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Des fluides plus menaçants que d’autres : l’« alerte aux gens du voyages »

Conclusion : Un milieu et des habitants en quête d’identité

Chapitre 5. Un milieu qui rassure… mais qui expose aussi

5.3. Un souci pour la sécurité urbaine omniprésente

5.3.2. Des fluides plus menaçants que d’autres : l’« alerte aux gens du voyages »

La prégnance d’une telle tendance « sécuritaire », avec le rejet de l’altérité qu’elle comprend et que l’historicisation de l’urbanisation dans la partie précédente nous a permis de mieux comprendre, s’est encore davantage donnée à voir lors d’un épisode particulier de l’observation participante. Un printemps, une communauté de gens du voyage s’est installée sur un terrain communal proche de la zone naturelle. Cet événement qui se tenait sur un terrain qui fait face au quartier des Filiès, où j’habitais, me permit d’enquêter sur le « problème ». L’appel que je passai à la mairie pour me renseigner me permit de prendre la mesure des réactions locales. La personne qui m’a répondu ne me laissa pas finir ma question, me coupant immédiatement, pour me rassurer : « Des mesures ont été prises. On a déposé un

recours devant le préfet, ils ont fait appel mais ce devrait être réglé demain au plus tard. Ce sera fait demain, madame. » La réaction, par une formule bien rodée, semblait indiquer que

de nombreux autres appels avaient précédé le mien et qu’ils étaient tous de la même teneur. Dès le lendemain de mon appel, le deuxième jour après leur arrivée, je trouvais un courrier du maire dans ma boîte aux lettres207. Ce dernier y déplorait « cette invasion illégale » et nous [les habitants du quartier] rassurait sur les démarches entreprises par la Mairie pour mettre un terme au plus vite « à cette situation insupportable ». Pourtant, sur la dizaine de jours où séjourna la communauté, la seule nuisance que j’ai pu constater a été d’ordre sonore, et plutôt raisonnable : le soir ils organisaient des karaokés mais ne dépassaient jamais la limite des vingt-deux heures. Un deuxième courrier arriva quelques jours plus tard pour informer les habitants que la mesure d'expulsion avait été prononcée mais compte tenu du fait que les procédures « sont très favorables au gens du voyage », ils ne pourraient rien faire avant le trente du mois. La communauté s'était alors engagée d’elle-même à partir le vingt-huit du mois, ce qu'ils ont effectivement fait. Dans ce second courrier, le maire s'excusait pour les nuisances occasionnées, assurait que tout serait « nettoyé » et que tout serait fait pour empêcher « de nouvelles invasions sauvages ». Déjà interpellée par les termes employés par la municipalité pour qualifier l’événement, je le fus bien plus encore par une discussion avec un autre habitant qui les qualifia de « saloperies ». Il m’expliqua regretter les temps anciens où « l'ancienne municipalité les prenaient à coup de lattes208

207

Courrier figurant en annexe 6.

208 Sans savoir si l’usage du terme « lattes » était réfléchi, on ne peut que remarquer la coïncidence langagière

», et que la nouvelle municipalité veuille jouer les méthodes douces (la commune a mis en place un terrain d’accueil à leur intention ainsi que la loi l’oblige). Selon lui : « Et voilà le résultat : tu leur donnes le doigt ils

te bouffent le bras ces gens là. » Il les qualifiait de « racaille », « vermine », « sous couvert de la religion en plus, c'est une honte » (c'était une communauté religieuse nommée « vie et

176 urbaines les concernant, comme l'enlèvement d'enfant pour des trafics d'organes, voire de la vente des leurs, dont la circulation du message électronique (figures 31 et 32) avait déjà tracé la circulation entre des habitants.

La réactivité de la commune sur ce dossier et les propos employés pour rassurer les habitants laissent entendre que la réaction des Lattois est vive sur ce genre d’intrusion. Lors de cet épisode, le mécontentement des habitants, voire la colère de certains, fut largement observée. De nombreuses discussions furent relevées sur ce sujet et de nombreuses personnes m’en parlèrent dans des termes très durs à l’encontre de cette population et s’inquiétant des risques accrus de vols. Les attentes des habitants sur la réaction de la Mairie étaient unanimes : il s’agissait de tout mettre en œuvre pour les faire partir. Le maire répondit à cette attente. L’analyse de la presse locale et des mentions du problème dans le journal communal nous montre que ce sujet est récurrent sur la commune. Outre le fait qu’il illustre le rejet local de l’altérité, ce sujet est intéressant dans les interdépendances locales des risques qu’il a permis de révéler. Dans le courrier qu’il a adressé à ses administrés pour les rassurer sur cette « invasion », le maire soulignait que Lattes était la seule commune de l'Hérault en règle vis-à-vis de l’obligation de mise à disposition d’un terrain communal à l’intention des gens du voyage. Ce terrain est situé en bordure de l’autoroute qui borde la ville. La communauté refusait cependant de s’y installer déplorant les nuisances – notamment la poussière – occasionnées par les travaux en cours de renforcement des digues. Ainsi, la mise en place de la protection contre le risque inondation exposait à celui de l’intrusion. D’autres éléments imbriquent cette question de l’installation provisoire des gens du voyage au caractère inondable de la commune. Ainsi, à différents moments, ce sujet revient dans la vie communale, comme le montrent les archives du journal communal ou encore celles des procès verbaux de conseil municipaux. Dans un article sur un comité de quartier on peut lire que l’élu du quartier présenta « un projet d’aire de stationnement […] pour éviter de

nouvelles invasions : le conseil propose d'aménager le terrain de sports de Boirargues en bassin de rétention avec des travaux pour barrer l'entrée ». Plus surprenant, la possibilité

d’inondations localisées des terres, par la gestion des nombreux chemins de l’eau sur la commune, est régulièrement utilisée afin de les empêcher de s’installer. La présence de nombreux canaux et roubines sur la commune permet de gérer l’écoulement des eaux très précisément et ainsi d’inonder volontairement certaines parcelles. En 2004, un article de la presse locale informait ainsi que suite à « une invasion » du terrain de foot par des caravanes, celui-ci avait été inondé « pour bloquer le passage ». La même information – au titre parlant : « Alerte aux gens du voyage » – circulait sur le blog d’une association politique de la ville lors de l’inondation en juin 2010 du même terrain209

209 Source :

. J’ai pu constater la même pratique sur le champ à proximité de mon quartier où une brèche dans le petit canal le bordant a été faite par les services de la Mairie après le départ de la communauté citée plus haut.

177 Un autre épisode plus récent donna à nouveau à voir de manière plus frappante encore la possibilité de défense contre l’altérité qu’offre l’inondabilité du milieu. En juin 2013, au même endroit un autre camp de gens du voyage s’installa. La réaction du maire fut alors catégorique. Il menaça publiquement d’inonder le champ si les gens du voyage ne partaient pas immédiatement, révélant au passage le double tranchant d’une maîtrise de « l’hydraulique » locale particulièrement ajustée. Son emportement lui valu d’être convoqué dans le bureau du préfet, déclenchant une crise médiatique locale, mais il ne retira pas sa menace et la proféra même dans la presse le lendemain. La possibilité de l’inondation s’érigea en menace devant l’intrusion de l’altérité.

Figure 33 : Article du journal Midi Libre, édition du 3 juin 2013. [Source :

178

Le maire de Lattes veut refouler les évangélistes et finit chez le préfet

Scène surréaliste ce dimanche après-midi à Lattes où le maire de la commune, Cyril Meunier a été embarqué chez le préfet pour « trouble à l'ordre public ». « Oui j’en ai appelé à la rébellion parce qu’il y en a marre et

qu’il faut que les choses changent, même si je sais que l’État n’a pas les moyens de régler le problème des gens du voyage ! » Cyril Meunier, maire de Lattes, une commune de 18 000 âmes juste au sud de Montpellier, était un

élu vert de rage hier après-midi. Un élu en colère qui a voulu empêcher l’intrusion de 200 véhicules pour 120 familles d’évangélistes qui avaient bien l’intention de s’installer sur ce terrain communal, un grand champ devenu l’espace Saint-Sauveur et le Théâtre de verdure : « J’arrivais de Marseille, j’ai été pris de cours. J’ai

demandé aux services techniques de placer des grosses pierres, mais ils ont été plus rapides que nous, racontait hier soir Cyril Meunier. Mais ce terrain est équipé de vannes et il peut être inondé. Quand j’ai voulu le faire, la police m’en a empêché.» […] Il faut dire que la tension était à son comble avec un maire remonté et décidé à en

découdre : « Mais j’étais prêt à me battre ! Et je n’étais pas seul. D’ailleurs, j’ai dit au préfet que si mardi le

terrain n’était pas évacué, j’ouvrirai les vannes! », menace à nouveau Cyril Meunier qui se dit prêt par ailleurs

« à être placé en garde à vue. S’ils veulent le faire, qu’ils le fassent. Moi je suis dans la légalité. »

Figure 34 : Extrait de l’article de presse Midi Libre Montpellier, édition du 2 juin 2013 [Source :

http://www.midilibre.fr/2013/06/02/exclusif-le-maire-de-lattes-embarque-par-la-police-apres-un-rififi-avec-les-gitans,709127.php, consulté le 6 décembre 2013].

S

i ce souci local pour la protection des risques dits urbains est intéressant, c’est surtout en ce qu’il constitue un contraste avec l’absence apparente de souci vis-à-vis du risque inondation. Mais surtout, les comportements qu’il encourage se révèlent pouvoir être contre préventif vis-à-vis du risque inondation, comme nous allons le voir en détail maintenant.

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