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Conclusion : Un milieu et des habitants en quête d’identité

Chapitre 5. Un milieu qui rassure… mais qui expose aussi

5.3. Un souci pour la sécurité urbaine omniprésente

5.3.1. Une paix sociale à défendre ?

« Comment expliquer… Tu n’es pas dans une zone à risque ! Euh… Je ne sais pas trop comment l’expliquer…

Tu te sens tranquille dans ton quotidien, quoi ?

Voilà ! Pas tant par rapport à nous, mais par rapport aux enfants, à l’école, tout ça… Parce que nous on voit mon beau-frère et ma belle-sœur ils sont à Montélimar, euh… Le petit il est en maternelle : hé ben ça fuse les gros mots ! Et les mamans elles amènent les petits à l’école en pyjama !!!203

Comme nous l’avons vu, la commune a longtemps était en infractions vis-à-vis de l’obligation de construction de logements sociaux. Cette situation d’infraction perdure aujourd’hui. La nouvelle municipalité prône cependant davantage d’ouverture à la diversité sociale et dit œuvrer pour rattraper le retard en appelant la solidarité et en soulignant l’importance du social. Ainsi, lors de son discours des vœux en janvier 2011, partant d’un drame local récent - celui du suicide d’un jeune de la commune - le maire dénonça le manque de solidarité actuel, le manque d'écoute. « Nous pouvons faire fit de tout cela, faire comme si

de rien n'était : mais non ! » En appelant à la solidarité : « Pour cette nouvelle année, je vous souhaite d'écouter celui qui est à côté de vous ! » Il enchaîna sur un sujet qui faisait alors

beaucoup débat sur les blogs de l’opposition de la municipalité, la construction récente d’un

… Enfin, tu vois, c’est des trucs tu ne verras pas ça à Lattes, quoi ! C’était important pour nous, et même notre futur achat, c’est pareil, on regarde qu’il y ait une école tranquille… »

[Madame Passontan, habitante depuis trois ans, environ 30 ans.]

172 immeuble sur un parking de Port Ariane, dédié aux logements sociaux : « N'ayez pas peur

lorsque l'on construit des logements sociaux, n'ayez pas peur lorsque l'on décide d'aider ceux qui en ont besoin ! Ne pensez pas qu'ils abusent parce qu'ils demandent des aides alors qu'ils sont propriétaires d'une maison : pensez plutôt qu'ils l'ont achetée dans les années soixante lorsque c'était plus facile et que maintenant, ils peinent à l'entretenir. Demandez-vous plutôt comment vos voisins moins aisés que vous font pour s'en sortir. »

Cette question de la solidarité divise localement. Beaucoup d’habitants reconnaissent leur tranquillité de vie à Lattes aussi parce qu’exempt de « problèmes sociaux ». Pour beaucoup, dans les réticences à l’expansion de la ville figure cette question. Un habitant m’expliquait sur ce point que lors de l’édification du quartier de Port Ariane, Frêche (maire de Montpellier de l’époque) voulait y installer un quartier HLM et précisa : « heureusement que cela ne s'est pas

fait, car sinon la moitié de Lattes aurait été des cas sociaux! » La combinaison des réticences

des habitants à la mixité sociale, traduite dans les actions de l’équipe communale, ainsi que les limites posées aux possibilités d’urbanisation en zone inondable ne permet alors pas vraiment d’évolution notable ; quand bien même l’ouverture est publiquement prônée, dans une zone où, rappelons-le, les valeurs immobilières sont élevées.

« Parce qu’à l’époque, arrivaient des gens… comme nous, quoi. Parce qu’à l’époque, c’était abordable, parce que tu comprends bien que dans ces années là… Nous, on devrait vendre notre maison…. Elle se vend… 3 fois, 5 fois le prix qu’elle nous a coûtée, quoi. A ce moment là, ce n’était que des classes moyennes, quoi.

Là, maintenant, tu as énormément de retraité ou des gens qui arrivent avec beaucoup d’argent… et puis… euh… une évolution dans la… effectivement. »

[Madame et Monsieur Commubain, habitants depuis 20 ans]

Nous pouvons observer aujourd’hui certaines convergences de cette construction notamment dans deux des caractéristiques de la ville que sont le peu de mixité sociale et le haut taux de vote d’extrême droite aux dernières élections cantonales par exemple204. Ainsi, habiter à Lattes serait garant d’un entre-soi qui protégerait alors d’autres risques notamment ceux dits urbains, et qui ainsi offrirait la garantie d’une certaine paix sociale. La tendance des espaces périurbains à rejeter en dehors de cet espace ceux qui appartiennent à la couche sociale inférieure a déjà été soulignée205. La question du vote xénophobe de ces espaces de vie a largement été discutée, particulièrement suite aux dernières élections présidentielles en 2012 où les scores du Front national ont atteint des niveaux inégalés206

204

Le FN a recueilli 23.59 % des suffrages exprimés (contre 45.88% pour le groupe DVG représenté par Cyril Meunier, candidat sortant) et 33.32 % au second tour (contre 66.88 pour son opposant).

205

Voir notamment Althabe (1993). 206

« Dans un article paru dans Le Monde, peu après la publication de la cartographie des suffrages et du vote Front national en particulier, le géographe Jacques Lévy fit de ce constat un théorème ; plus on s’éloignait du centre aggloméré d’une ville, plus on allait dans des zones disposant d’un faible « gradient d’urbanité », plus on votait populiste » (Donzelot et Mongin, 2013: p 2).

. Sans vouloir contribuer à une lecture simplifiant la complexité du social à la sociologie électorale, force est de constater

173 que le cas lattois ne constitue pas une originalité sur ce point. Mais l’intention n’est pas ici de rentrer dans ce débat. D’autant plus que les proportions du vote Front national de la commune ne la démarque pas particulièrement des autres communes du littoral languedocien.

Il s’agit ici de montrer que les questions de la sécurité urbaine et de la paix sociale sont très régulièrement évoquées ensemble. La mise en mot est alors souvent faite dans un registre de la crainte en lien avec la trajectoire de plus en plus urbaine de la commune et la mixité sociale qui y est liée.

« Et il n'est pas dit qu'il n'y ait pas quelque chose, parce qu'il y a beaucoup de bruits concordants là-dessus, qu'on puisse installer sur cette bande de terre des lotissements, ou des... ou plus, ou mieux des appartements. C'est-à-dire qu'on aurait l'émergence de petits blocs qui seraient des blocs de logements sociaux. Ça veut dire aussi donc que cet espace ne sera plus réservé aux riverains ou à déambulation des cyclistes et autre. Ça veut dire aussi qu'on pourrait avoir une population là qui n'est pas de nature... de même nature que celles qui sont à côté dans les lotissements. »

[Monsieur Soupsonti, habitant depuis 15 ans.]

Pour certains, « la paix sociale » se verrait aussi remise en question par l’arrivée du tramway sur la commune ; matérialisant l’entrée de Lattes dans l’aire urbaine montpelliéraine ; entrée qui accentuerait le risque d’insécurité urbaine. Dans un échange avec une habitante de Port Ariane, je lui demandais si elle connaissait les actions de l’association de quartier « Port Ariane action » dont le blog comportait plusieurs revendications de ce type. Je lui demandais en particuliers si elle avait suivi « l’affaire » de la construction dans ce quartier d’un immeuble de logements sociaux. Dans le fil de la discussion, elle associa cette question de la mixité sociale à l’insécurité et au tramway qui pourrait amener sur Lattes des gens des quartiers nord de Montpellier (quartiers mal perçus localement, associés à la présence importante d’immeubles de logements sociaux). La difficulté avec laquelle elle évoqua ce sujet, souvent hésitante dans le choix de ses mots, semble indiquer cependant qu’elle s’excluait elle-même de cette prise de position, ou du moins, qu’elle la jugeait non politiquement correcte.

« Et ça avait fait problème cette histoire. Vous n’avez pas le souvenir ?

Parce que c’était soi-disant des appartements sociaux, mais je ne pense pas qu’ils soient plus moches que les autres hein. Pas plus mal fréquenté que les autres, non. Et puis là, ils doivent en faire un derrière, sur le parking de la capitainerie. Là, y’en aura un. Pareil. Un immeuble social, mais bon…Qu’est-ce qu’on peut faire là ? Mais y’a eu des plaintes.

De peur que, au niveau socialement… Oui voilà.

… que ça amène un peu de…

Oui. Et là, ils craignent un petit peu avec le métro, euh, avec le tramway quand même. Ils craignent un petit peu parce que c’est la ligne de la Paillade, donc… J’ai vu les… J’en sais rien moi… »

174 Cette précaution dans l’usage des mots pour qualifier cette question de la diversité sociale n’est cependant pas toujours de mise. Dans l’observation participante, à plusieurs reprises, j’ai été surprise d’entendre de tels propos ségrégatifs énoncés de manière totalement décomplexée, comme si leur avis était forcément partagé. Un couple de parents me racontait ainsi avoir envisagé de déménager lorsque les différents tracés éventuels du tramway avaient été exposés et que l’une des possibilités l’aurait fait passer devant chez eux: « Si c'est pour

être à Lattes et voir des tags et toute cette racaille devant chez soi, non merci ! » Une autre

fois j’ai été témoin dans le bus, avec une vingtaine d’autres passagers, de la discussion de deux jeunes garçons. Ils discutaient de tout, de rien : examens, sorties, filles, etc. Le bus passa à proximité d’un camp de Roms, installés sur un terrain vague. L’un des deux raconta alors que l’on avait essayé de lui voler son sac récemment. Selon lui, il y avait justement deux « Gitans » dans les environs. Il affirmait être certain que c’était eux : « Pour ces gens là, je

suis raciste […] Il faudrait les prendre au karcher […] Ils ne servent à rien ». Il parlait fort

et sans gène, avec le sourire ; il ne semblait pas du tout inquiété de ce que l’on pourrait penser de ces paroles, qui n’avaient d’ailleurs l’air de ne choquer personne. Souvent, ces propos s’énoncent sur le ton de l’humour, traduisant un accord tacite entre les personnes sur le sujet. Nina Eliasoph (2010) a montré comment l’humour se révèle un indicateur d’accord de pensées : « Pour se taquiner, les gens ont besoin de partager une conception commune de ce

qui peut ou ne peut pas constituer un sujet de taquinerie ; cela peut donc donner l'impression de refléter une culture profondément partagée (Eliasoph, 2010 : p.133). Ainsi, lors d’un repas

de la fête de l’école où l’on discutait de la tendance contemporaine à la dégradation de la qualité des aliments, un père informait la tablée - dont je faisais partie - que la gélatine, présente dans de très nombreux aliments industriels, est confectionnée avec des carcasses de viande de mauvaise qualité sans que cela ne soit forcément indiqué. Il ajouta que cela pouvait poser problème pour les végétariens ou pour les populations musulmanes lorsque ces carcasses sont celles de cochons. Immédiatement, un autre parent a alors rétorqué : « Mais on

s’en fout des musulmans, nous ! », faisant bien rire toute l’assemblée. Cet épisode s’est

déroulé en fin de troisième année de terrain, alors que j’avais déjà maintes fois pu être le témoin effacé de tels échanges. Ce jour-là, je ne puis retenir mon exaspération devant de tels propos et fis remarquer, certainement avec froideur, que personnellement, je ne m’en moquais pas du tout. Un silence marqua alors la fausse note que je venais de faire dans le cours de cette discussion au contenu socialement partagé. Les énoncés se prononçant dans le souci de leur acceptation, la mise en mot publique et décomplexée de réactions face à l’altérité – pourtant non politiquement correcte – qui a régulièrement été observée informe sur l’accord de principe, tel un sentiment partagé – ou au moins supposé comme tel –, sur ce point entre les habitants. Il est intéressant de relever d’ailleurs que depuis lors, le père qui avait formulé ces propos et avec qui j’avais très régulièrement échangé jusque-là, ne m’a pratiquement plus adressé la parole. Cette prise de position m’a démarquée du groupe en m’excluant de l’accord tacite d’opinions qu’il comporte.

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5.3.2. Des fluides plus menaçants que d’autres : l’« alerte aux gens du

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