peut être rassurant en termes de confrontation à l’altérité. Risque dit d’insécurité urbaine et d’inondations s’imbriquent à plus d’un titre. L’effort communicationnel de la municipalité en termes de sécurité urbaine met en relief l’absence d’équivalence sur la question du risque inondation. Pareillement, si le souci des habitants pour la protection des risques dits urbains est intéressant, c’est surtout en ce qu’il constitue un contraste avec l’absence apparente de souci vis-à-vis du risque inondation. Et surtout, si ce souci interpelle c’est en ce que les comportements qu’il encourage se révèlent être « anti-préventif » vis-à-vis du risque inondation. L’inscription habitante dans ce climat sécuritaire conduit à adopter des dispositifs de protection personnel (de l’habitat particulièrement) qui viennent questionner la circulation de l’inondation d’un double point de vue : physique (en ce que la libre circulation de l’eau peut-être obstruée) et social (en ce que la circulation verbale de l’inondation ne peut trouver sa place dans un milieu où les échanges se raréfient). L’élévation des murs de clôtures se fait emblématique de la question. Elle révèle un oubli du risque inondation croissant, inversement proportionnel à la croissance d’un désir de sécurité et d’intimité. Cette tendance « sécuritaire » interroge encore dans la limitation au développement de lien social inscrit dans la proximité géographique qu’elle vient ajouter aux sociabilités limitées explicitées précédemment.

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