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Introduction : du marécage à la résidence

Chapitre 2. Des années soixante-dix aux années deux mille : le temps de la densification

2.1. Un développement urbanistique enchâssé dans des stratégies politiques locales politiques locales

2.3.1. Développer, oui, mais pas pour n’importe qui

La situation géographique de Lattes, en première couronne sud de la ville de Montpellier lui vaut une pression pour construire : l’expansion de Montpellier entraîne une augmentation de la demande locale en logement.

« Comment une... une petite commune pouvait-elle faire face à la pression ? Comment pourrait-on faire face à la pression des agents immobiliers, des promoteurs, et cetera, sur un territoire aussi important, et une partie, donc très importante urbanisable ? »

[Un membre de l’ancienne équipe municipale.]

L’un des enjeux de l’opposition Frêche – Vaillat se situait au croisement de cette question de la pression urbaine et de leur opposition sur l’échiquier politique : la question des logements sociaux. Cette question s’était déjà posée lors de l’édification du quartier de Maurin qui en comprend une importante part et a continué à se poser tout au long du développement ultérieur de Lattes. Le sujet est régulièrement revenu dans les entretiens où nous discutions de l’histoire urbaine de la ville. La plupart du temps, il s’est agi pour l’enquêté de dénoncer les décisions contemporaines d’extension du nombre de logement à prix modérés, tel qu’en témoigne l’extrait d’entretien ci-dessous. Nous pouvons y observer certains réflexes défensifs vis-à-vis des populations habitants ce type de logement.

« C’est joli, quand même Port Ariane, c’est une belle réalisation. Naturellement, là récemment ils ont construit un HLM... Mais de nouveau, cette question de HLM, nom de nom, moi personnellement j’ai toujours défendu les HLM, mais, comment peut-on faire : les HLM a des prix normaux, à des prix bas, même c’est ce que l’on a préféré pour les pauvres gens, alors que l’on construit dans des cités où tout est si cher…. Ce n’est pas possible ! Alors que vous avez des territoires, par exemple entre Montpellier et Saint- Jean-de-Vedas, on pourrait très bien pouvoir trouver à acheter des terrains vagues pour construire une cité HLM. Ou le faire par exemple entre Saint- Jean-de-Vedas et Sète, dans la garrigue, non inondable, où les fondations tiendraient le coup, on pourrait faire… Si on ne veut pas par exemple agglomérer, faire des villages que de HLM… faire des villages, chacun avec son HLM. Hein ! Dans des territoires où c’est donné, quoi.

Donc là, si je comprends bien, c’est que vous regrettez que cela coûte très cher à la municipalité et que la municipalité le loue très peu cher ?

Voilà. Ou bien… Et puis quand même, je vais vous dire…Euh… Non pas que je suis… pour rejeter tous les pauvres gens… Parce que, les pauvres gens, moi j’ai une famille… c’est des petits paysans. Bon… c’est normal qu’il y ait de pauvres gens… Tout le monde n’a pas… pour gagner sa vie, le savoir, il y en a beaucoup qui ont quitté l’école très tôt aussi, et donc… mais euh… quelques fois… ces gens qui habitent les HLM, sont aussi, quelques fois, une nuisance pour les autres ! Parce que vous prenez quelqu’un qui a acheté au Port, ils ont acheté au regard d’une maquette, et moi la maquette, je la connais, elle y est encore à la mairie là haut. Elle a été faite du temps où j’y étais. Mais une maquette qui ne montrait aucun HLM ! Alors, bon, les gens qui sont venus habiter là, ils ont payé fort cher… aux promoteurs… Ils ont payé leur appartement fort cher, et ils se retrouvent à proximité d’un HLM ! C'est-à-dire : du bruit… Les HLM, il y a beaucoup d’enfants dans les HLM, hein,

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euh… Et à la limite les mamans elles ne sont pas toujours raisonnables... les enfants ne reçoivent pas une éducation comme quand on a un peu d’argent… un peu… Ils sont bruyants, quoi ! Et tout cela, ce sont des nuisances pour les gens qui ont payé pour ne pas les avoir ces nuisances-là, vous comprenez ?

Je comprends, oui.

C’est pour cela que je dis, je ne suis pas d’accord pour que l’on mette trop de HLM au Port. Parce que c’est en somme porter préjudice à ceux qui ont payé fort cher leur appartement. » [Monsieur Bourbieron, habitant natif, environ 85 ans, famille lattoise depuis sept générations.]

Selon les anciens de la commune encore, l’équipe municipale précédente se serait continuellement opposée à l’ouverture de logements sociaux, ou au moins en aurait drastiquement limité les proportions. Plusieurs habitants installés plus récemment m’ont par ailleurs confié avoir choisi Lattes ou apprécier y vivre notamment pour cette raison. Les notes de terrains ci-dessous en rapportent un exemple.

Discussion avec un habitant lors d’une compétition de karaté de mon fils. Je lui demande depuis combien de temps ils sont installés. Il me répond qu’il est d’ici ; une discussion s’instaure sur le développement de la commune :

Frêche à l'époque voulait y installer un quartier HLM « heureusement que cela ne s'est pas fait, car sinon la moitié de Lattes aurait été des cas sociaux! » Et aurait remis en cause la tranquillité qu'il faut quand même reconnaître à Lattes. L’ancien maire s'y est fortement opposé jusqu'à se porter garant auprès des promoteurs. C’est une des grandes qualités qu’il voit à vivre ici. Ces lieux paisibles se font rares aujourd’hui !

[Extrait des notes de terrain, synthèse n°2, février 2009.]

L’ancienne municipalité se défendait pourtant de répondre aux exigences législatives à être « solidaires » et des logements sociaux ont été construits à Lattes, comme cela été souligné dans le numéro spécial du journal communal dressant le bilan du premier mandat de l’ancienne équipe (1977-1983)104

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Journal communal n°21, février 1983.

. Il semblerait cependant que ceux-ci n’aient pas été suffisamment en nombre (en tous les cas, leur nombre était en deçà du taux fixé par la législation française en la matière). Plusieurs des habitants interrogés ont évoqué cette orientation dans le vivre ensemble lattois.

« L’ancien maire, il était famille patrie… tu vois. Alors moi je lui convenais bien parce que après j’avais repris à mi temps – mais ça, c’était mon choix – […] il était lui… la femme ne doit pratiquement travailler… il était … ah… Comment c’est ? Pas à l’extrême droite mais entre les deux, là… ah… [rire]… Bref : on a mené des combats […] Et ce militantisme si tu veux, dans une ville très très à droite, où il y a quand même une présence de Pieds-noirs très importante… euh… des réactionnaires. Et cela votait beaucoup extrême droite, quoi. Je me souviens, après, j’allais à l’école et je disais : un sur trois a voté FN, bonjour ! [rires]. Bon, voilà. Et en fait… on était vraiment peu nombreux… à être de gauche entre guillemets… »

84 La qualité de vie s’inscrit ainsi dans une certaine vision de l’habiter ; les personnes s’y établissant faisant davantage que l’acquisition d’une maison, ils font l’acquisition d’un environnement de vie (Berger, 2012). Cette vision, pour se réaliser est cependant soumise à des contraintes. Ainsi, développer une commune où il fait bon vivre en protégeant des espaces naturels et en se prémunissant de certaines problématiques, comme les questions d’intégration liées à la mixité sociale, peut paradoxalement induire à développer par ailleurs des zones d’activités. Particulièrement dans un contexte de décentralisation qui encourage les maires à tenir le rôle d’entrepreneur du développement et où les institutions parapubliques et les acteurs privés prennent de l’importance et viennent renforcer « le cérémonial de

l’entrepreneur tout à la fois investi d’aptitudes à la performance et comptable du destin de son organisation » (Faure, 1997: p.77). L’extrait d’un entretien avec un membre de l’ancienne

équipe municipale ci-dessous expose comment la commune a joui de cette situation législative (contexte national) et économique (contexte local) pour impulser un développement urbanistique orienté par une vision du territoire particulière. Il s’agissait de développer les quartiers de manière très raisonnée, de penser l’aménagement de chaque espace de vie, pour le bien-être d’habitants qui se ressemblent, et qui ainsi partagent de mêmes aspirations pour leur cadre de vie.

« On avait les trois quartiers, si l'on peut dire. On les a créés en toute pièce, c'est-à-dire ce qu'on avait vu en théorie, dans un colloque d'habitat et urbanisme […] C’était que... il fallait avoir des quartiers, de façon générale, pas qu'à Lattes, hein ; il fallait avoir des quartiers qui soient dimensionnés entre 2500 et 5000 habitants. Pourquoi ? Parce qu’en deçà de 2 500 habitants, les investissements, c'est-à-dire les stades, les écoles, et cetera...ne sont pas rentables, si l'on peut dire. C'est-à-dire que, ils coûtent très cher à la population de moins de 2 500 habitants, si on veut les faire. Au-delà de 5 000 habitants, on perd la convivialité, c'est à dire on tombe dans l'anonymat ; il y a trop de monde, ils se connaissent plus. Donc, comme on avait déjà vu trois quartiers, faire des quartiers dimensionnés à 2 500-5 000 habitants. Et on avait, en gros, quatre quartiers : Maurin, Boirargues, et sur Lattes, il y avait deux quartiers puisqu'aussi bien l’État, la DDE nous avait coupé le territoire de la plaine de Lattes en deux avec ce qui est devenu l'avenue de l'Europe.

D'accord…

C'est à dire, à l'époque, on avait discuté, mais on ne pouvait pas faire autrement, et donc vous avez la partie Sud et puis la partie Nord. Et donc, on a fait quatre quartiers, et en 1978, donc dans le Pos, qui a été alors publié à cette époque-là en 1978, on avait estimé que la population de Lattes, aux alentours de l'an 2000, serait entre 15 000 et 20 000 habitants avec cette direction d'une politique d'urbanisme. […] Bon... Si on veut essayer de recentrer un peu, d'amalgamer, c'est un terme peut-être impropre, mais, la population, les gens ; il faut avoir... c'est pour ça que les anciens villages étaient en rogne …. Il faut que les gens se rassemblent… bon. Et donc, on a essayé, avec le développement de la commune, des musiciens et cetera, de faire ce rôle, des gens et tout, et puis il y avait la grande propriété de l’Encivade qui est devenue Port Ariane. Donc, on avait appelé ça : l'urbanisme de quartier à taille humaine : 2 500 – 5 000 habitants. C'est ça, une volonté marquée, voyez. Et déjà par

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ce biais-là, on imposait, si l'on peut dire, pas imposait, puisque c'est dérivé d'un texte public, qu'il y a eu des concertations avec la population, avec les services de l’État et du Département, on a suggéré d'avoir un lieu où les gens soient heureux. C'était notre but. »

[Un membre de l'ancienne équipe municipale.]

Défendre ce type d’urbanisme, caractérisé par la volonté de ne pas trop se développer d’un côté et de demeurer assez indépendant de Montpellier District de l’autre impliquait cependant de trouver les ressources financières suffisantes. Parallèlement aux quartiers d’habitations sont érigés une grande zone commerciale et plusieurs discothèques aux entours de la ville qui permettent, par leur taxe professionnelle, des sources de revenus à la commune. Le choix d’un urbanisme modéré était à ce prix, ainsi que le met en mot un habitant du secteur immobilier rencontré.

« À l'époque, cette volonté de faire des zones commerciales et artisanales, c'était pour avoir des revenus puisque chaque commune touchait les taxes professionnelles. Aujourd'hui, c'est l'Agglo qui touche et reverse aux communes. Hé bien… Lattes avait... 76% de ses revenus étaient que zones d’activités… […]

Oui. Donc ça, ça expliquait qu'on pouvait se permettre de dire: « Nous, l'urbanisation, on en fait pas mieux ».

Tout à fait. Tout à fait. »

[Monsieur Foncia, habitant natif, environ 65 ans famille lattoise depuis quatre générations.]

Dans ce développement urbain des années 1970 et 1980, le profil des habitants de Lattes, par agrégation de plusieurs formes de « sociabilité choisie » conserve un caractère de communauté relativement homogène. Ces éléments ne viennent pas contredire les analyses courantes sur le périurbain telle celles de Nicole Berger (2006) qui montrent que l’urbanisation en lisière des grandes villes s’apparente à une sorte de « mosaïque

socio-spatiale » où chaque quartier pavillonnaire abrite un groupe social spécifique. Même si les

quartiers les plus récents, avec l’accélération de la croissance démographique tendent à « ouvrir » le milieu, nous voyons que les choix politiques locaux, notamment en matière de logements sociaux, n’encourageaient pas vraiment la mixité sociale. De surcroît, la forte augmentation des valeurs immobilières du parc lattois tendaient de plus en plus à apparenter Lattes à un « îlot préservé » (Charmes, 2007), garantie d’un cadre de vie agréable.

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