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Des liens dans un milieu, des liens au milieu : l’attachement des plus anciens

promesses : quand l’habiter rassure, mais éloigne et expose

Chapitre 4. Un milieu et des habitants en quête d’identité : urbanité et ruralité entremêlées

4.3. Des liens au milieu différenciés par le temps qui prédisposent les liens aux autres : des attaches à l’ancrage

4.3.1. Des liens dans un milieu, des liens au milieu : l’attachement des plus anciens

. Cette typologie, ainsi que nous allons le voir maintenant, apparaît pertinente pour caractériser les trajectoires habitantes locales.

« Lattes, je l’ai dans le cœur !» [Une habitante.]

L’observation de choix à l’installation a montré qu’ils peuvent s’inscrire dans une volonté de proximité familiale et/ou d’attachement au lieu. Au moment de la recherche de nouveaux locataires lors de mon changement d’appartement à Lattes, sur les onze visites effectuées, neuf concernaient des personnes qui, soit habitaient déjà sur Lattes et ne voulaient pas en partir, soit avaient de la famille à Lattes dont elles voulaient se rapprocher ou ne pas s'éloigner (famille avec enfants divorcés, proximité aux parents, retour après quelques années ailleurs). Plusieurs témoignages de trajectoires habitantes m’ont alors menée à prendre au sérieux cette question de l’appartenance locale et des attachements au milieu. Un jeune homme, par exemple, nostalgique du « Lattes d'avant » se souvenait d’avoir grandi « dans la

nature [...] avant que ce ne soit rattrapé par les lotissements » et voulait s'y établir

maintenant ses études terminées, près de ses parents et de cette nature. Le rôle déterminant de la mobilisation des ressources familiales dans la territorialisation des individus

135 Brochet et Ortar, 2012) est connu des analystes des modes d’habiter. Le rôle de l’entraide que joue le réseau familial et amical proche (Glamcevski, 2012; Vignal, 2012 ) est pensé comme une forme de protection, de réassurance, des sphères de refuge. Il en est de même pour la fidélité à la terre de naissance en ce qu’il participe de repère mémoriels dans l’histoire du groupe familial (Ramos, 2012). Cette imbrication de l’histoire des hommes et du milieu s’est particulièrement donnée à voir dans les récits des anciens de la commune. Plusieurs de ceux avec qui j’ai eu la chance de longuement converser – Messieurs Lieuman167, Patrian168 et Traditionna169 notamment - m’ont fait la même confidence de manière spontanée : ils ne partiraient de Lattes pour rien au monde, ils y seront enterrés. D’autres ont manifesté dès les premiers mots de l’entretien une vive émotion à parler de leur commune. Ainsi par exemple, alors que je demandais à l’une des dames170

167

Habitant natif, environ 70 ans, famille lattoise depuis cinq générations. 168

Habitant depuis 40 ans, environ 65 ans, famille lattoise depuis trois générations. 169

Habitant, environ 65 ans famille lattoise depuis quatre générations, retraité.

170 Madame Taurelon, environ 55 ans, habitante native ; famille lattoise depuis quatre générations.

interrogées de me présenter son histoire personnelle dans cette ville, elle m’avait répondu qu’elle était née ici et fière de l’être. En ajoutant : « Lattes, je l’ai dans le cœur » et les larmes lui étaient venus aux yeux lorsqu’elle me disait cela.

Mais Lattes a beaucoup changé ces cinquante dernières années, et change encore, au rythme de la croissance de l’agglomération de Montpellier. Chez les anciens, cette évolution est mise en mot principalement dans une critique de la disparition progressive du végétal, qu’ils associent à la campagne, au profit du minéral, du béton qu’ils associent à la ville. Ceux avec qui j’ai pu échanger regrettent tous le milieu de nature qui s'est peu à peu urbanisé, cette zone agricole en déprise qui s’est urbanisée : « avant ici c'était la campagne, on était bien », « avant, c'était des champs de pommiers », « Avant, c'était comme ça [verger] jusqu'à

Palavas », « du temps où c'était des vignes », « avant que les lotissements la rattrape [la

nature] ». Lors d’une balade dans le quartier avec mon fils, je rencontrais un habitant du quartier qui me racontait y habiter depuis 26 ans. Songeur, il me dit : « Avant, il n'y avait rien

ici, des champs et quelques maisons, maintenant : il y en a partout ! », puis, après un long

soupir, avait repris son chemin. Cette évolution est parfois même ressentie de manière très douloureuse. Pour certains, quand bien même ils ont grandi ici, leur famille y est installée depuis plusieurs générations, et si vivre ici leur parait faire partie de leur identité, l’évolution en cours va jusqu’à questionner leur motivation à y rester.

« D’accord, donc vous envisagez de partir.. ?

C’est récent, hein. Parce que moi ma vie, c’est mes amis ici… Ma vie c’est ici. Mais… je ne sais pas : si c’est pour être à la retraite et restée enfermée ici dans ma maison… Cela ne me convient pas. Je préfère aller dans un endroit où je puisse profiter un peu de la nature. Parce qu’ici, j’ai bien peur qu’au niveau de la nature, on est plus grand-chose dans quelques années [rires] et moi cela va me manquer beaucoup, ça. »

136 Généralement ces témoignages s'accompagnent d'un dénigrement de l'évolution vers l’urbain du milieu qui s’est opéré depuis. D’après les récits d’anciens, le développement de la ville est le fait d’urbains qui ont investi le rural : le monde rural situé aux abords d’une ville qui a grandi rapidement et qui est venue l’englober. Les habitants de ce monde rural, s’ils ont pu trouver des avantages notamment financiers dans cette transition, expriment alors souvent aujourd’hui une nostalgie de cette ancienne ruralité. L’évocation du Lattes d’avant présente un milieu bucolique où la vie coulait paisiblement.

« L'été ou au printemps, les premières fleurs, c'étaient que des narcisses. Et comme ils arrosaient avec l'eau du Lez, effectivement, c'étaient des prés où le laitier de la route de Pavalas venait chercher son herbe tous les jours, avec son cheval. Il amenait le fumier de ses vaches et il partait avec de l'herbe. Mais ça… Il coupait à la faux, de l'herbe qui était à cette hauteur-là et après, il les ramassait, il les faisait entrer chez lui. Mais ça, quand nous étions à l'école, au centre, à partir de la mairie, c'était l'école... Et de là, de la fenêtre, on voyait le gars couper les herbes. »

[Monsieur Foncia, habitant natif, famille lattoise depuis quatre générations]

Au fil des discussions de la vie de tous les jours, la critique des modifications du milieu impliqué dans cette transition du rural vers l’urbain est régulièrement revenue. Lors d’un apéritif d’une association sportive, un ancien exprima, par exemple, des critiques sur la politique du nouveau maire et notamment parce qu’il acceptait de « couper tous les arbres » des quartiers où les riverains le réclament sous prétexte que leurs feuilles viendraient salir « les piscines ou les 4x4 ». Dans cette critique adressée à la municipalité, il est possible de lire alors un second regret, celui de l’évolution des profils d’habitants. Le ton de cet habitant était résolument péjoratif à l’encontre de ces nouveaux voisins aux attentes éloignées des siennes. Plusieurs fois d’anciens habitants me feront part de ce regret. Le rapport familier au milieu dont nous parle les anciens ne se cantonne pas à un lien personnel mais est étendu à un groupe, à la catégorie générale localisée à laquelle ils se rattachent, celle des ruraux d’antan ; mis en relief par l’opposition avec les urbains d’aujourd’hui. Ainsi que l’a montré Olga Koveneva (2012) pour la communauté russe étudiée dans ses travaux de thèse, le rapport familier à l’environnement ne reste pas personnel mais est mis en commun et appréhendé comme un signe de normalité des conduites d’alors. Cette mise en commun dessine les frontières de la communauté des anciens, les ruraux, vis-à-vis des nouveaux, les urbains. Cette distinction s’opère souvent avec une certaine nostalgie ; nostalgie des anciens habitants vis-à-vis de la campagne d'antan. Outre Atlantique, Nina Eliasoph (1998) dans son étude sur la participation politique américaine au sein des adhérents d’un club de country dans un quartier de banlieue américaine fait le même constat d’un recours nostalgique aux « temps d’avant » par les plus anciens. Pour cette auteure, « l'image nostalgique de la communauté offrait le

sentiment réconfortant d'un passé douillet partagé, sans l'obligation de s'occuper des affaires des autres. Une forme spéciale, archaïque, de "discours nostalgique" le distinguait de la vie

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réelle avec des expressions comme "de nos jours", "à présent", et des mots qui donnaient l'impression que nous avions tous, jadis, partagé un passé commun et différent […] La nostalgie offrait une atmosphère de communauté partagée et l'impression d'avoir un passé commun sans obliger les adhérents à créer un présent commun » (Eliasoph, 2010 : p.251).

Les anciens de la commune se sont fédérer en association pour attester de ce passé commun. L’association « Cien de Lattes », traduction de « nous sommes de Lattes » en occitan, a pour vocation de réunir les anciens Lattois. La distinction entre ceux qui peuvent en être ou non est clairement établie et semble emblématique de la frontière que les anciens érigent vis-à-vis des nouveaux. La limite pour y être adhérent a été fixée à la date précise où s’est amorcée la transition du village rural au quartier périurbain avec le zonage des premiers lotissements, dans les années soixante.

« Alors, il y a une chose dont nous n’avons pas parlé, c’est de l’association… Donc rapidement, vous me disiez qu’elle avait 3 ans ?

Non, non. Pas l’association, c’est la fête qui a 2, 3 ans. Quoi que l’association, oui, elle a guère plus. Si vous voulez, moi, un jour, je n’étais pas élu, mais je me suis dit, quand je venais par exemple à des manifestations sur Lattes, […] Donc on se retrouvait à 300 personnes par exemple… Puis, sur les gens qui étaient là, on ne retrouvait peu de vieux Lattois, enfin, Lattois d’origine… On se retrouvait les Lattois que lorsqu’il y avait l’un d’entre nous qui mourait ou de la famille qui mourait, voilà ; et on se retrouvait là, deux ou trois fois par an. Je me suis dit on pourrait quand même essayer de fidéliser les Lattois…[…] Et alors, donc, moi j’ai créé cette association avec 3 ou 4 de mes amis et on a eu rapidement et beaucoup, plus rapidement que ce que l’on croyait, des adhérents […] Mais, si vous voulez, l’association, quand je vous dis 350 membres, moi par exemple, si je suis lattois d’origine, je suis membre, si ma femme n’est pas lattoise, ce n’est pas le cas, hein, elle est lattoise, mais si elle n’était pas lattoise, elle ne serait pas membre. Elle peut venir, mais elle n’est pas membre. Le membre, c’est celui qui était lattois avant 1960. Pourquoi 1960 ? Parce que c’est la période où la ville, enfin, le village s’est développé. Voilà. Donc on considère que l’on était 1 000 à cette époque-là à Lattes… Alors c’est vrai que maintenant… On a de la pression, c’est toujours délicat de refuser, on a de la pression par exemple des gens de Maurin, ou des gens des Filiès, qui sont lattois eux depuis 1965, 1970, que nous on ne considère pas comme des Lattois de racines, de souches, mais qui se disent « on est lattois depuis 45 ans… », voilà. Alors, je pense que l’on va assouplir un peu nos statuts pour les accueillir, voilà. On ne sait pas, on va peut être faire deux cartes, une carte « membre d’origine » puis une autre « les amis de… », voilà. Mais on ouvre grandement à ceux qui veulent venir faire la fête avec nous, voilà. […] C’est vrai que cela va de gens qui ont entre 50 et 90 ans, euh… Les plus âgés, et qu’ils ne sont pas toujours disponibles quand on fait des opérations, ou la fatigue, ou… bon, puis, chaque année, il y en a qui reste en route… à cet âge-là… Voilà. Donc… mais c’est une affaire qui marche bien. » [Un membre de l’association Cien de Lattes]

Chaque année, depuis cinq ans que la manifestation est organisée, ces organisateurs déplorent le peu d’attention locale que cela suscite chez les autres habitants. Ils ne sont guère que les membres de l’association à participer à l’événement. Les organisateurs associent ce manque

138 d’intérêt local à un défaut d’attachement des habitants « non anciens ». Cette question de l’attachement au milieu est au cœur de la différence que les anciens érigent entre eux et les dits « nouveaux ». Monsieur Lieuman, habitant natif d’environ 70 ans me disait, avec le ton du regret, au cours de la longue discussion que nous avons partagée à son domicile :

« Aujourd’hui les gens s’installent là comme s’ils s’installaient à Pérols ou Villeneuve [nom

de deux villes voisines]. » Selon lui, quand bien même ces personnes se sentent bien là et sont contentes d’y être, « elles ne sont pas investies » dans le milieu, elles pourraient en partir facilement.

« Il faut arriver à mettre tout en place et surtout à motiver les gens à sortir de chez eux. Les vieux Lattois ils sortent mais les… les…

Les plus récents ? … oui.

Ils participent moins ?

Ils ne participent pas du tout. […] C’est… Mais parce que si vous voulez, l’habitant de Lattes aujourd’hui, ne s’intéresse pas vraiment à la vie de Lattes, ils habiteraient Pérols ou Sain-Jean-de-Vedas, ce serait la même chose pour lui. [Silence] Les gens qui arrivent à Lattes, mais certainement comme dans d’autres villages dortoirs […] Vous vous intéressez à la vie du village, ou de la ville dans laquelle vous êtes si vous avez des enfants qui vont à l’école ou qui vont dans des associations sportives ou culturelles, là, automatiquement, vous vous intéressez parce que vous les suivez, vous allez voir…Ou alors si vous-même avez une activité associative, voilà. Celui qui fait de la musique, celui qui fait du tennis, ou quoi que ce soit dans Lattes, il rentre dans le tissu euh… associatif, et il s’implique un peu dans le… dans la… Et encore, je vois le foyer rural, […] ils ont 2 000 adhérents, dans une soixantaine d’activités différentes, ils me disent, les présidents, les gens, ils viennent faire leurs activités souvent, et même quand eux ils font des fêtes ensemble… Il n’y a personne. Il y a peu d’implication dans la ville. Alors c’est vrai que bon, ce ne sont pas des gens qui sont d’ici, qui connaissent, qui ont envie de… bon… Ils ont d‘autres soucis… […] Ils regardent ça de loin, ils se disent oh… voilà. »

[Un membre de l’association Cien de Lattes]

L’achoppement des tentatives associatives, tel Cien de Lattes, à fédérer une « culture locale », prend part dans un milieu les habitants ne définissent pas de forcément de commun. Effectivement plusieurs habitants, installés depuis plus ou moins longtemps d’ailleurs ont eux même exprimés ce manque d’intérêt pour la « vie locale ». Plusieurs me confieront tout simplement, tel Madame Potan, habitante depuis une dizaine d’année et dont la belle-famille est lattoise depuis plusieurs générations « ça ne m’intéresse pas ».

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